vendredi 25 octobre 2013

« Les cendres bleues » à la salle J-C Germain : le génie du premier amour (CRITIQUE)


L’un avait six ans et demi, l’autre en avait vingt et des poussières. Leur histoire est à la base de la pièce « Les cendres bleues », un récit poétique d’une beauté foudroyante, qui est présenté à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. 

On pourrait y lire une histoire de pédophilie, y déceler les restants d’un amour sale, y voir le début d’une relation condamnée, mais la virtuosité de Jean-Paul Daoust nous laisse d’abord entrevoir un objet de pureté. Une incartade de la vie où l’innocence de l’enfance rencontre le désir de l’adulte. De brefs instants où les caresses ne sont pas plus douloureuses que les baisers ne sont volés ni violents. Un amour qui nous semble consentant, aussi consentant puisse-t-il être lorsqu’il implique un enfant aveuglé par la marque d’affection, le regard d’intérêt et l’initiation aux plaisirs charnels.

Le premier tiers de cet objet théâtral nous laisse le temps de goûter au talent de Jean-Paul Daoust, à sa maîtrise des mots, des consonances, du rythme, des images et des métaphores. On prend plaisir à le suivre dans cette histoire où la grandeur des premiers sentiments est décortiquée avec la précision d’un chirurgien des émotions. 

La suite du spectacle plonge les spectateurs dans une ambiguïté davantage marquée face à ces actes pédophiles. Non seulement le texte évoque-t-il les tribulations entre le garçon et l’homme avec une mise en perspective un peu moins sereine, mais les effets du casting et de la mise en scène de Philippe Cyr viennent accentuer le malaise que l’on peut ressentir lorsqu’il est question de ces gestes interdits.

L’écart d’âge et de raison qui sépare les deux « amoureux » nous frappe en plein visage grâce à des détails : les deux plus jeunes acteurs (Sébastien David et Jonathan Morier) ont des voix plus graves, synonyme de « maturité » vocale, alors que le plus vieux (Jean  Turcotte) a une voix plus aigüe que les deux autres, dont plus « enfantine ». Créant des contradictions étranges tout au long de la pièce, ces oppositions prennent encore plus d’ampleur quand on constate que certains bouts du récit évoquant une perception plus dramatique des événements sont captés au vol par Jean Turcotte, alors que Morier et David nous racontent davantage l’effervescence des débuts et des premiers émois. L’effet est tout aussi dérangeant lorsque les trois acteurs livrent certaines portions de textes avec des niveaux d’émotions différents, alors qu’ils devraient se laisser porter par un même élan. Plus le malaise s’installe, plus les mots de Daoust nous hypnotisent et nous ramènent dans un tourbillon de langueurs.

Au final, on quitte la salle avec le désir infini de lire l’œuvre entière du poète et l’impression que le texte aurait gagné à être davantage adapté pour la forme théâtrale, avec des rôles mieux définis et des dialogues plus « officiellement » établis.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Les cendres bleues – 22 octobre au 9 novembre 2013
Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/cendres

*Crédits photos : Julie Artacho

vendredi 11 octobre 2013

« La belle au bois dormant » des Grands Ballets : un conte de fées désenchanté… (CRITIQUE)


En adaptant « La belle au bois dormant » en version tragico-trash-burlesque, le chorégraphe Mats Ek a le mérite de dépoussiérer un classique et d’attirer un jeune public, sans délaisser les habitués du ballet traditionnel. Toutefois, certaines avenues prises pour raconter l’histoire sont à ce point déplacées et incompréhensibles qu’elles plombent un spectacle qui aurait pu être sublime. 

Dans cette version présentée au Théâtre Maisonneuve du 10 au 22 octobre 2013, les spectateurs ont souvent droit à des passages chorégraphiques dotés d’une symbolique extrêmement forte et précise. Le flirt des parents de la princesse Aurore, leur complicité grandissante, l’acte de procréation, l’accouchement digne d’un film de science-fiction sous les yeux des fées Émeraude, Or, Argent et Rubis, ainsi que leur sérénité à toute épreuve, 16 ans plus tard, lorsque leur adolescente joue les rebelles. 

Refusant de participer à un pique-nique familial, la jeune fille s’enfuit en voiture et se fait courtiser par différents hommes très typés. Dans cette fable sur les choix auxquels nous faisons face dans la vie, la princesse se tourne finalement vers la fée Carabosse, ici représentée par un trafiquant de drogue, qui la plonge dans l’univers de l’héroïne, faisant du légendaire fuseau une seringue. Les danseurs représentent les effets de la drogue avec une force d'évocation envoûtante et percutante. Bien que la première partie du spectacle ne contienne pas autant d’éclats que la deuxième, on y remarque la présence fort appréciée de cette chose que l’on appelle la cohérence. 

***Les prochaines lignes révèlent un simili punch de l’adaptation***

L’œuvre de Mats Ek bascule complètement lorsqu’un danseur caché parmi les spectateurs se lève dans la salle, rouge de colère, ne comprenant pas ce qui se déroule sur scène et n’acceptant pas de voir la princesse s’enfoncer dans un « sommeil » hallucinogène, sans que ses parents ou ses fées marraines n’interviennent. Ne possédant qu’une seule nuance dans son jeu, le danseur-acteur-spectateur interpelle autant les personnages que les musiciens dans la fosse et les spectateurs dans la salle. 

Réagissant à ses plaintes, les fées-pierres-précieuses lui présentent quelques pas de danse qui tranchent complètement avec l’histoire qui nous était racontée jusque-là. La situation empire lorsqu’un cuisinier vient faire un numéro pour nous enseigner comment trancher un (vrai) poisson. Même si le cuistot est interprété par un danseur-acteur, Jean-Sébastien Couture, qui sait jouer, qui possède le sens du timing et qui sait composer avec les réactions du public, le passage n’apporte strictement rien à l’histoire, sinon quelques moments de divertissement, de dégoût et d’incompréhension. 

Les chorégraphies de groupe, bien que trop peu nombreuses, sont visuellement saisissantes. La majorité des danseurs des Grands Ballets sont à la fois impressionnants techniquement et crédibles dans leur interprétation. La musique de Tchaïkovski est superbement intégrée à l’histoire résolument moderne qui nous est racontée. L’idée de revisiter un classique en s’accordant une liberté totale de création est tout à fait louable. 

Mais au final, on déchante. Complètement. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin