jeudi 31 mai 2012

La tournée de Star Académie se la joue politiquement engagée

Alors que la crise sociale du conflit étudiant et de la loi spéciale divise le Québec depuis des mois, comment réagiront les spectateurs de la tournée de Star Académie en constatant que les apprentis chanteurs – ou les créateurs qui les entourent - ont choisi de prendre position dans plus d’un numéro? Huées de désapprobation, applaudissements d’admiration ou simple indifférence ?

Saupoudrée un peu partout lors de la répétition générale à laquelle j’ai assistée mercredi soir, l’opinion star académicienne se voyait sur les vêtements des invités Michel Rivard et Paul Piché, qui portaient fièrement le carré rouge, s’entendait dans la chanson « Casseroles » de Damien Robitaille, ainsi que dans l’invitation d’un académicien de profiter de l’entracte pour aller manifester pendant 15 minutes. Et ce, sans compter la chanson « Québec », des Loco Locass, qui faisait appel au patriotisme des spectateurs en demandant aux académiciens d'interpréter les patriotes avec armes en mains, quelques instants avant de les transformer en bâtons de hockey. Même si plusieurs personnes risquent de s'offusquer de la présence de positions engagées (l’amie qui m’accompagnait bouillait chaque fois qu'une opinion contraire à la sienne était exprimée), avouons qu'il n’est pas nouveau de voir le milieu artistique prendre parole.

Ceci étant dit, comment les 14 académiciens s’approprient-ils le Centre Bell cette année ? Si les éditions précédentes nous avaient habitués à d’impressionnantes mises en scène servant à combler l’inexpérience et le talent inégal de certains chanteurs, notons que le savoir-faire de la cohorte 2012 nous donne l’impression que la plupart des bébelles scéniques sont superflues : crachats de feu, canons de fumée avec lesquels s’amusent les chanteurs, éclairages qui manquent de nuances, énormes écrans qui semblent écraser la scène, etc.

Après avoir ouvert le spectacle avec de magnifiques lumières qui recréent le titre de la chanson-thème, « Toi + Moi », en aveuglant la moitié des spectateurs du parterre, les académiciens y vont de plusieurs grands moments. Un medley de chansons interprétées par le gagnant de l’édition 2012, Jean-Marc, avec l’écorchure dans la voix, le groove et le naturel qui lui ont permis de séduire des milliers de Québécois. Une énorme décharge d’émotions, une fois de plus signée Mélissa, qui interprète « Le cœur est un oiseau », de Richard Desjardins, en vibrant autant que lors de son évaluation devant professeurs, cet hiver. Les trop rares apparitions d’Andrée-Anne Leclerc, diminuée par des problèmes de santé qui la rendront moins présente lors des premiers spectacles de la tournée, qui nous a offert deux grands moments vocaux, sans l’esbroufe qui a souvent nui à son talent naturel lors de l’émission.

Aussi, mentionnons Simon qui démontre à quel point son élimination hâtive était une erreur, tant par l’incroyable façon qu’il a d’habiter la scène, que par la voix qu’il garde juste et solide en sautant partout. Sophie qui utilise toute sa vérité, sa simplicité et son intensité pour rappeler à tous les raisons qui ont fait d’elle la finaliste féminine cette année. Sa force brute se faisait d'ailleurs sentir en interprétant sa puissante composition « Sarah sans sourire » à la guitare, aux côtés de Joannie, François et Andréanne A. Malette, ou en chantant « I won’t give up on you », de Jason Mraz, en duo avec Jean-Marc.

N’oublions pas le talent démontré par Olivier pour chanter en interagissant naturellement avec le public, l’intéressant mélange de chansons (« smash-up ») réalisé avec « I lost my baby » de Jean Leloup et « Rolling the deep » d’Adele, l’énergie folle insufflée par Bryan et Andréanne A. Malette, qui se déhanchaient avec fougue sur « Alors on danse », les superbes harmonies vocales du groupe sur « Happy Ending » de Mika et « I will always love you », avec leur professeur Gregory Charles au piano, ainsi que le moment coquin de la soirée, lorsque Simon et Olivier dansent sous la pluie, avant de déchirer leurs chemises, pour le plus grand plaisir de leurs admiratrices et admirateurs.

En contrepartie, impossible de ne pas noter la faiblesse d’une Sarah-May, qui ressent toujours aussi peu ses chansons en faussant « Un petit grain de sable », haut perchée sur une lune suspendue dans les airs. Même chose pour la crédibilité d’un Jason qui s'approprie – avec passion, admettons-le – une chanson de Metallica avec Jean-Marc, ou celle de François qui s’accroche à une quantité incroyable de tics vocaux en finissant ses phrases, au lieu de faire confiance à sa voix qu’il est tout à fait capable de maitriser.

Parlons également du manque d’aisance de la plupart des académiciens lors des transitions parlées entre les chansons, ainsi que de la maladresse incroyable de la styliste qui n’arrive pas à habiller la plupart de ses chanteuses. Si tous les garçons et certaines des filles (Sarah-May, Andrée-Anne et Andréanne) s’en tirent bien du début à la fin, Mélissa, Carole-Anne, Sophie et Joannie risquent de vouloir rayer leurs tenues de spectacle de leur mémoire à la fin de la tournée, question d’éviter quelques cauchemars.

Reproduisant efficacement les meilleurs moments de la saison télé, en y ajoutant quelques belles trouvailles, la tournée de Star Académie réjouira tous ceux qui attendent de voir les académiciens près de chez eux. Reste à voir si le flafla de la mise en scène et l’opinion politique véhiculée par moments les refroidiront ou les laisseront indifférents.

vendredi 25 mai 2012

« Chante avec moi » au FTA : l’équivalent artistique du concert de casseroles

Il est quelque chose comme 20h10, je marche en direction de l’Usine C et j’entends résonner le tintamarre des casseroles, qui se fait de plus en plus bruyant au fur à mesure que j’avance. Cinq minutes avant que le ciel ne se mette de la partie en crachant son fiel, je me prépare pour le spectacle-événement dirigé par Olivier Choinière, qui a convié 50 comédiens sur scène pour nous brasser la cage dans la bonne humeur.

Les lectures de « Chante avec moi » sont multiples, mais la première qui me vient en tête est d’ordre festif. Attirés par une pulsation rythmique qui mobilise leur attention, des comédiens issus du public descendent vers la scène un par un, avant d’être rejoints par quelques dizaines d’autres dans un élan d’absurdité et de spontanéité. Tous ensemble, ils se donnent le droit de fredonner la chanson, de tatillonner l’instrument, de déhancher le bassin et de laisser libre cours à leur joie de vivre enfantine et entrainante. Répétant inlassablement les mêmes paroles et les mêmes chorégraphies, les 50 comédiens s’amusent comme des fous sur la scène de l'Usine C.

Pour le reste, il me semble bien difficile de ne pas saisir la critique de cette société qui fixe le rythme, qui impose la pulsation d’un système et qui rend acceptable une pensée condamnable, à force de répétition. Une société se reposant sur le concept voulant que l’individu rêve secrètement de s’oublier dans la masse, de faire partie du lot et de se laisser engloutir par le dénominateur commun, le prévisible et l’aseptisé.  

Que ce soit par la musique, les mouvements, la troupe attachée comme du bétail qui tourne en rond, la reprise en accéléré des deux premiers tiers du spectacle - pour s’assurer d’aliéner ce qu'il nous reste de libre arbitre -, pratiquement tous les éléments du spectacle de Choinière réussissent à nous abrutir de béatitude et à nous faire réfléchir sur notre condition dans la même minute. 

« Chante avec moi », c’est beau, brillant, festif, subversif, hautement divertissant et ô combien pertinent, en cette ère où le Québec se réveille d’une vieille torpeur tranquille.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Usine C – 25, 26, 27 mai




samedi 19 mai 2012

« Une vie presque normale » au Rideau-Vert : le dangereux pari de la normalité

En terminant la saison du Rideau-Vert en s’attaquant au succès de Broadway, « Next to Normal », Denise Filiatrault fait le pari d’attirer son fidèle public vers un théâtre musical aux allures d’opéra-rock, où le drame et l’humour se donnent le relai pour illustrer les dérives de la normalité.

Dans « Une vie presque normale », la mère est obnubilée par l’amour qu’elle ressent pour son fils. La jeune adolescente s’oblige à être la meilleure élève, la meilleure pianiste et la meilleure enfant pour goûter ne serait-ce qu’un instant aux soupçons de l’amour maternel, et ainsi se donner l’impression que son existence a une valeur. Le père ne dérougit pas de son affection pour une femme dont l’étincelle d’autrefois suffit pour lui donner envie de rester à ses côtés. Même si cette femme n’est plus l’ombre de ce qu’elle était. Même si les déclinaisons de son amour pour fiston l’ont entrainé dans un monde où bipolarité et électrochocs ont fini par se côtoyer. Même si l’attention qu’elle est incapable de donner à sa fille pousse cette dernière à développer les mêmes faiblesses et les mêmes dépendances.

La trame de fond de « Une vie presque normale » est foncièrement dramatique, mais le spectacle monté par Denise Filiatrault est loin d’être lourd et assommant. La dose d’humour, de cynisme et d’ironie dans l’écriture permettent aux spectateurs de passer d’une émotion à l’autre sans se sentir étouffés par la normalité oppressante de cette famille faussement heureuse. Le rythme insufflé par la mise en scène y est aussi pour beaucoup. Même si la deuxième partie est plus vivante et poignante que la première, l’ensemble du spectacle d’environ deux heures défile très rapidement.

La grande pertinence du propos est malheureusement affaiblie par les chansons dont les paroles trahissent un manque flagrant de profondeur. À l’image de la partition musicale du spectacle, les chansons de « Next to Normal » sont aussi mielleuses et consensuelles que la musique pop adulte contemporaine que diffusent les radios commerciales. Sans nécessairement gâcher tout notre plaisir, la poésie facile et quelquefois grossière, qui est non sans rappeler les chansons de Don Juan, nous empêche d’atteindre un niveau d’émotions qui aurait été fort apprécié.

La principale force du spectacle réside dans le talent de ses interprètes. Geneviève Charest est une des rares chanteuses québécoises connues qui possèdent la capacité de jouer avec vérité et sincérité, tout en nous donnant l’impression qu’elle peut faire ce qu’elle veut avec sa voix. Bien que certaines chansons nécessitent un registre vocal particulièrement étendu, la chanteuse-actrice possède une technique béton où les nuances sont toujours les bienvenues. Son vis-à-vis masculin, Jean Maheux, est tout aussi impressionnant. Capable d’allier la solidité et la vulnérabilité de son personnage, l’acteur est touchant et sincère à chaque détour. Véronique Claveau réussit elle aussi à tirer son épingle du jeu, avec une voix et une présence scénique du tonnerre. Même si elle joue un peu trop gros par moments, l’ex-Star Académicienne est captivante à chacun de ses numéros chantés.

On ne peut malheureusement pas en dire autant d’Isabeau Proulx Lemire. Interprétant le rôle du garçon de la famille, à qui les créateurs ont imposé une partition vocale extrêmement complexe (il est souvent pris dans les notes aiguës de sa voix de tête ou de sa voix de « passage »), le jeune homme semble fournir beaucoup d’efforts pour transmettre des émotions, à défaut de les ressentir. Ses fausses notes émotives et vocales nous font décrocher pratiquement chaque fois qu’il ouvre la bouche.

Malgré quelques bémols incontournables, les qualités de ce théâtre musical sont trop nombreuses pour se passer d’un tel spectacle.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin