samedi 17 mars 2012

« L’histoire du Roi Lear » au TNM : une tragédie étouffée


Le metteur en scène Denis Marleau continue de célébrer les 30 ans de sa compagnie de création UBU en s’attaquant au classique de William Shakespeare, « L’histoire du Roi Lear », présenté au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 7 avril. Malgré la brochette d’acteurs ô combien talentueux qu’il a sous la main, Marleau réussit à étouffer cette tragédie pour notre plus grand déplaisir.

Interprété par un Gilles Renaud sensible, viril, puissant et vulnérable, le Roi Lear est un homme vieillissant qui désire partager son pouvoir entre ses filles en leur demandant d’exprimer tout l’amour qu’elles ont pour lui. Lorsque la cadette Cordélia évoque l’amour modéré, mais sincère, qu’elle porte à son père, contrairement à ses deux sœurs, Gonoril et Regan, vaniteuses et avides d’avancement, elle est chassée du royaume. En parallèle se joue le drame familial du Comte de Gloucester et de ses deux fils, Edgar le légitime et Edmond le bâtard. Ce dernier monte son père et son frère l’un contre l’autre, pendant que les deux filles du Roi Lear subissent les frasques de leur père, exigeant, perdu, sénile et clamant à tous vents l’ingratitude de sa descendance.

Certains amateurs de théâtre s’en trouveront pour affirmer que la maltraitance de nos ainés et la force des liens du sang sont des thèmes qui traversent le temps. Pour se sentir réellement interpellé, il aurait toutefois fallu que le drame de ces êtres qui s’entredéchirent ne soit pas traité de la sorte par Denis Marleau et son équipe. La pièce est grise et métallique comme les murs et les bancs du décor ; léchée et désincarnée comme les pages d’un magazine dont on croirait issus les costumes ; froide et vaporeuse comme les images projetées sur les murs ; agaçante comme l’habillage sonore qui nous distrait des dialogues. Les acteurs sont justes et vrais, mais on a l’impression que leurs émotions sont étouffées comme de l’eau qui bout dans un chaudron sur lequel on aurait maintenu le couvercle.

Gilles Renaud, David Boutin, Marie-Hélène Thibault, Pascale Montpetit et Évelyne Rompré ensorcellent notre attention à chacune de leurs répliques, mais on finit par se lasser leurs drames. On n’achète pas la surprise désemparée du vieux monarque en réaction à l’ingratitude de ses filles qu’il semble n'avoir jamais vraiment aimées. On n’est pas du tout convaincu par la dérive des personnages incarnés par Vincent Guillaume-Otis et Paul Savoie. En plus clair, on n’est pas le moindrement touché par le destin de ces ducs, comtes, rois et princesses.

Avec une mise en scène qui tient les spectateurs à distance de ce drame qui aurait pu être puissant, on a l’impression que les tragédies et les trahisons de l’Histoire du Roi Lear ne sont rien d’autre que les ancêtres des feuilletons télévisés de fin d’après-midi.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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Textes récents :
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mercredi 14 mars 2012

Shrek – The Musical : encore meilleur que le premier film !

Présentée du 13 au 18 mars à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place-des-Arts, la comédie musicale inspirée du film Shrek avait de grandes chaussures à remplir. Alors que le premier des quatre films de la série avait été le plus acclamé par la critique, le spectacle musical est encore plus drôle, surprenant, irrévérencieux et réjouissant que sa version cinématographique !

Bien que les créateurs du premier Shrek avaient pris un malin plaisir à critiquer les films d’animation (lire ici : ceux de Disney) qui faisaient chanter leurs personnages à toutes les sauces, les acteurs de la comédie musicale se doivent de pousser la note plus souvent qu’à leur tour. Une fois qu’on accepte d’assister à un spectacle de Shrek où la chanson est reine, le plaisir prend toute la place.


Pour ceux qui n’auraient pas vu le premier film, l’histoire est toute simple. Chassés du royaume par Lord Farquaad qui les considèrent trop bizarres pour croiser sa vue, les personnages des contes de fée (Peter Pan, Pinocchio, la méchante sorcière, les trois petits cochons, le grand méchant loup, le petit bonhomme de pain d’épices et bien d’autres) trouvent refuge dans le marrais de Shrek, un énorme ogre vert. N’appréciant pas spécialement leur visite, Shrek se rend au château de Lord Farquaad afin de négocier un compromis : l'ogre pourra retrouver son marrais s’il réussit à libérer la princesse Fiona et qu’elle se marie avec Farquaad. Tout au long de l'aventure, Shrek sera suivi par l’Âne, un acolyte adorable et insupportable qui est prêt à tout pour devenir son ami. 


En plus de prêcher pour la différence et les qualités intérieures de l’être humain, Shrek – The Musical se permet d’être drôlement survolté. L’énergie de l’Âne est un mélange entre celle d’une drag queen et d’une black mamma. Haut comme trois pommes (permettant ainsi quantité de ressorts comiques), Lord Farquaad déborde de maniérismes féminins qui font éclater de rire les milliers de spectateurs. Et le spectacle est rempli de références directes au Roi Lion, à Madonna ou à Ray Charles. On adore !

Outre un bout de rideau déchiré qui semble avoir vécu la route vers Montréal plutôt rudement, les très nombreux décors de Shrek sont enchaînés avec une efficacité spectaculaire. Les acteurs-chanteurs sont complices, talentueux, crédibles tant vocalement que du côté de l’interprétation, et démontrent à quel point les centaines de représentations qu’ils ont déjà données ailleurs en Amérique du Nord leur permettent de maîtriser l’art multidisciplinaire de la comédie musicale à merveille.

Malgré quelques longueurs dans la première partie, Shrek – The Musical est un spectacle hautement divertissant. Voilà 180 minutes de votre vie très bien investies.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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dimanche 11 mars 2012

Les « Dissidents » débarquent à l’Espace GO - Critique

Don de prémonition ou réflexion qui germait dans leurs têtes depuis des mois ? Peu importe les raisons qui ont poussé l’auteur Philippe Ducros et le metteur en scène Patrice Dubois à présenter leur vision des « Dissidents » à ce moment-ci de l’année, toujours est-il que les deux artistes possèdent un sens du timing incroyable.

D’entrée de jeu, la scène de l’Espace GO est dépouillée de décors, laissant toute la place à un homme, accusé d’un crime qu’on imagine horrible. Prisonnier d’un lieu indéfini, il reçoit la visite d’une petite fille (formidablement interprétée par Marilyn Castonguay) et de spécialistes qui veulent comprendre ce qui a pu se produire. Sans jamais vraiment nommer la nature de l’acte commis, Philippe Ducros s’intéresse aux motivations profondes de l’homme. En se moquant de cette idée clichée voulant qu’un acte barbare soit nécessairement le résultat d’une enfance malheureuse ou de n’importe quelle autre épreuve envoyée par la vie, le dramaturge concentre notre attention sur l’homme et sa réflexion.

Une réflexion pour le moins fascinante dans la première moitié du spectacle. Le prisonnier y va d’une série de mensonges et d’esbroufes à travers lesquels se faufile une suite de vérités sur l’état de notre société. Avec une acuité qui nous secoue, l’homme analyse notre humanité en s’en prenant directement à notre façon de vivre, de consommer, de nous résigner et de parler sans agir. C’est donc dire que contrairement à nous, le prisonnier a agi, lui.

On accepte la proposition de « Dissidents » en restant curieux de découvrir ce que l’homme a fait, tout en étant captivés par son propos et ses élans de lucidité. Les deux spécialistes qui le visitent apportent eux aussi leur lot de réflexions intéressantes sur l’être humain, son animalité et la déconstruction de la psyché.

La prémisse du spectacle est brillante, mais elle finit par nous perdre en cours de route. Le spectateur est invité à observer les différentes tactiques visant à extraire un semblant de vérité, mais le chaos intérieur qu’on nous projette est maladroitement écrit et mis en scène. Le propos s’égare. On se met à penser aux futilités de notre quotidien, à défaut de pousser la réflexion un peu plus loin. D'abord incroyablement stimulés, on se sent quelque peu abandonnés par le procédé dramaturgique du chaos et de la dérive en cours de route.

En ce sens, « Dissidents » m'est apparu comme un coït interrompu. Génial au début, il m'a déçu vers la fin. Mais pour avoir osé sortir des sentiers battus, tant par le fond que par la forme, Ducros et Dubois méritent toute notre admiration.

Espace GO – 6 au 31 mars

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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-DANSE - "Le Lac des Cygnes" aux Grands Ballets : la froide perfection ukrainienne
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vendredi 9 mars 2012

Le Lac des Cygnes aux Grands Ballets : la froide perfection ukrainienne

Continuant de mélanger le classicisme à la modernité dans leur programmation, les Grands Ballets canadiens de Montréal donnent actuellement dans la tradition classique du ballet russe en invitant le Ballet national d’Ukraine à interpréter Le Lac des Cygnes, du 8 au 11 mars à la Place-des-Arts.

Les puristes savent à quoi s’attendre. Les amoureux des conventions ultras rigides de la danse prennent leur pied. La presque totalité des spectateurs de la salle Wilfrid-Pelletier vont être charmés et subjugués. Pourtant, hier soir, le Lac des Cygnes m’a laissé de glace.

Bien que la surenchère de prouesses techniques soit à couper le souffle, le spectacle se résume à mon sens à une beauté glaciale. Séparé en trois actes – totalisant près de trois longues heures – la version ukrainienne du Lac des Cygnes commet une erreur fondamentale en poursuivant la tradition des salutations franchement trop fréquentes. Révérences après un solo, révérences après un numéro de petit groupe, révérences à la fin de chacun des trois actes. Le procédé casse le rythme et l’ambiance à de nombreuses reprises. Cette façon de faire démontre également un deuxième aspect du ballet classique très agaçant : la quête ultime de la perfection et du résultat. À défaut de m’apparaître incarné et porteur d’émotions, le Lac des Cygnes est une ode à la performance. Lorsque la direction d’un spectacle priorise la pureté du mouvement à la vérité du sentiment, notre œil est nécessairement attiré vers les plus petites imperfections : de légères hésitations, quelques équilibres brièvement fragilisés, plusieurs moments où le synchronisme entre les musiciens et les danseurs fait défaut. Ces trois éléments prendraient certainement moins d'importance dans un spectacle, si le but ultime des artisans n’était pas l’absence de faille.

Bref, le Lac des Cygnes impressionne, magnifie, éblouie et renverse, mais il n’émeut point.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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mercredi 7 mars 2012

Midsummer à la Petite Licorne : est-ce que ça vous dirait de vivre, un instant ?

L’Écosse revient par la grande porte à la Petite Licorne pour le prochain mois. En réunissant les acteurs-chanteurs Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant, dont la complicité est aussi palpable qu’à l’époque de leur collaboration dans le film Borderline, le metteur en scène Philippe Lambert a trouvé le duo parfait pour interpréter le texte de David Greig (formidablement traduit par Olivier Choinière) et les chansons de Gordon McIntyre. Midsummer est un petit bijou venu de l’étranger.

Ironiquement, l'histoire de David Greig a le pouvoir de plaire aux romantiques et aux plus cyniques. Sans jamais prendre parti, Greig s’attaque aux codes des histoires d’amour hollywoodiennes avec tendresse, tout en caressant l’étincelle relationnelle avec lucidité.

Dans Midsummer, deux êtres que tout sépare tombent l’un sur l’autre dans un bar d’Édimbourg, un vendredi soir du solstice d’été. Lui, petit bum sans envergure, il attend quelqu’un pour faire une passe croche de plus. Elle, avocate spécialisée en divorce qui s’est juré de n’être la « grosse vache » de personne, elle attend son amant pour cocufier une femme mariée de plus. Ils finissent par passer la nuit ensemble, avant de se laisser transporter dans une course contre la montre, une séance de bondage japonais, des menaces de mort et les pleurs d’un enfant traumatisé. Mais au-delà de leurs aventures follement rafraichissantes, les deux mi-trentenaires affrontent une grande question existentielle : « C’tu ça qui est ça ? ».

Ode à l’envie de lâcher prise, de tout recommencer, d’écouter la petite voix d’enfant qui nous chuchote qu’il existe autre chose, ailleurs, quelque part, qui nous convient sûrement, Midsummer nous invite à chercher ce territoire où la réalité brutale ne nous échappe pas, mais où on a le loisir de lui donner une nouvelle saveur.

Les neuf chansons folks interprétées et gratouillées par Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant sont d’une irrésistible simplicité. Jamais trop présentes, ni trop clichées, elles sont écrites et traduites avec tant de vérité et de talent que l’histoire ne peut faire autrement que d’en profiter. Les voix des deux interprètes se marient à merveille, nous laissant l’impression que s’ils enregistraient le tout sur cd, nous courrions les acheter sur le champ. Pendant que Brillant est doux, brut et solide, Blais est divine, incandescente et incroyablement charmante. Les deux acteurs vibrent d’authenticité et de candeur, pour notre plus grand bonheur.

L’astucieuse utilisation des accessoires, l’ingénieuse présence des ombres chinoises, la direction d’acteurs homogène et le rythme accordé à l’ensemble de l’œuvre ne sont que quelques-uns des éléments qui démontrent l’étendue du talent du metteur en scène Philippe Lambert. 

Drôle, touchante, agréablement prévisible et follement surprenante, Midsummer nous laisse avec le sourire aux lèvres, la larme à l’œil et l’envie irrépressible d’aller prendre une énorme bouchée de cette chose que l’on appelle la vie.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin




vendredi 2 mars 2012

Critique de « Cranbourne » à la Salle Fred Barry : quel réjouissant manque de classe !

Quel bonheur de retrouver l’auteur, metteur en scène et interprète Fabien Cloutier dans une autre de ses créations présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 17 mars. Au menu : rire gras, rire jaune, manque de classe, surprise et émotions.

Le programme de la soirée annonce assez bien la vision du théâtre de Fabien Cloutier : « Je n’aime pas les longs mots de metteur en scène qui me disent ce que je devrais comprendre dans ce que je vais voir. Je n’aime pas non plus qu’on me prépare à l’œuvre, comme si le spectacle exigeait que je sois dans un tel ou un tel état pour mieux l’apprécier. Alors je fais court… » Le théâtre avec Fabien Cloutier, c’est brut, viscéral, direct et sans flafla. Un décor qui se résume à une chaise d’une laideur immonde. Quelques d’éclairage. Des déplacements réfléchis pour garder l’attention des spectateurs ou mettre l’accent sur certains passages. Pour le reste, il y a un acteur, une histoire et des spectateurs qui en redemandent.

Après avoir séduit les amateurs des Contes urbains en 2005 avec « Ousqu’y é Chabot ? » et imaginé une histoire autour de ce même personnage dans une pièce de théâtre complète, Scotstown, présentée en 2009 avec tout autant de succès, Cloutier revient nous brasser la cage avec « le chum de Chabot », qui se pose une question de premier ordre : « Faque si câlisse j’ai jamais faite ça / Si crisse chu genre qui penserait même pas à faire ça / Ben ça veut dire que chu un bon gars / Pis si chu un bon gars / Comment ça qu’la pelleté d’marde à m’arrive à moé? »

En plus clair, le chum de Chabot, il réalise qu’il n’a encore rien fait de sa vie et qu’il a tout intérêt à se trouver un travail et une blonde dans la prochaine année. De plus en plus conscient que son entourage n'est pas composé par beaucoup de « vainqueurs », il nous raconte à sa façon dans quel monde il vit : des amis qui vont dans un chalet et qui veulent se commander une prostituée, peu importe sa propreté ; des centaines d’habitants d’un village vraiment très creux qui participent à un concours consistant à déterminer à quel endroit précis une vache va déféquer ; un emploi dans une usine de gâteaux Vachon où rien ne tourne rond et un univers où l’on donne une toute nouvelle définition à la virilité.

Fabien Cloutier raconte des histoires que personne d’autre n’oserait raconter et nous serions bien inconscients de nous en priver. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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