lundi 29 août 2011

CINPLASS dans le décor : ô combien intéressant pour les acteurs, mais…

Lundi 29 août 2011, les acteurs Édith Cochrane, Fédéric Barbusci, Antoine Vézina, Guillaume C. Lemée et Anaïs Favron se sont emparés du décor de la pièce L’Enclos de l’éléphant, à l’Espace Libre, et en ont fait leur terrain de jeu pour une séance de théâtre spontané. Outil de travail franchement formateur pour les artistes, le résultat n'a pourtant pas toujours été positif pour les spectateurs.

D’entrée de jeu, les spectateurs sont assis dans les mêmes chaises cloisonnées que dans l’Enclos de l’Éléphant, mais là s’arrêtent les comparaisons entre le projet du quintette et la mise en scène de Sylvain Bélanger.

Qu’on se le dise, l’idée de CINPLASS peut être franchement agréable à voir aller. Être témoin du travail d’un groupe d’acteurs qui se donne quelques thèmes de travail, un semblant de fil conducteur et certaines limites offre la chance à plusieurs spectateurs d’assister à des moments uniques qui ne repasseront jamais. Un peu à l’image de la Ligue Nationale d’Improvisation, une telle soirée peut nous ravir par le rire, la surprise, le divertissement, l’émotion, la réflexion et bien plus encore. Encore mieux, lorsqu’il est question d’improvisation théâtrale, le besoin de « puncher » ou de performer est largement diminué. De là toute la beauté de voir des acteurs « écrire » une histoire, entreprendre un dialogue ou créer une multitude de scénettes sans grandes contraintes.

Ce soir, les cinq acteurs ont entre autres navigué autour des concepts de la communication, des émetteurs-récepteurs, du poids du sujet, de l’impact de la technologie dans notre quotidien ou de l’envie d’avoir de l’attention et d’occuper l’espace. Le concept général est pertinent et plusieurs bonnes idées ont été captées au vol. Malheureusement, même si tout ne doit pas toujours être digne d’intérêt lorsqu’on assiste à de l’improvisation, la moyenne de ce soir n’était pas assez élevée.

Le 14 novembre, le 5 décembre, le 16 janvier, le 27 février et le 7 mai prochain, Antoine, Édith, Anaïs, Guillaume et Frédéric reprendront leur merveilleuse idée dans une toute nouvelle direction. Certaines de ces soirées risquent d’être merveilleuses. Pourtant, aujourd’hui, la soirée donnait l’impression qu’elle était plus utile au travail et au développement des acteurs qu’au plaisir des spectateurs.

Espace Libre 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin


mardi 23 août 2011

Critique de “L’Enclos de l’Éléphant” : l’inconfort de l’étranger qui sommeille en nous

La succession fulgurante des mots imaginés par Étienne Lepage n’était pas encore venue à nos oreilles que déjà, quelque chose venait de se passer. De par son propos admirablement servi par la mise en scène de Sylvain Bélanger, L’Enclos de l’Éléphant est une expérience théâtrale faite sur mesure pour les murs de l’Espace Libre.

Dès notre entrée dans la salle, l’acteur Denis Gravereaux est assis au centre de la pièce, occupé à lire son journal, pendant que nous prenons place sur des chaises qui sont séparées par une cloison nous empêchant de voir nos voisins immédiats. Le principe de réception passive n’est donc plus de circonstances avec l’Enclos de l’Éléphant.

Les minutes passent et le personnage interprété par Paul Ahmarani entre à son tour. Demandant au propriétaire de la maison de l’accueillir le temps d'une averse, le personnage d’Ahmarani s’invite, déblatère, convainc et s’installe. Au lieu de prendre place dans un coin, l’homme s’incruste, fait la discussion, propose un jeu, teste son hôte et s’amuse à ses dépens. Tranquillement, la politesse et les marques de gentillesse sont remplacées par la violence physique et la torture psychologique.

Tout du long, sans s’en rendre compte, le spectateur est à moitié complice de la situation. Grâce aux haut-parleurs installés sur la cloison qui le sépare des autres spectateurs-voyeurs, il entend très clairement les propos d’Ahmarani retransmis par un micro. Installé à quelques mètres des deux hommes, le spectateur devient presque partie prenante de l’action. L’idée est brillante. Même si la disposition circulaire de la salle nous impose les réactions des autres spectateurs (sourire tendrement diverti, bouche ouverte de stupéfaction, regard effaré) et que le principe est franchement désagréable pour ceux qui apprécient rester dans leur bulle en allant au théâtre, l’effet sert le propos. On se regarde les regarder eux, les deux hommes, les deux étrangers, ceux qui ne sont pas nécessairement qui l'on croit qu’ils sont, ceux qui démontrent à quel point notre société peut être endormie. Avec l’Enclos de l’Éléphant, c’est toute la perception de l’Autre qui est remise en question : la confiance qu’on lui accorde, l’impression de le connaître et le reflet de ce qu’on est à travers lui, soit tout aussi étranger à soi-même que l’on peut l’être pour les autres.

Le texte de l’Enclos de l’Éléphant est incroyablement verbeux, le personnage interprété avec grand talent par Paul Amharani ayant trouvé le moyen d’embrumer son hôte grâce au pouvoir de ne rien dire sans jamais finir par se taire. Bien entendu, qui dit verbeux, dit souvent effort du spectateur, ce qui ne plaît pas à tout le monde. N’empêche, en présentant L’Enclos de l’Éléphant en début de saison, l’Espace Libre respecte l’un des mandats premiers du théâtre : celui de nous faire vivre une expérience ! Pour cela, nous ne pouvons que lui en être reconnaissants.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

23 août au 10 septembre – Espace Libre

lundi 22 août 2011

Kim Thuy : une rencontre, un regard, un roman. RU.

On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Enfant, l’auteure Kim Thuy ne savait pas qu’elle allait obtenir le statut de réfugiée en fuyant son Vietnam dans la cale d’un bateau. Jeune adulte, je ne savais pas que j’allais faire la rencontre de Kim Thuy, qu’elle allait m’offrir son premier roman et que ses mots allaient toucher quelque chose de profond en moi.

Il y a près de 2 semaines, accompagné d’un ami, je faisais mon entrée à la Place-des-Arts pour assister à une pièce de théâtre présentée dans le cadre des célébrations de la Fierté. Autour de nous, une centaine de spectateurs, une grande majorité d’homosexuels et une voisine, un visage connu, une auteure, Kim Thuy. Voyant que l’homme assis devant elle la dépassait facilement d’une tête, mademoiselle l’auteure s’est approchée de mon oreille en m’avertissant qu’elle allait sûrement devoir se coller sur moi pour voir l’action sur scène. Ma réponse, un sourire en coin : « Pas de problème, vous êtes à l’endroit idéal pour vous coller sur un homme sans qu’il n’y ait d’ambigüité. » Après avoir goûté à son éclat de rire et avoir effleuré le début d’une charmante conversation, nous avons assisté à la pièce de théâtre.

Environ 90 minutes plus tard, la moitié des spectateurs étaient debout pour ovationner le spectacle. Pendant ce temps, l’Ami, Kim et moi-même sommes restés assis. « Est-ce que c’est moi qui n’ai rien compris ? » nous a-t-elle demandé en observant la réaction des autres spectateurs. « Je n’ai vraiment pas aimé ça », a-t-elle ensuite avoué. En prenant la peine de discuter avec Kim de tout ce que nous n’avions pas aimé nous non plus, j’ai réalisé que la magnifique spontanéité non censurée de mademoiselle Thuy risquait de se rendre aux oreilles de l’auteur, qui prenait place à 3 mètres de nous. Amusé par la situation, je me suis assuré que notre trio se transporte à l’extérieur de la salle avant de poursuivre.

Plus tard dans notre discussion, le livre de mademoiselle Thuy a fait surface. « Un tout petit livre de rien du tout », précisa-t-elle, étrangement modeste. « Yeah right, un petit livre qui a eu un succès critique et populaire, et qui a reçu plein de prix depuis 2 ans », ai-je ajouté, soucieux de rendre à César ce qui revenait à César.

Le temps s’écoulait, l’énergie qui se dégageait de notre trio était belle à voir et mademoiselle Kim nous a proposé de nous donner un exemplaire de son roman. « Venez avec moi, j’ai une boîte de livres dans ma voiture. » C’est ainsi que l’Ami et moi avons suivi Kim Thuy sous la pluie battante avant de nous engouffrer dans la petite voiture jaune serein de ce petit bout de femme. En réalisant que l’Ami et moi n’étions pas un couple – en affirmant sans gêne que nous étions tous les deux bien plus beaux et plus intéressants que les deux acteurs ayant pris part à la pièce – Kim nous a dédicacé un livre chacun. S’en est suivi plus d’une heure de discussion sur des sujets que des étrangers n’abordent généralement jamais en se rencontrant. Déjà, l’Ami et moi savions que nous vivions quelque chose de spécial.

Finalement, plus d’une heure après la fin de la pièce de théâtre, Kim nous a laissé dans un café avec un exemplaire de RU, son premier roman, avant d’aller se reposer en vue de sa participation à l’émission de radio Sans Préliminaires, à la Première Chaîne de Radio-Canada, où elle a glissé un petit mot sur la fin de soirée qu’elle avait passée avec deux jeunes hommes dans sa voiture.

Quelques jours plus tard, il y a eu RU, le roman, l’inattendu, l’ébranlant, le sublime. RU, ce roman qui ne prend que trois heures de votre vie, mais qui reste gravé en vous jusqu’à la fin de celle-ci. RU, cette histoire d’exilée, de Vietnam déchiré et de Québec fait sur mesure pour réconforter. RU, ce roman de petite fille qui grandit trop vite et de femme qui ne veut plus vivre sans l’émerveillement de ses premières années.

L’écriture de Kim Thuy a le pouvoir de nous transporter où bon lui semble. Ses phrases installent des images au fond de nos yeux : des photos du passé, une idée du présent, une impression de l’entre-deux. Son vocabulaire est riche et goûteux, son histoire inimitable et toute personnelle. Rares sont les auteurs qui savent accrocher leurs lecteurs aux fruits de leur imagination, tout en les berçant avec une poésie et une musicalité littéraire qui n’ont rien d’hermétiques.

Lire Kim Thuy, c’est comme rencontrer Kim Thuy : une belle surprise, beaucoup de vérité, aucun détour, un amour de la vie qui dépasse de partout, une conscience et une inconscience du monde qui n’appartiennent qu’à elle, une envie de relire un passage, de réentendre une parole, de revoir un sourire, de revivre un souvenir, de souligner une pensée et de retrouver l’âme d’une auteure comme il s’en fait peu dans le monde.

Prenez un instant pour regarder la photo de Kim Thuy, analysez-la, ressentez-la. Suis-je le seul à y voir une blessure enrobée de résilience, une douceur entourée de mélancolie, une fragilité rattrapée par la force et un amour de la vie qui n’a de limites que dans une réalité qui ne sera jamais plus la sienne ?

Kim Thuy est une exception de femme. Une auteure de renom. Une femme qui s’apprête à lancer un nouveau roman. Et une rencontre qui gardera à jamais une place dans mon cœur de petit garçon.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin.

Critiques roman :
"L'École des Films" : déclaration d'amour père-fils à travers le 7e Art
17 façons de "Cherchez la Femme", dont 9 que je ne veux jamais oublier
"Encore un Pont à Traverser" : ce roman qui valait mieux que des feux d'artifice


samedi 20 août 2011

Critique cinéma - “One Day” : l’étincelle amoureuse d’une amitié qui traverse le temps

En écrivant le scénario tiré de son propre roman avant de confier les rênes de son histoire au réalisateur Lone Sherfig, l’auteur et scénariste David Nichols propose aux amoureux de comédies romantiques un vent de fraicheur estival qui possède tout ce qu’il faut pour les charmer, les faire réfléchir et les divertir, mais sans jamais passer près de les abrutir.

Le 15 juillet 1988, la grande histoire d’amitié presque non-amoureuse de Dexter et Emma prend son envol. Après avoir passé la nuit de leur graduation ensemble, les deux jeunes diplômés entretiennent une amitié dont les cinéphiles ont un aperçu le 15 juillet de chaque année, pendant près de 20 ans. Support moral inébranlable, confiance aveugle, ambiguïté sexuelle et amoureuse plus ou moins présente pendant des années, la relation d’Emma et de Dexter devient éventuellement un exemple parfait de montagnes russes émotives qui finissent par les éloigner. Malgré la complicité qui les unit et la capacité qu’ils ont de voir le meilleur en l’un et en l’autre, les deux amis sont de parfaits opposés qui finissent par entrer en collision. Dexter est spontané, superficiel et inconscient là où Emma gagne en lucidité et perd en laisser-aller.

Bien que la trame narrative de One Day soit dotée de quelques rares longueurs, à l’image de l’existence de toutes personnes un tant soit peu normales, l’écriture de David Nichols offre quelque chose de simple et de fluide à la construction particulière de son scénario. L’évolution de son histoire à coups de 365 jours reste crédible et agréable à suivre en raison de la direction artistique de la production (costumes, coiffures, accessoires, trame musicale), de la volonté évidente de ne pas rester en superficie et du travail ingénieux de Lone Sherfig. Évitant les esbroufes visuelles qui ne servent pas son histoire, le réalisateur possède pourtant le don de créer des dizaines de passages magnifiquement beaux qui nous font voir la beauté dont sont capables Emma et Dexter.

Au-delà du travail visuel et de l’écriture de One Day, le film gagne en magie et en pertinence grâce au travail de Jim Sturgess et d’Anne Hathaway. L’acteur qu’on a découvert dans Across the Universe possède un charme incandescent et une sensibilité qui lui permettent de se glisser dans toutes les situations avec l’aura d’un acteur d’exception. Quant à Anne Hathaway (à  l’accent britannique fort crédible, au risque de manquer de clarté à quelques reprises), force est d’admettre que l’actrice est une des rares vedettes du cinéma à conserver autant de vérité dans son jeu. Hathaway accepte de ne pas toujours être belle à l’écran, elle possède un sens du timing incontestable, un talent pour l’humour et pour le drame et un abandon dans chacun de ses personnages. Un peu à l’image de celui qu’elle interprétait dans The Princess Diaries il y a de cela 10 ans, sa belle Emma évolue et gagne en beauté pendant les vingt années de son histoire avec Dexter. Touchante, juste, drôle et fort séduisante, Anne Hathaway forme avec Jim Sturgess un duo magnifique qui fait de One Day un joli petit film qu’il fait bon regarder.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin



jeudi 18 août 2011

Critique - “Deux ans de votre vie” : l’affrontement du couple et du célibat !

Avec la pièce « Deux ans de votre vie », la compagnie des Biches Pensives offre au public montréalais la meilleure pièce qui soit pour reprendre le pouls du théâtre après les vacances. Universalité du propos, traitement rafraichissant, énergie folle, des acteurs qui s’amusent, la soirée est rien de moins que magnifique.

En créant « Deux ans de votre vie », Les Biches Pensives ont réussi le pari de faire du théâtre léger ET réfléchi en plein été. Tout en abordant la notion du couple et du célibat avec quantité de généralités (impossible de faire autrement avec un sujet aussi connu de tous), l’auteur Rébecca Déraspe trouve le moyen d’insuffler une grande dose d’originalité à la question.

Qu’ils usent de dialogues ou qu’ils deviennent tour à tour narrateurs de leur propre histoire, les trois personnages principaux débutent la pièce en tant que célibataires. Face à cette situation, l’un envisage le suicide, l’autre hésite entre se complaire dans sa solitude et chercher désespérément sa « tendre » moitié, et la dernière assume pleinement son choix : non pas celui d’être seule, mais plutôt celui d’être célibataire. Peu à peu, maligne et débordant d’idées tordues pour s’assurer de conserver son calme et son autonomie, la plus heureuse du trio s’arrange pour que les deux premiers « deviennent » des amoureux. S’en suivent alors une série de découvertes sur l’un et l’autre, d’étapes de couple clichés mais hautement divertissantes, de passages vantant les mérites de la vie à deux, le tout couronné par le plaidoyer franchement convaincant de la belle ratoureuse qui vante les bienfaits de son célibat.

« Deux ans de votre vie » interpelle en nous plusieurs questions face à la solitude : est-ce normal de la choisir, savons-nous vraiment l’apprécier, faisons-nous tout ce qui est en notre pouvoir pour l’éviter et jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour faire partie de cette société qui prétend que le bonheur se trouve dans le chiffre deux ?

Drôle, corrosif, rythmé, rempli de phrases punchées, réussissant le pari d’offrir un point de vue neuf sur un sujet vieux comme le monde, le texte de Deraspe profite également du travail de mise en scène de Jacques Laroche. En trouvant le moyen de nous faire imaginer tout ce qu’il veut avec presque rien (une chaine, deux tables, une couverture et deux grandes fenêtres), en faisant bouger les acteurs sans arrêt et en étant toujours pertinent, Jacques Laroche épouse le rythme des mots de Deraspe comme si c’était les siens.

Raison de plus pour célébrer cette création, les trois acteurs sont splendides. Ni Benoit Drouin-Germain, ni Annie Darisse, ni Dominique Leclerc n’a besoin d’une période d’ajustement pour être justes et crédibles en entrant sur scène. Les trois acteurs s’amusent comme jamais, ils sont vrais, simples, cabotins, touchants et méritent pleinement les salves d’applaudissement qui leur sont réservés à la toute fin.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui – 16 août au 3 septembre

*Photo : Jérôme Leclerc

dimanche 14 août 2011

Critique du roman “L’École des films” : déclaration d’amour père-fils à travers le 7e Art

L’École des Films est un petit bouquin de 200 pages que j’ai aperçu en inclinant mes 6 pieds 4 pouces vers une petite étagère d’un grand magasin. En prenant le roman dans mes mains, j’ai d’abord cru avoir à faire à un livre qui énumérait les films qu’il me fallait voir avant de mourir. Quelques heures de lecture plus tard, je peux maintenant dire sans me tromper que cette brève histoire risque de ravir tous les amateurs de cinéma, mais qu’elle est surtout faite pour charmer ceux qui ont un faible pour les histoires débordantes d’humanité.

Écrite par David Gilmour, critique de cinéma et auteur canadien-anglais à qui l’ont doit « Une nuit rêvée pour aller en Chine », l’histoire de l’École des Films est bien simple : voyant le désintérêt viscéral de son jeune adolescent pour la vie académique, un père offre à celui-ci la possibilité de quitter l’école, à la seule condition qu’il accepte de regarder environ 3 films par semaine avec son père.

Bien entendu, un roman traitant de cinéma écrit par un ancien critique, c’est captivant du début à la fin. Pendant les trois ans que dure le pacte entre le père et l’adolescent, à peu près tous les genres sont regardés : les films d’écriture, les films marquant les débuts de certains grands réalisateurs, les films rendus intéressants par la seule performance d’un acteur, les films qu’on a honte d’aimer, des films issus des années 40 aux années 90, etc. Non seulement cette « énumération » de bijoux cinématographiques nous apprend-elle une quantité faramineuse d’informations sur des noms et des œuvres dont on entend parler dès qu’on se passionne un peu pour le 7e Art, mais elle nous permet également de découvrir des dizaines de films obscurs qui méritent clairement le détour.

Au-delà de l’aspect cinéma de l’École des films, l’autofiction de David Gilmour nous invite à observer une relation père-fils hors du commun. Trois années qui ne repasseront plus jamais dans leur vie, trois années qui les marqueront tous deux bien plus qu’ils ne pourraient l’imaginer. L’écoute d’un père envers son fils, les conseils qu’il apprend à donner sans faire la morale, sans aller trop loin, sans briser le lien ténu de confiance qu’il a réussi à maintenir avec son adolescent. Ce regard d’un père qui revisite ses propres expériences pour aider son fils à survivre aux histoires de cœur, à avancer, à se trouver, à grandir.

À l’image des deux personnages principaux du roman, l’écriture de David Gilmour est simple, sensible, directe, vraie, profondément humaine et elle profite des nombreuses références visuelles de cet amoureux du cinéma pour nous faire goûter à plusieurs images évocatrices à souhait.

Un petit charme que cette histoire.

 (Éditions LEMÉAC)

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin.


mercredi 10 août 2011

Comédie musicale "LE ROI LION" : can you feel the love tonight ?

On la savait grandiose, générant des millions et parcourant la planète pour éblouir les spectateurs de partout, mais on sait maintenant pourquoi la comédie musicale du Roi Lion est le genre de production qui redéfinit les standards de qualité à Broadway.

Créée à New York en 1998 sous la direction de Julie Taymor et récompensée d’une pelletée de prix depuis, la version musicale du film d’animation de Disney a rencontré l’âme et le regard ébloui de plus de 54 millions de spectateurs depuis ses débuts, faisant ainsi sa place dans le cercle fermé des spectacles musicaux les plus populaires de l’histoire.

Les raisons de ce succès retentissant nous apparaissent dès les premières minutes lorsque des reproductions époustouflantes d’animaux de la savane africaine font leur entrée par le parterre et les balcons de la salle Wilfrid-Pelletier. Non seulement les artistes entament-ils la soirée en chantant The Circle of Life, qui ne peut faire autrement que de rappeler des souvenirs intarissables à quantité d’anciens enfants et de parents, mais ils le font en nous en jetant plein la vue. L’inventivité et le travail de minutie qui a été déployé afin de reproduire fidèlement les animaux font des costumes et des accessoires les premiers responsables de notre éblouissement.
 
Tout le reste fait partie de l’histoire. Que ce soit en version musicale ou en version cinématographique, le Roi Lion compte son lot de personnages attachants, de chansons qu’on ne peut s’empêcher de fredonner pendant des jours et de morales humanistes saupoudrées façon Disney (c’est-à-dire avec une légère insistance qu’on essaie de camoufler en nous divertissant avec grand talent). Les chorégraphiques, les couleurs éclatantes des costumes et les langues parlées-chantées à l'occasion (Swahili, Zulu, Xhosa, Sotho, Tswana, Congolese) font du Roi Lion une œuvre exotique qui appartient à nos racines culturelles depuis maintenant plus de 15 ans.

Durant plus de 2h30, le Roi Lion comporte bien sûr quelques longueurs. Les artisans de la comédie musicale ont ajouté quelques passages chansonniers qui n’existaient pas dans le film et qui ne servent pas toujours à la progression du spectacle. Il est également nécessaire de prévenir les spectateurs qui ne possèdent pas un anglais suffisamment avancé pour tout comprendre que la qualité de la traduction sur les écrans laisse à désirer et que son responsable n'arrive tout simplement pas à suivre le cours de l'histoire.

Pourtant, devant la splendeur qui s’offre à nos yeux, la solidité vocale et le talent d’interprétation de l’ensemble de la distribution (même les enfants), on ne peut faire autrement que de se laisser charmer par la majesté du spectacle qui nous est proposé. 
 
9 août au 4 septembre
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
 


mardi 9 août 2011

“Les Anciennes Odeurs” : une œuvre gaie au résultat peu joyeux

Bien des éléments ont été mis en place afin de créer un bel événement au Studio-Théâtre de la Place-des-Arts dans le cadre des célébrations de la Fierté de Montréal: une œuvre méconnue de Michel Tremblay qui s’attarde à plusieurs aspects des relations homosexuelles, une direction artistique orchestrée par l’actrice chouchou de l’auteur, Rita Lafontaine, et deux acteurs prêts à s’investir corps et âme pour monter le projet. Malheureusement, malgré toute la bonne volonté du monde, le résultat est drôlement mitigé.

Parlons d’abord de l’histoire imaginée par Michel Tremblay il y a déjà plus de 30 ans. Avec Les Anciennes Odeurs, le prolifique auteur s’intéresse au destin de Luc et de Jean-Marc, deux anciens amoureux qui se retrouvent et qui replongent dans le passé en réalisant qu’ils sont l’un pour l’autre la seule personne en qui ils ont suffisamment confiance pour se confier. Avec eux, un thème n’attend pas l’autre : sentiment de médiocrité face à l’existence, peur de voir un parent mourir, rapport trouble face à la popularité, visions de l’amour, du couple, du sexe et de la fidélité.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi cette pièce de Tremblay a été jouée bien moins souvent que tous ses autres grands succès. Avec Les Anciennes Odeurs, l’auteur essaie de ratisser trop large, il traite des questions homosexuelles avec quantité de clichés fort dérangeants, il aborde la modernité avec bien moins d’aisance que l’époque de son enfance et il utilise une série de métaphores oniriques qui ne collent pas du tout à l’œuvre foncièrement réaliste qui nous est présentée.

Dans la version août 2011 de la pièce Les Anciennes Odeurs, on retrouve plusieurs autres faiblesses. Manque de naturel des acteurs – ouvertement amateurs, si cela peut nous rendre plus indulgents – gestes et déplacements plaqués, impression que la tendresse et les vieilles habitudes de cet ancien couple n’ont rien de réels, un acteur (David Marcel) qui mélange les accents québécois et européen, en plus d’alterner fort maladroitement des passages exprimés avec une diction relâchée et d’autres avec une diction plus pointue, un deuxième acteur (Francis Bourgea) qui n’a pas du tout le charisme et la beauté physique pour interpréter le personnage de Jean-Marc qu’on décrie comme étant presque magnétique. Tout cela sans oublier les nombreux moments de baisers et de caresses qui provoquent des malaises chez certains spectateurs. Qu'on se le dise, les malaises ne sont aucunement générés parce que ce sont deux hommes, mais plutôt parce qu’on ne croit pas à leur intimité et que c’est agaçant.

Bien entendu, il y a de beaux moments, beaucoup de tendresse et il est foncièrement agréable de voir des gais vivre une histoire que n’importe quel autre couple hétérosexuel aurait pu vivre. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une production d’un grand théâtre avec tous les avantages que cela implique. N’empêche, Les Anciennes Odeurs ne sont tout simplement pas à la hauteur.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

9 au 13 août 2011

dimanche 7 août 2011

Critique du film RISE OF THE PLANET OF THE APES : divertissante, la laideur humaine ?

Si vous n’êtes pas de cette génération à qui l’on a présenté trop de films sur la Planète des Singes et que vous avez encore la capacité de vous laisser aller à un minimum de science-fiction, vous risquer d’apprécier le « prequel » de la série Planet of the Apes, un film troublant où l’Homme démontre toute l’étendue de son insouciante cruauté. 

 L’histoire mise en images par le réalisateur Rupert Wyatt est fort simple : un jeune chercheur travaille à l’élaboration d’un médicament capable de guérir l’Alzheimer (maladie dont son père est atteint) en réparant et en créant de nouvelles cellules du cerveau. Testé sur des singes avant d’être mis en marché, le médicament permet aux cobayes de développer une forme d’intelligence aux limites encore inconnues. Bien entendu, les choses finissent par déraper. Un chimpanzé médicamenté et surdoué est mis en contact avec ses semblables, le groupe d'animaux est torturé par des humains sans morale, la révolte gronde et les prémisses d’une guerre humano-primate sont mises en place.  

Grâce au montage rythmé, à des plans de vues grandiloquents et à la musique dramatiquement angoissante de La Planète des Singes, il est impossible de ne pas se laisser emporter par la réalisation de Rupert Wyatt.  Bien que la plupart des dialogues soient maladroits, clichés et sans saveur, et que l’acteur principal, James Franco, ait oublié sa vitalité dans une garde-robe pendant la majeure partie du tournage, le scénario de Rise of the Planet of the Apes éveille en nous bien des réflexions. Comment réagir en voyant le regard souffrant d’un animal qu’on est sur le point d’abandonner ? Jusqu’où peut aller la quête de pouvoir de l’homme ? Que peut-on faire en présence d’un animal qui prend conscience de sa force et qui a peur de ses capacités, tout en étant incapable de se laisser dominer.

Bref, grâce à la direction de Wyatt et à l’extraordinaire talent de personnification animale de l’acteur Andy Serkis, à qui l’on doit la création de Gollum dans le Seigneur des Anneaux, on prend soudainement conscience de l’humanité animale qui nous entoure et de la bêtise humaine qui nous habite.

Troublant film de divertissement que voilà.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin. 


mercredi 3 août 2011

Critique du film STARBUCK : une immense bouffée d’air frais et d’amour filial

Le film Starbuck a beaucoup pour plaire aux distributeurs : une des vedettes masculines les plus en vue des dernières années (Patrick Huard), une actrice qui transforme en merveille tout ce qu’elle touche (Julie Le Breton) et un acteur-animateur qu’on voit partout sans arriver à se tanner (Antoine Bertrand). Toutefois, quand on se retrouve devant le dernier-né du cinéma québécois, on comprend vite que le film tire toute sa force dans le brillant scénario de Ken Scott et Martin Petit.

Simple et originale, l’histoire de Starbuck s’attarde au destin de David Wozniak, un livreur de boucherie irresponsable et immature. Aux prises avec une dette de 80 000$ et une copine enceinte qui en a plus qu’assez de le voir se défiler, Wozniak apprend soudain que les centaines de dons de sperme qu’il a faits dans sa jeunesse ont permis à 533 enfants de voir le jour et que plusieurs d’entre eux veulent le retrouver. Épaulé dans cette « épreuve » par son ami avocat et père de 4 enfants, Wozniak est partagé entre l’idée de protéger son anonymat et sa réputation et le désir de rencontrer ceux à qui il a donné la vie sans le savoir.

Avec des films comme La Grande Séduction, Maurice Richard et Les Doigts Croches, on savait que le scénariste Ken Scott était talentueux et franchement doué pour relever les subtilités de la nature humaine. N’empêche, en écrivant cette histoire avec l’humoriste Martin Petit, l’auteur offre au public québécois une œuvre rafraîchissante, remplie d’une humanité qui ne tombe jamais dans la morale écrasante, dotée de plusieurs moments qui nous font éclater de rire, de séquences qui nous font sourire et de passages qui nous tirent les larmes.

Malgré les contraintes évidentes de la production d’un film au Québec, Starbuck ne souffre pas de raccourcis frustrants, de placements de produits choquants, d’incohérences flagrantes ou d’un quelconque élément un tant soit peu dérangeant. La portée médiatique que prend l’histoire de David Wozniack est un peu tirée par les cheveux, mais la place qu’elle occupe dans le film est trop minime pour qu’on en tienne rigueur aux créateurs.

Tout coule de source dans Starbuck. Les acteurs, fort nuancés, ont été magnifiquement choisis par la production (mention toute spéciale à tous ces jeunes acteurs québécois qui nous font entrevoir un avenir cinématographique des plus intéressant). La direction photo de Pierre Gill et la réalisation de Ken Scott offrent au récit des couleurs, des angles et un rythme tout ce qu’il y a de plus réalistes, brutes et naturels.

Bien que les artisans de Starbuck ne donnent pas l’impression de vouloir imposer un message aux cinéphiles, force est d’admettre que la place occupée par la famille dans nos vies vient réveiller plusieurs émotions en nous pendant toute la durée du film. Ce qu’un père est prêt à faire pour s’assurer du bonheur de ses enfants : l’accompagnement, le sacrifice, le besoin de protéger. Ce qu’une famille peut avoir de bon dans la vie d’un être humain : se savoir entouré, être considéré par un groupe de semblables qui a notre bien-être à cœur et faire partie d’un clan. Voilà quantité de réalités que l’histoire de Starbuck aborde avec émotions et légèreté.

Qu’on se le dise, il fait du bien au cœur, ce Starbuck.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin.




lundi 1 août 2011

Le Yin et le Yang du Sage Gamin en Chine


Le Yin et le Yang, la mort et la vie, le mal et le bien, voilà un célèbre concept de dualité que la planète entière associe à la Chine depuis des siècles. Ce sont d’ailleurs des impressions totalement opposées qui me permettent de vous décrire mon voyage dans l’Empire du Milieu : majestueux, imparfait, fascinant, confrontant et tout ce qu’il y a de plus mémorable. 

Qui aurait cru il y a de cela quelques années que le jeune Abitibien que je suis allait visiter la Chine si tôt dans sa vie ? Voyez-vous, je suis entouré depuis des années de plusieurs amis globe-trotters avec une feuille de route impressionnante. Avec eux, tous les continents ont déjà été visités. De mon côté, je n’avais vu que le Yukon, Vancouver, New-York, Boston, en plus d’avoir fait un premier voyage outre-mer en France et en Angleterre l’automne dernier. Charmant, mais peu impressionnant. Voilà que je me fais annoncer l’hiver dernier que mes patrons (je suis coordonnateur aux communications chez Plongeon Québec et Plongeon Canada) m’offrent la chance d’agir en tant qu’attaché presse de l’équipe canadienne de plongeon aux Championnats du monde aquatiques présentés à Shanghai. Je vous épargne les détails professionnels de mon voyage, mais n’empêche que le sentiment qui m’habitait le jour de cette annonce a été le même que celui que j’ai ressenti pendant les trois semaines passées au pays de Mao : je suis tellement en Chine !

Peu importe que mes journées chinoises aient été grandioses ou profondément frustrantes, je m’endormais chaque soir avec un seul et même constat : tu es à l’autre bout du monde, mon bonhomme, à l’autre BOUT du monde ! Grisante réalité.

Le 10 juillet dernier, je quittais donc mon île adorée pour le plus grand voyage de ma vie. La belle Hochelaga a cédé le pas à l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau un samedi matin, à une escale d’une heure à Toronto où j’étais déjà entouré de 98% de visages asiatiques, à un avion qui allait devenir ma maison, mon lieu de travail, mon salon et ma chambre à coucher pendant rien de moins que 13 heures. Je suis fier d’avoir survécu à ce voyage. N’ayant jamais été réputé pour ma patience et me voyant dans l’obligation de composer avec 6 pieds 4 pouces de jambes, l’idée de me retrouver confiné dans un espace grand comme ma main pendant plus d’une demi-journée ne m’enchantait pas particulièrement. J’y suis pourtant arrivé. Shanghai s’ouvrait à moi.

Je vous le dis d’entrée de jeu, Shanghai n’a pas été pour moi la ville de la découverte infinie. J’étais là principalement pour travailler. Logé dans un grand hôtel, encadré par une organisation fabuleuse, accompagné des meilleurs plongeurs au pays, m’assurant de gérer les demandes des médias canadiens avec les 12 heures de différence, je travaillais tôt le matin, je passais la journée à la piscine extérieure de plongeon (une splendeur de plusieurs millions de dollars), et je continuais de travailler en soirée. En gros, pendant deux semaines, ma vie se résumait à du monde en maillot, un ordinateur portable et un cellulaire cheap acheté au magasin du coin pour remplacer mon iPhone qui ne fonctionnait pas avec le système de téléphonie chinois (une petite fin du monde pour un gars en relations publiques).

Même si la majeure partie de mes journées était consacrée au travail, mon sens de l’observation a pris le temps de faire quelques constats. Le premier en liste ? Il fait chaud en Chine ! Oh et puis non, rectification : il faut chaud EN VIARGE en Chine ! Je transpirais ma vie, je touchais le smog du bout des doigts, je traînais une serviette avec moi presque partout, je prenais enfin conscience que l’antisudorifique était l’invention la plus géniale de l’histoire et je me faisais pote avec l’air climatisée, même si celle-ci avait détruit ce qui me restait de gorge après mon voyage en avion (une petite fin du monde pour un gars qui pratique le chant plusieurs heures par semaine).

Puisque Shanghai est une ville de bord de mer, la sensation d’humidité n’en était que décuplée : 80% d’humidité tous les jours. Lorsque j’entendais mes amis montréalais se plaindre de la « canicule » qui a sévi pendant trois ou quatre jours dans la métropole, je ne pouvais pas m’empêcher de crier intérieurement :

-C’est 1000 fois pire ici et ça ne dure pas juste 4 jours !

Par quoi d’autre ai-je été frappé ? Les 1.6 milliard de Chinois qui m’entouraient ? Le sentiment de minorité visible qui m’assaillait ? Pas vraiment non. J’étais préparé tout cela. S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est le trafic. La circulation chinoise est complètement folle : des piétons, des cyclistes, des scooters, des voitures, des autobus, un non-respect évident des feux de circulation et l’impression incontestable que le piéton chinois est au bas de la chaîne alimentaire des rues de Shanghai et de Pékin. Ici, n’espérez pas marcher en écoutant de la musique sur votre iPod. Traverser la rue est un sport, un exercice de concentration et l’occasion unique de se sentir unis contre l’adversité : à un moment donné, on réalise que notre meilleure option pour survivre est de traverser en groupe. C’est plus difficile de foncer sur un troupeau que sur un seul individu, c’est bien connu…

Côté look et design, Shanghai m’est apparue comme une ville généralement hideuse, mais ponctuée de quelques splendeurs architecturales. Shanghai est grise, remplie de tours d’habitation sans âme, tout en étant reconnue pour le talent de plusieurs architectes étrangers qui se sont fait un nom dans la ville chinoise. Une visite au Bund sur le bord de l’eau et un détour vers le temple bouddhiste s’avèrent incontournable, tout autant parait-il que l’expérience des massages à bas prix et que le magasinage au market. À ce chapitre, si vous voulez survivre aux impitoyables vendeurs chinois, sachez marchander vos prix, soyez patients, n’ayez pas peur de la confrontation, des cris, des insultes, des petites Chinoises qui courent après vous dans les couloirs en vous disant que vous êtes fou (dans un anglais impeccable pour faire de l’argent sur votre dos) et sachez être fermes. Quelle impression ai-je gardée de ma première expérience au market ? Je voulais retourner dans ma chambre d’hôtel en 4e vitesse et me coucher en petite boule. Une horreur !

Arrive alors Pékin, ou Beijing pour les Anglos. De l’avis de tous, la ville de Pékin profite encore aujourd’hui des Jeux olympiques de 2008 pour se renouveler, se moderniser, se rénover et continuer son ascension vers les plus hauts sommets. De nouvelles lignes de métro (clair, bilingue, climatisé, propre, un véritable exemple pour Montréal), plusieurs constructions et une impression de croissance incessante. Paradoxalement, à Pékin comme à Shanghai, villes peuplées de 20 à 30 millions d’habitants, tout est extrêmement propre. L’air est sale, mais les rues sont constamment nettoyées et dénuées de détritus. On aime.

Pour moi, Pékin est synonyme de visites, de solitude et d’un congé de travail bien mérité. Être seul à l’autre bout de la planète n’est pas aussi effrayant que je le croyais. Se savoir entouré d’inconnus qui ne parlent ni anglais, ni français, profiter de quelques jours pour oublier sa ville, son travail et ses tracas, se laisser porter par les découvertes, les chocs culturels et les comparaisons, ça reste quelque chose de profondément beau.

Dès le premier jour, je marche vers la Place Tiananmen (haut lieu historique et politique), je me fais proposer de faire le trajet sur un banc accroché à un vélo pour 3 yuans (même pas 50 sous canadiens), j’accepte, je vois le petit Chinois travailler très fort pour conserver son air d’allée (n’oublions pas que je suis tout sauf minuscule), il conclue la randonnée après 10 minutes en me demandant 300 yuans (ah ben *&?*?%), se fait rejoindre par un ami pour me crier dessus, profite de mon hésitation à le bousculer ou à courir (la prison en Chine ou une attaque à l’arme blanche, très peu pour moi), et s’en retourne le visage satisfait.

Voyez-vous, c’est ça la Chine : une puissance économique mondiale dont les habitants encore trop pauvres ont le réflexe de voir les blancs occidentaux comme des riches à qui ils doivent soutirer le plus d’argent possible. Comment s’y prennent-ils ? En offrant biens et services au quadruple du prix (au marché, avec les tours organisés, les guides personnels, les spectacles), en augmentant le prix du taxi en sachant très bien qu’on ne peut pas les obstiner en chinois, en étant un employé d’hôtel qui vous conseille de prendre un taxi en vous faisant croire que votre destination est beaucoup trop éloignée pour vous y rendre à pied (alors qu’elle n’est qu’à 15-30 minutes) ou en réalisant que votre journée de visites de lieux historiquement touristiques se conclue dans un magasin-usine-musée de la soie ou de bijoux afin que vous soyez captivés par la nature unique et merveilleuse de leur talent et que vous vidiez vos poches dans leurs caisses enregistreuses.

Alors, à Pékin, il faut beau, il fait soleil et il fait chaud ! Les bouteilles d’eau (scellées et achetées dans un endroit sûr) deviennent vos meilleures amies, à défaut de quoi vous serez obligés de cultiver votre salive pendant des heures (tranche de vie).

Tout aussi historique et significative puisse-t-elle être dans l’histoire politique de la Chine communiste, la Place Tiananmen ne m’a rien apporté de bon. Des monuments, un drapeau et à peu près rien d’autre. Tout près s’ouvrait à moi l’immense Cité interdite, lieu de résidence de l’empereur de Chine à l’époque. Immense, merveilleuse, remplie à extrême capacité par les Chinois qui jouent aux touristes chez eux en quantité. J’hésite à l’idée d’engager un guide qui parle anglais pour faire la visite, mais je réalise plus tard à quel point je suis heureux de n’avoir personne à perdre dans la foule compacte. Ma solitude touristique me sert bien ce jour-là.

Peu de temps après, je rencontre une jeune Chinoise qui m’aborde sur la rue, qui marche avec moi, qui me parle de la nouvelle génération de Chinois, de leur ouverture d’esprit, du symbole de rêve américain que représentent tous les Westerners comme moi. Deux heures après avoir profité de son aide pour me trouver un tour guidé pour la Grande Muraille sans me faire arnaquer, je continue ma route avant de me faire aborder par une deuxième Chinoise le même après-midi. I’m a big hit in China, mais je ne m’enfle pas la tête. En plus d’être un symbole de richesse nord-américaine, je me démarque en un clin d’œil : très grand, la peau pâle, de grands yeux clairs et des cheveux blonds, difficile de passer inaperçu dans les rues de Pékin.

Le lendemain, réveil vers 7 heures pour passer la journée dans le seul tour guidé que j’accepte de faire en Chine. Une heure d’autobus, visites aux Tombes de l’Empereur Ming, qui s’est construit un genre de Palais de la mort pour contrebalancer la partie vivante de son existence (Yin et Yang). Pour en sortir, nous passons sous une arche en faisant des gestes et en prononçant des paroles servant à faire comprendre à l’univers que nous sommes de retour dans le pays des vivants. Se présente alors le plat de résistance : la Grande Muraille de Chine. Si depuis le début de mon voyage, je me pince en réalisant que JE SUIS EN CHINE (!), je me dis cette fois que JE SUIS SUR L’UNE DES 7 MERVEILLES DU MONDE ! C’est immense, c’est impressionnant, c’est en montagne, loin de la ville, ça sent bon, ça respire bien, c’est hautement significatif, mais je ne peux m’empêcher de faire un constat qui me désole grandement : dans le fond, la Grande Muraille, ce n’est rien d’autre qu’un très long tas de pierres qui a servi à se défendre contre l’invasion des Mongoles, il fut un temps, jadis, naguère. J’essaie de profiter pleinement de ma présence là-bas, mais je ne suis pas ébranlé émotivement.

Le même jour, je rencontre un couple de Français avec qui je vais manger du canard laqué dans un grand restaurant. Nous poursuivons notre route sur la rue de la nourriture étrange (étoiles de mer, scorpions, scarabées, hippocampes, etc.) et je termine ma journée en m’écroulant dans ma chambre d’hôtel.

La journée du lendemain débute avec le Silk Market afin de tester une nouvelle fois mes compétences de magasineur. Je prends mon temps, je jase, je joue la carte de l’étudiant sans le sou, je les accroche à mon envie de dépenser, je suis ferme, je sais ce que je veux, je m’amuse à me faire crier dessus, j’assume qu’on me traite de fou et je fais descendre les prix avec grand talent !

-Dans vos dents, les Chinois !

En soirée, j’assiste à un spectacle d’arts acrobatiques : les Chinois dans la salle parlent tout du long, les décors et les costumes sont parfaitement ridicules, les artistes sur scène sont là pour faire une job sans la moindre capacité d’interprétation ou de passion pour leur discipline (des petits robots bien entraînés, sans plus), je m’ennuie terriblement du Cirque du Soleil qui a placé la barre trop haute dans ma tête, mais j’admets volontiers que certains numéros sont impressionnants. Il fallait voir les 5 motocyclistes rouler en même temps dans une grosse sphère grillagée sans jamais se rentrer dedans. Complètement fou !


La veille de mon retour au pays, deux visites au programme : le Palais d’été et le Parc du Bambou bleu. Si le premier est encore trop rempli de touristes chinois qui se déplacent en troupeaux de 10, le deuxième est mon plus grand coup de cœur chinois depuis le début. Le parc du Bambou bleu n’est pas un lieu touristique, il est calme, bucolique, il fait rêver, il apaise et il donne envie d’y passer des heures. Écouter I’m Yours de Jason Mraz ou Somewhere over the rainbow du chanteur hawaïen au nom impossible à prononcer (Israel Kamakawiwo’ole) me donne l’impression que j’ai été mis sur Terre précisément pour vivre ce moment. Du gros bonheur sale.

En rentrant ce jour-là, je me perds 40 fois autour du parc et je ressens un truc précis et puissant : c’est l’heure de rentrer. J’en ai assez des Chinois par milliers, du trafic, des foules, du smog, de la pollution, des hommes qui crachent partout. J’ai envie de Montréal (qui a l’air d’une ville de campagne à côté des 2 grandes cités chinoises), de calme et de français. Je m'imagine déjà repartir en voyage, je suis fier d’avoir vécu la Chine (et j’ai une folle envie de connaître les campagnes chinoises), mais j’ai besoin de quitter ce pays.

Je rentre à l’hôtel en soirée, je réveille mes parents au téléphone, je les initie à Skype via Pékin (grand moment de technologie familiale), je passe ma dernière nuit en Chine, je me prépare psychologiquement à 27 heures de déplacement, je me fais une amie à l’aéroport, on s’assure d’être assis ensemble dans l’avion, on écoute 4 heures de musique joyeuse en dansant sur nos sièges et en accrochant un sourire au visage de toutes les hôtesses de l’air, on jase nos vies et on devient amis Facebook pendant notre escale à Toronto, on subit le trafic post-feux d’artifice du samedi soir en perdant notre vie dans la navette faisant le chemin entre l’aéroport et le centre-ville de Montréal, j’arrive à la maison, je m’écroule et me réveille à 8 h 30 le lendemain.

Je ne ressens aucun décalage horaire. Je relaxe. Je suis jeune. Je suis allé en Chine. Et la vie est belle !

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin