mercredi 31 octobre 2012

Critique de « Tout ce qui tombe » au Théâtre d’Aujourd’hui : tout seul ensemble


Avec « Tout ce qui tombe », l’auteure Véronique Côté et le metteur en scène Frédéric Dubois ont trouvé les mots et les images pour décrire avec une acuité renversante le Québec et le monde, la jeunesse, l’histoire, la fuite, les racines, la modernité et l’humanité. Leur pièce est de celles qu’on retournerait voir trois fois, qu’on lirait sans relâche et dont on boirait les paroles jusqu’à plus soif. 

Goûteux, riches et rafraîchissants, les mots de la dramaturge nous racontent trois histoires, trois générations et trois amours. 1989, à l’aube de la chute du mur de Berlin : elle cherche à quitter le pays pour retrouver un enfant qu’elle a dû abandonner, alors qu’il imagine passer sa vie aux côtés de celle qu’il aime, sans avoir à tout bousculer. 1999 : un Québécois, luthier de profession, tente d’avoir un bébé avec sa belle chanteuse d’opéra allemande, même s’il est en train de succomber à la séduisante Québécoise en visite. 2009 : pendant que mademoiselle angoisse et bouillonne chaque minute de son existence, le jeune homme, conscient qu’il perd l’ouï de jour en jour, quitte sans avertissement afin d’apprivoiser ce qu’il ne connaîtra plus et ce qu’il n’a jamais connu. Portrait délicieusement simple et lucide d’une génération d’âmes esseulées qui se côtoient sans savoir se parler, « Tout ce qui tombe » est une petite perle de théâtralité. 

En plus d’être portée par une histoire puissante, l’œuvre profite du remarquable travail de mise en scène de Frédéric Dubois. Son utilisation d’un énorme mur en arrière-plan afin de retranscrire les sous-titres des passages en allemand et pour imager le mur invisible qui entoure chaque parcelle de notre humanité est une brillante idée. Même si plusieurs spectateurs auront besoin du premier tiers de la pièce afin d’apprivoiser la présence occasionnelle de monologues et de dialogues en langue germanique, qui créent une coupure entre le texte et les émotions, sa direction est habile et fluide. 

On sort du Théâtre d’Aujourd’hui avec un sourire attendri au visage, une impression d’avoir été bercée par la vie et la conviction que « tout n’est pas perdu ».

Tout ce qui tombe – 30 octobre au 17 novembre 2012
Théâtre d’aujourd’hui
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/tombe
Crédit photo : Vincent Champoux
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samedi 20 octobre 2012

« Mort ou vif », l’exposition férocement sublime de Mathieu Laca


Bien que plusieurs de ses œuvres fassent partie de collections privées aux États-Unis, en Allemagne, en Norvège et en Israël, le peintre Mathieu Laca présente ces jours-ci sa toute première exposition solo à Montréal, à la Galerie Modulum. Offrant une revue de ses différents projets, allant d’une série de portraits d'artistes ayant influencé son parcours, en passant par des autoportraits où il apparaît dans sa tenue d’Adam et une sélection d’œuvres où l’homme et l’animal se rencontrent à bien des niveaux, l’artiste ne laisse personne indifférent.


En s’appropriant l’image de peintres, d’écrivains et de compositeurs ayant marqué sa vie (Bacon, Borduas, Van Gogh, Picasso, Genet, Tchaïkovski, Pasolini et plusieurs autres), Mathieu Laca y va de clins d’œil à leur œuvre et de références directes à leur technique, en privilégiant une sélection de pigments anciens (sombres, terreux, offrant une variété limitée de couleurs vives et coûtant une petite fortune). Pendant que certains visiteurs seront surpris de voir une série de visages célèbres transformés en monstres, d’autres verront d’abord l’éventail d’émotions qui se dégagent de chaque portrait. Que le regard de ces artistes expriment la résignation, la candeur, l’indifférence, la profondeur, l’austérité, le pouvoir, la sagesse ou l’innocence, il est impossible de ne pas ressentir la charge magnétique de chacun d’eux. 


Laca vous invite ensuite à découvrir une partie de son bestiaire personnel, là où l’homme, la bête et l’érotisme se chevauchent et s’enchâssent. Dans le lot d’œuvres chargées, notons un triptyque d’êtres hybrides : un corps d’oiseau avec une tête d’homme squelettique, agrémentée de croix dans les yeux, un hermaphrodite sans tête, portant un collier de dents animales, ainsi qu’un quartier de viande tout droit sorti de l’abattoir. Mentionnons également la toile où deux hommes nus se font la lutte, surmontés par des chevaux faisant échos à leur propre combat et piétinant un bébé immolé par le feu. Constitué d’œuvres complexes, son bestiaire est une représentation frappante de l’extrême beauté de la violence. Ses toiles nous laissent le souffle coupé, incapables de nous prononcés, tant nous sommes secoués et dérangés. 


La troisième et dernière pièce de la galerie nous invite à découvrir le journal intime en peintures de Mathieu Laca. Mélangeant force et tendresse, domination et confiance, les toiles où le peintre apparaît complètement nu nous laissent entrevoir un amour évident pour le corps de l’homme dans toutes ses nuances.


Vous avez jusqu’au 18 novembre pour faire connaissance avec le travail unique de Mathieu Laca. 

Galerie Modulum
3081, rue Ontario Est (au coin de Moreau)
Espace 301 et 302
Heures d’ouverture : vendredi de 12 h à 17 h / samedi et dimanche de 12 h à 19 






jeudi 18 octobre 2012

« Nom de domaine » au Quat’Sous : de la haute voltige théâtrale

Agissant à titre d’auteur et de metteur en scène sur le projet « Nom de domaine », Olivier Choinière offre aux amateurs du Quat’Sous une pièce imposant une vivacité d’esprit de tous les instants. En déconstruisant les codes du théâtre et en effaçant les frontières du réel et du virtuel, le dramaturge s’aventure dans les hautes sphères de l’intellect et de la création.   

Levons d’abord notre chapeau au travail des acteurs Dominique Leduc, Stéphane Jacques et Jean-François Pronovost, qui arrivent à jouer avec émotions, vérité et cohérence un texte où tout se désarticule sans arrêt.

S’avançant au-devant d’une scène dépouillée de décor, une mère, un père et un fils nous livrent leurs réflexions sur le deuil, morceau par morceau. Un peu comme s'ils le livraient à une partie de ping-pong, les membres de cette famille nous parlent de la carapace souriante qu'ils se sont construite pour se protéger et de l’immense acuité de la vie qu'ils ont développée depuis le drame qu’ils ont vécu et dont ils nous parlent avec parcimonie. 

Se présente alors un jeu vidéo tordu où l’objectif consiste à accumuler les bonnes actions. Répondant aux règles strictes d’une époque révolue, où le sexisme, la religion et les sévices corporels sont encore à l’honneur, le jeu pousse chacun des personnages à faire des choix et à prendre ses responsabilités. On croit alors comprendre que certains des personnages de la réalité n’ont pas toujours pris les leurs, mais rien n’est jamais parfaitement clair dans « Nom de domaine ». 

La virtualité sert ici de test, de confrontation ou de catharsis à la réalité. Les acteurs sont tour à tour personnages et narrateurs, membres d’une famille réelle et virtuelle qui se parlent à travers les « dimensions » et s’échangent les rôles : dans le jeu vidéo, le garçon de la famille personnifie la mère, et vice-versa. 

Véritable pied de nez aux multiples conventions dramaturgiques, le texte de Choinière nous confronte à un troublant questionnement : sommes-nous prêts à délaisser certaines de nos libertés au profit d’une supposée paix d’esprit ? Pouvons-nous envisager que notre quotidien ressemble à celui du Temps d’une paix, si cela nous permet de calmer nos peurs et nos doutes ? Le virtuel est-il une façon de réussir ce que nous échouons dans la réalité, un endroit pour apprendre à mieux faire, un exutoire, un espace de défoulement ou une façon de fuir ?

Grâce à sa direction d’acteur ultra précise et à son talent évident pour décloisonner la réflexion et la création, Olivier Choinière réussit avec « Nom de domaine » un véritable tour de force. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Théâtre de Quat’Sous
16 octobre au 10 novembre 2012
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vendredi 12 octobre 2012

« Kaguyahime, princesse de la lune » : un spectacle qui ne passe qu’une fois dans une vie


Il y a de ces spectacles auxquels vous assistez en prenant conscience que vous ne reverrez probablement jamais quelque chose d’aussi unique et mémorable. « Kaguyahime, princesse de la lune », présentée par les Grands Ballets Canadiens de Montréal, fait partie de ces rares moments de la vie où tous vos sens se réunissent pour s’assurer que vous captiez chaque parcelle de la merveille qui se déploie sous vos yeux. 

Kaguyahime, princesse descendue de l’astre lunaire, apparaît au milieu d’une forêt de bambous, en éblouissant tous ceux qui l’entourent. Reconnue pour sa beauté lumineuse, elle verra les hommes s’affronter et se défier pour la gagner à leur cause, jusqu’à ce que l’Empereur aille à sa rencontre et lui offre à son tour de le choisir. Incapable d’envisager rester captive de l’homme et de la planète, Kaguyahime finira par s’échapper et retourner vers la lune.

Il faut admettre que les premiers instants de la production nous laissent un tant soit peu perplexes, tant il est inhabituel que le « gagaku » se rende à nos oreilles. Musique utilisée à la cour au Japon, réputée pour son élégance et son raffinement, composée de cithares, de lutes, de percussions, de flûtes et d’orgue à bouche shô, le gagaku serait certainement plus facile à apprivoiser si nous étions nous-mêmes au Japon, mais il finit tout de même par nous séduire. Entretenant une discussion musicale avec les mouvements de Kaguyahime, souple, fine, légère, fluide et voluptueuse, la musique japonaise hypnotise. 

Apparaissent ensuite les battements du « kodo », qui nous vont droit au cœur. Rythmant les combats de coqs que se livrent les danseurs pour la main de la princesse de la lune, les pulsations du tambour japonais nous laissent pantois d’incrédulité et d’admiration. Rares sont les occasions où l’on peut voir les lignes du ballet classico-contemporain se marier à la musique traditionnelle du peuple japonais. La musique est à ce point enlevante que l’intensité des danseurs monte d’un cran, nous laissant avec le souhait que leur numéro endiablé ne se termine jamais. 

En termes de décors, le fabuleux et le souffle coupé sont à l’honneur. Que ce soit la reproduction de la forêt de bambous en début de spectacle, l’arrivée de l’empereur juché dans les airs, devant un énorme tissu doré, qui servira ensuite à nous éblouir, ou encore le jeu de boîtes-miroirs vers la fin, chaque idée de la mise en scène s’avère une réussite. 

Les danseurs manquent de synchronisme à quelques reprises pendant le trop court spectacle, mais pour la formidable dualité des chorégraphies du Tchèque Jiri Kylian et la musique du Japonais Maki Ishii, pour les images impossibles à oublier et à imiter, pour ces danseurs investis et franchement doués, « Kaguyahime, princesse de la lune » mérite toutes les étoiles de l’univers.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Salle Wilfrid-Pelletier de la Place-Des-Arts
11 au 27 octobre 2012
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mercredi 10 octobre 2012

« La coopérative du cochon » au Prospero : pour le pire et pour le meilleur


Après la réception mitigée des « Enfants de la pleine lune » et le joli succès de « Frères » au cours des dernières années, Luce Pelletier et le Théâtre de l’Opsis reviennent à la charge avec un troisième texte écrit par un auteur italien, en présentant au Théâtre Prospero « La coopérative du cochon ». Véritable hommage aux histoires biscornues de nos ancêtres, le texte d’Ascanio Celestini s’avère aussi ennuyant que réjouissant.

Qu’on se le dise, la première moitié de la pièce est à ce point insipide qu’on en vient à croire l’adage voulant qu’une pièce de théâtre basée sur une mauvaise histoire ne puisse en aucun cas être sauvée par un metteur en scène habile ou des acteurs surdoués. Il n’y a pratiquement pas une minute qui passe sans qu’on se dise que ce qui se trame sous nos yeux est d’un manque total d’intérêt. 

La pièce s’ouvre sur cinq adultes dont le père vient de mourir et qui se remémorent l’histoire de la coopérative du cochon qu’il leur a racontée toute sa vie : à Rome, le 4 juin 1944, Nino et son père parcourent la ville afin de rassembler les sous pour acheter un cochon volé aux Allemands. À travers leurs rencontres avec des Italiens, des Allemands et des Polonaises hauts en couleurs, tout un chacun partage leurs histoires de guerre, ainsi qu’une série d’élucubrations sur à peu près tout et rien. Racontées sans clarté, avec un trop grand nombre de mises en abîme qui se chevauchent sans cohérence, les histoires dignes d’anecdotes de grand-papa italien sont loin de captiver notre attention. 

Toutefois, vers la moitié du spectacle, quelque chose se passe, le vent tourne et « La coopérative du cochon » réussit à nous interpeller. Non pas grâce aux tranches d’histoires réelles et imaginaires qui nous sont encore racontées, mais plutôt grâce aux acteurs qui s’amusent ferme devant nous. Luc Bourgeois, Louise Cardinal, Martin Héroux, Olivier Morin et France Parent deviennent soudainement survoltés. L’énergie folle qui se dégage de leurs personnages et le plaisir évident qu’ils ont à jouer ensemble nous donnent l’impression d’assister à un match d’improvisation, un soir où tout est possible, où la magie est en train d’opérer. Leur côté boute-en-train, leurs interprétations caricaturales, leurs voix transformées, leurs démarches volontairement gauches et leur complicité rendent le spectacle franchement divertissant à voir aller.

Le pouvoir d’évocation dont la pièce fait preuve est également très réjouissant à observer. Des manteaux qui deviennent des cadavres, un casque de fourrure qui se transforme en chien, une table qui sert de brouette aux morts à enterrer, les subtilités théâtrales du genre sont légion pendant toute la durée du spectacle.

En plus clair, même si la pièce est trop longue, que le texte est confus et qu’on ne retient à peu près rien de ce qui nous est raconté, le travail des comédiens finit par rendre la soirée très agréable. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Crédit photo : Marie-Claude Hamel
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Critique de « Chlore » à La Licorne : prêts pour des montagnes russes d’émotions ?


Même si les auteurs et metteurs en scène Florence Longpré et Nicolas Michon ont bien peu d’années de métier derrière la cravate, ils ont déjà tout ce qu’il faut pour nous faire rire et pleurer avec une habileté et une ingéniosité hors du commun, en nous racontant une histoire aux prémisses terrifiantes. 

À 9 ans, la petite Sarah est grassouillette, pétillante et débordante de joie. Elle danse, elle chante, elle vivote et chacune de ses respirations est source d’exaspération pour les enfants du quartier. Son existence est à ce point dérangeante que deux garçons décident un jour de la forcer à boire du chlore et l’abandonnent pendant des heures dans un cabanon, sans corps et sans voix. 

La pièce du tandem Longpré-Michon s’ouvre quelque dix ans plus tard, alors que la jeune femme surnommée « gros tas » croupie dans son sous-sol, incapable de bouger ou de parler, mais réussissant à communiquer grâce à son regard et à un système de code avec des lettres et des clignements d’yeux. Depuis l’accident, son quotidien se limite à sa chaise roulante, sa douillette et ses parents, jusqu’à ce qu’un jeune homme du voisinage vienne la visiter deux fois par semaine, pendant des mois. 

La situation dans laquelle est plongée Sarah pourrait s’avérer désastreuse pour le rythme de la pièce, mais il n’en est rien. Outre la quantité impressionnante d’émotions que l’actrice Debbie Lynch-White fait vivre à son personnage avec le peu de moyens physiques qui sont mis à sa disposition, la mise en scène se charge de dynamiser tout ce qui s’offre à nous. 

D’abord, l’idée de faire appel à quatre ballerines à différents moments de la pièce est tout simplement géniale. Représentant ce que la fillette était et ce qu’elle ne sera jamais plus, les danseuses servent également d’accessoires, représentent en mouvements les anecdotes racontées par les autres personnages et aident à déplacer les meubles sur scène. Voilà une trouvaille ingénieuse et fichtrement bien utilisée. La trame sonore, composée de vieilles chansons quétaines et de vieux succès des années 80 et 90, agrémente également les différents tableaux de la pièce.

Le texte de « Chlore » regorge d’images évocatrices, de blagues efficaces, de moments chargés d’émotions et de surprises. Pendant plus de 80 minutes, on passe du rire aux larmes, de la compassion à la dérision, sans jamais avoir l’impression que la tension dramatique s’effondre ou que l’équilibre de l’histoire est sacrifié. 

Aux côtés de Samuel Côté, quelque peu hésitant en ce soir de première, mais tout de même très juste, Claude Poissant et Annette Garant nous démontre à quel point ils sont de grands acteurs d’expérience. Même si le personnage de Poissant est peu expressif, sa présence et la profondeur de sa voix suffisent à nous interpeller à chaque instant. Quant à Garant, elle est tour à tour nerveuse, drôle, aimante, délicate, fragile, brisée et sereine. C’est à ce se demander pourquoi on ne la voit pas davantage sur les planches, au petit et au grand écran. 

La Petite Licorne présente jusqu’au 26 octobre prochain une pièce que vous devez absolument voir.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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samedi 6 octobre 2012

« Les Femmes Savantes » au TNM : une adaptation qui ne passera pas à l’histoire


Après avoir présenté une version grise, métallique et étouffante de l’Histoire du Roi Lear au TNM l’an dernier, voilà que le metteur en scène Denis Marleau troque les mots de Shakespeare pour ceux de Molière, en offrant une adaptation des Femmes Savantes qui nous apparait d’abord fluide et rafraîchissante, avant de nous hypnotiser d’ennui. 

Plusieurs choses séduisent dans les premiers instants de cette histoire nouvellement campée à la fin des années 50, à une époque où les femmes n’avaient pas encore entrepris leur croisade féministe. D’abord, le décor rappelant la cour du Château de Grignan, où la troupe a joué tout l’été avec grand succès, devant plus de 30 000 personnes en Provence. Ensuite, l’amusante opposition entre l’épanouissement par le savoir et celui passant plutôt par le mariage et la vie matrimoniale traditionnelle. 

Si Philaminte, sa belle-sœur Bélise et sa fille Armande se concentrent sur la philosophie, la poésie et l’accumulation de connaissances, il n’en est rien pour la deuxième fille de la famille, Henriette, et son amoureux, Clitandre, qui penchent plutôt pour la simplicité et la passion. En plus d’entraîner nombre de joutes verbales aux profits de leurs positions respectives, ces hommes et ces femmes voient leurs amours encombrées par leurs opinions tranchées. Philaminte juge que la main de son Henriette revient au poète pédant Trissotin, alors que son mari, Chrysale, est d’avis que l’amour véritable entre les deux jeunes tourtereaux devrait triompher. S’en suivra bien sûr une suite de quiproquos visant à faire ressortir les envies véritables de chacun, ainsi qu’une série de doutes au sujet de l’humanité des érudits et de la simplicité d’esprit des amoureux. 

Si la direction de Denis Marleau apporte au texte une limpidité fort appréciable, il n’en demeure pas moins que les rimes et les alexandrins des dialogues finissent par nous lasser. Bien qu’il soit relativement simple de s’habituer à ce vocabulaire formaté, les histoires de Molière finissent tout de même par nous faire décrocher, là où les tragédies en alexandrins d’un Racine arrivent pourtant à nous captiver. 

Christiane Pasquier est comme toujours dans une classe à part, avec son interprétation cassante de la savante Philaminte. L’interprétation physique et cabotine de Carl Béchard (Trissotin) décroche plusieurs éclats de rire aux spectateurs, mais sa tendance à la pitrerie devient aussi lassante que dans les autres classiques dans lesquels il joue d’année en année. Sylvie Léonard est adorable et fait preuve d’un sens du punch admirable en jouant la bourgeoise poseuse Bélise, mais son français international est déficient aux côtés des surdoués que sont Pasquier et Béchard dans le domaine. De manière générale, les membres de la distribution démontrent que leur production est rodée depuis des lustres, mais il s’en dégage tout de même une impression d’automatisme et de mécanique, un peu comme s’ils venaient livrer leurs répliques de façon sentie au bon moment, mais sans réellement jouer ensemble. 

L’idée d’adapter la pièce dans les années 50 est un agréable clin d’œil nous permettant de constater à quel point les femmes ont longtemps été considérées comme le sexe faible, mais jamais on a le sentiment que le nouveau contexte de la pièce apporte un éclairage nouveau aux mots de Molière.

Bien que divertissantes par moments, « Les Femmes Savantes » de Marleau ne passeront pas à l’histoire.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Crédit photo : Yves Renaud

mardi 2 octobre 2012

« Bienveillance » à l’Espace GO : l’enveloppante gravité de Fanny Britt


Quand l’Espace GO donne une voix à la gravité légère de l’auteure Fanny Britt, à l’efficacité inventive du metteur en scène Claude Poissant et au talent intempestif d’une distribution cinq étoiles, le public montréalais n’a d’autres choix que de sortir d’une représentation de « Bienveillance » avec un alliage d’émotions, allant de la tendresse mélancolique à la troublante remise en question.

En quittant le théâtre au coin de St-Laurent et de St-Joseph, une question fondamentale planait au-dessus de ma tête : qu’est-ce qui empêche l’homme d’être bon ? Qu’est-ce qui le transforme, le fait bifurquer, le fait s’éloigner de l’être qu’il a été ou qu’il aurait pu devenir ? Est-ce une série de choix, de rencontres, de blessures ? Est-ce la nature profonde de certains humains qui finit par se révéler, le destin qui trouve toujours le moyen de se faufiler ou la vie qui réussit à nous éloigner de notre bonté innée ? Nommez la comme vous le voulez : bonté, aptitude au bonheur, gentillesse, considération pour autrui, capacité de donner. Accompagnez là de quelques autres mots forts populaires dans les livres de psycho pop tels que : loyauté, fidélité, respect, intégrité, et demandez-vous où ils sont passés ? 

Comment le personnage de Gilles Jean, avocat pour le genre de firme qui défend tout sauf la veuve et l’orphelin, a-t-il pu se ranger du côté d’une entreprise responsable de la situation critique dans laquelle se trouve le fils de son meilleur ami d’enfance ? Est-il inconscient, désincarné, lâche ? De quelle façon s’y prend-il pour affronter le regard sans malice de son vieil ami, symbole même de l’innocence et de la bienveillance ? Ou la femme de celui-ci, aujourd’hui déphasée par ce que leur fils est en train de traverser ? Ou encore sa mère, véritable métaphore de l’anticapitalisme, partisane des bonnes valeurs à la bonne place ?

Bien que la trame principale de « Bienveillance » puisse sembler lourde présentée ainsi, il est important de parler de toute la tendresse qui se dégage de cette pièce. Les souvenirs évoqués entre les deux amis d’enfance. Les mille et une attentions du père pour son garçon. L’amour évident qui règne entre les deux parents. La complicité qui se dégage entre les cinq comédiens, et plus particulièrement celle que l’on sent entre Patrice Dubois et Dany Michaud, qui nous avait déjà subjugués dans « Les Frères Laforest », il y a quelques années. 

Tout est ici mélange de douceur et de blessures.

Chapeau à Claude Poissant d’avoir su guider ses acteurs sur la partition toute particulière de la musicienne des mots qu’est Fanny Britt. À un moment où à un autre, les Dubois et Michaud, Sylvie De Morais, Louise Laprade et Christian E. Roy réussissent à se démarquer en nous émouvant ou en nous déridant.  

Outre la présence étrange d’un bref passage chanté et mal écrit vers la fin de la pièce, « Bienveillance » est une splendide réussite. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace GO : 2 au 27 octobre
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