jeudi 29 septembre 2011

“Pour en finir avec le sexe” de Caroline Allard : quand le sexe nous fait rire à en avoir mal

Caroline Allard, auteure et scénariste à succès, connue principalement pour Les Chroniques d’une Mère Indigne (blogue, livres, webtélé) revient à la charge en s’attaquant au sexe sous toutes ses coutures. Irrévérencieux, franchement divertissant et fort bien tourné, son nouveau bébé conçu avec l’illustratrice Iris est le plaisir coupable par excellence de la nouvelle saison.

Je l’avoue, je suis vendu à Caroline Allard depuis longtemps. Il y a plusieurs années, avant même de prendre connaissance du phénomène de Mère Indigne sur le Web, j’étais tombé sur le regroupement de ses premières chroniques, un petit livre à la couverture verte que j’avais ouvert instinctivement pour lire un passage et que j’avais acheté quelques minutes plus tard. Pendant les 2 années qui ont suivi, chaque fois que j’entrais dans une librairie avec un ami, je partais à la recherche du petit bouquin vert, je l’ouvrais exactement au même endroit (l’extrait où Mère Indigne nous partage cette envie de voler les plus beaux enfants de la garderie, avant de conclure que c’était sa fille la plus mimi), et je récitais pendant quelques minutes le passage qui m’avait séduit.

Vous savez, être vendu à un artiste, ça n’a pas que du bon. Quand son nouveau projet nous tombe entre les mains, on a peur de ne pas aimer ça autant. Pire, quand le projet en question s’attaque à un sujet (le sexe) aussi éloigné de celui qui nous avait tant charmés (les « affres » de la maternité), on se demande si la transition se fera de belle et bonne façon. Pour être bien honnête avec vous, j’ai mis quelques jours avant d’ouvrir « Pour en finir avec le sexe », mais à peine plus d’une heure avant de le refermer. Verdict final : je me suis délecté et bien bidonné !

Quelques-uns d’entre vous se demandent sûrement : qu’y a-t-il donc à dire de plus qu’on n’ait pas déjà entendu sur le sexe ? Eh bien, il faut avoir le nouveau livre de Caroline Allard entre ses mains pour le savoir. « Pour en finir avec le sexe » est un genre de règlement de compte bon enfant et sans prétention sur le sexe et ses parties intimes. Plaisir coupable s’il en est un, le bouquin a été créé en étroite collaboration avec Iris, une artiste faite sur mesure pour illustrer les folles théories de Caroline sur le sexe. À elles deux, elles réussissent à nous faire passer du rire gêné au rire gras plusieurs fois par page.

Dans le lot, on y trouve un courrier du lecteur tournant autour de plusieurs problèmes rigolos d’ordre sexuel, un sondage sur les pratiques sexuelles dont vous êtes le héros, un horoscope sexuel, des records du monde et autres faits étranges reliés à la chose, des tonnes et des tonnes de théories sur l’orientation sexuelle, la grosseur du sexe masculin, les différents modèles de seins, l’esthétique du vagin ou sur « le chemin le moins fréquentable » du corps humain (lire ici : l’anus). On continue avec un extrait de bande dessinée qui donne la parole à un clitoris en faisant une analogie avec le baseball. On fait l’énumération de tous les détails qui TUENT le désir au pire moment (et il y en a beaucoup !). On fait l’étalage de tous les dangers dont on doit être conscient en pratiquant certaines positions sexuelles. On invente quelques paroles à faire comprendre à son partenaire pendant l’acte (exemple : « Inutile d’appuyer sur ma tête, je connais le chemin »). On part une pétition contre le fameux « 69 » qui n’est vrrrraiment pas si agréable que ça, selon l’auteure. Bien sûr, il ne faudrait pas oublier les blagues à ne pas faire pendant l’amour, les 10 étapes « faciles » menant vers l’orgasme, les meilleures excuses pour ne pas avoir de sexe, l'analyse des jouets érotiques ou le compte-rendu des maladies de l’amour.

Bref, c’est drôle, ça dit tout haut ce que bien des gens pensent tout bas et c’est un des cadeaux les plus drôlement sympathiques à offrir à ses amis en toutes circonstances.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

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Autres billets sur la littérature et ses auteurs :

"J'adore New York" : le roman à succès d'une Québécoise à l'assaut des États-Unis
"À toi" de Kim Thuy et Pascal Janovjak : écrire un roman comme on fait l'amour
"Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps" de Claudia Larochelle : la fragilité de l'abandon en écriture
Kim Thuy : une rencontre, un regard, un roman. Ru.

jeudi 22 septembre 2011

“Cantate de guerre” à Aujourd’hui : les dommages collatéraux de la blessure humaine

Une guerre sans pays, des soldats qui vont au bout de tout, qui bafouent, qui humilient, qui violent et qui tuent : voilà ce que propose l’auteur Larry Tremblay en se faisant magicien de l’horreur et manipulateur des bas-fonds de l'humanité.

Présentée jusqu’au 15 octobre dans la salle principale du Théâtre d’Aujourd’hui, la nouvelle création de Larry Tremblay est dénuée de frontières physiques, de noms connus et d’idéologies établies. Le conflit de Cantate de guerre prend racine dans la haine de l’Autre, dans ce désir de l’exterminer, de ne plus l’entendre respirer, de ne plus se savoir regardé, de ne plus craindre d’être défié. Cantate de guerre, c’est le résultat de milliers d’années de conflits armés, c’est la chair d’un soldat qui se consume, c’est le regard d’un enfant qu’on n’ose plus soutenir, c’est l’incapacité à déterminer ce que l’homme peut devenir après s’être désincarné. Cantate de guerre est le résultat d’une observation fine et délicate sur les dommages collatéraux de la blessure humaine.

Le choix de limiter le décor à une série de longs piliers sur lesquels peuvent grimper les acteurs permet à Cantate de guerre de ne pas être identifiée à un conflit des temps modernes ou anciens. Les nombreuses répliques livrées en chœur offrent une charge puissante à certains passages de la pièce, quoique la méthode finit par être diluée à force d’être surutilisée. Les accessoires (barre de fer, couteaux, grillages et autres) ajoutent un aspect rugueux, froid et métallique à l’ambiance générale. Là où la mise en scène pose problème, c’est dans la décision de n’avoir pratiquement aucun échange réel entre les acteurs. Monologues, phrases charcutées, mots isolés, tout est offert à la face du public. À l’exception d’un bref moment vers la fin – littéralement le plus poignant de la soirée – jamais les regards ne se croisent, jamais les mots ne se font face. Ce choix de la metteure en scène Martine Beaulne (à moins qu'il soit imposé à même les directives spéciales de l'auteur) est bien sûr justifié par l'incapacité qu’ont les deux personnages « principaux » de se regarder, mais l’effet s’avère très néfaste sur la réception émotive des spectateurs.

Aux côtés de l'acteur Paul Ahmarani, qui nous livre une interprétation solide d'un autre personnage fêlé, il fallait un talent rare, celui de Mikhaïl Ahooja, pour que l’innocence d’un enfant réussisse à tenir tête à la cruauté d’un tel homme.

De toute évidence, le texte de Larry Tremblay aurait pu faire de Cantate de guerre une œuvre majestueuse, mais certains choix artistiques l’en ont malheureusement empêché.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Théâtre d’Aujourd’hui – 20 septembre au 15 octobre
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Critiques théâtre récentes :
"S'embrasent" au Quat'Sous : comme de la ouate pour le coeur
"Blanche-Neige et la Belle au Bois Dormant" à l'Espace GO : la mise en scène peut-elle sauver un texte boiteux ?
"Anna sous les tropiques" au Rideau-Vert : bon comme un vieux cigare cubain
"Blackbird" au Prospero : le plaisir jouissif de nager en eaux troubles
"Match" chez Duceppe : Robert Lalonde remporte la partie !
"Le Fusil de Chasse" à l'Usine C : le charme de se faire envoûter par une Japonnaise
"L'Enclos de l'Éléphant" à l'Espace libre : l'inconfort de l'étranger qui sommeille en nous
"Deux ans de votre vie" à la salle Jean-Claude Germain : l'affrontement du couple et du célibat !



lundi 19 septembre 2011

J’adore New York : le roman à succès d’une Québécoise à l’assaut des États-Unis

Je l’ai eue comme collègue dans une grande maison d’édition, je l’ai vue jour après jour revenir au travail après avoir passé la soirée ou le week-end à travailler comme une forcenée sur son premier roman, je me suis précipité en librairie pour l'acheter, je l’ai aimé, je l’ai dévoré. Isabelle Laflèche, auteure de « J’adore New York », vendu à plus de 45 000 exemplaires au Québec, dans le Canada anglais et en Allemagne, verra son bébé être lancé le 4 octobre prochain partout aux États-Unis !

J’adore New York, c’est l’histoire d’une avocate française qui fait son entrée dans un grand cabinet d’avocat new-yorkais, c’est la jungle, les coups bas, la course à la facturation d’innombrables heures de travail, les cocktails entre clients, les grands magasins, les vêtements griffés, la quête de l’amour. C’est une femme qui affronte une nouvelle ville et un nouveau milieu en remettant en question ses valeurs, ses désirs et ses rêves. L’homme qu’elle vient de rencontrer est-il à la hauteur de ses aspirations ? Veut-elle vraiment consacrer la majeure partie de sa vie au travail ? Aux contrats de millions entre grandes corporations ?

Possédant toutes les qualités de la chicklit des grandes occasions (quête amoureuse rocambolesque, fraîcheur et légèreté), J’adore New York dépasse ses voisins de tablettes d’une tête grâce à l’aspect professionnel et introspectif de son histoire. En plus de courir les magasins et d’espérer l’amour, la belle avocate nous fait découvrir avec ironie le milieu des avocats sous un tout nouvel angle, en plus de nous inviter dans sa réflexion sur son avenir.

Il y a une dizaine de jours, j’ai croisé une Isabelle Laflèche qui venait tout juste de mettre la touche finale à la suite très attendue de son premier roman, alors que celui-ci s’apprête à conquérir les États-Unis. 

Jetez un coup d’œil sur cette vidéo (http://vimeo.com/24786259) qui met en image le bon goût et l’intérêt porté à cette charmante lecture made in Quebec, alors que J’Adore Paris arrivera dans quelques mois sur nos tablettes.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

vendredi 16 septembre 2011

Critique de « Anna sous les tropiques » : bon comme un vieux cigare cubain

Anna sous les tropiques, présentée au Théâtre du Rideau-Vert jusqu’au 15 octobre, c’est la tradition, c’est Cuba, c’est la famille, c’est le genre de théâtre fait sur mesure pour ceux qui ressentent le besoin de s’imaginer sous des cieux plus chaleureux alors que l’été québécois s’amuse à prendre fin abruptement.

Campée dans un atelier de confection de cigares cubains, l’histoire d’Anna sous les tropiques met en opposition le besoin outrancier de modernité et l’envie de regarder le temps passer, de se laisser porter et d’écouter un homme vous faire la lecture. Voyez-vous, jusqu’à la fin des années 20, il était coutume d’engager un homme pour lire l’actualité et les grands romans aux ouvriers afin de les occuper, les faire rêver et les cultiver. Dans l’atelier d’Ofelia et de Santiago, Juan Julian entreprend sa première lecture avec un roman de Léon Tolstoï, Anna Karénine, dont les amours passionnées font ressortir le meilleur comme le pire de chacun des employés. Rêves de Russie, rêves d’un cœur qui vibre à en faire mal, envie suprême de faire taire les souvenirs qui remontent en écoutant le lecteur ou celle non moins puissante de ne pas perdre sa femme aux mains du gentleman lecteur. Tout y passe.

En mettant en scène un texte de l’auteur cubain Nilo Cruz, Jean Leclerc – principalement connu en tant qu’acteur au Québec et chez nos voisins les Américains – s’amuse avec les passions de son équipe d’acteurs en les faisant bouger, chanter, danser, parier, travailler, festoyer, et en saupoudrant le tout de quelques éléments tragicomiques. Bien qu’on force la note à l’occasion et que la fin de la pièce prend un rythme beaucoup trop rapide pour être cohérente, le résultat global d’Anna sous les tropiques est tout à fait sympathique.

Mention toute spéciale à l’actrice Geneviève Schmidt qui offre au public du Rideau-Vert une Marela ludique et attachante qui a le don d’attirer les yeux et les oreilles de tous les spectateurs chaque fois qu’elle ouvre la bouche.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Théâtre du Rideau-Vert – 13 septembre au 15 octobre

jeudi 15 septembre 2011

Critique de “S’embrasent” au Quat’Sous : comme de la ouate pour le cœur

Comment faire autrement que de se sentir soulevé par la brise de douceur et de bien-être ressentie en assistant à l’une des 10 représentations de « S’embrasent » au Théâtre de Quat’Sous ? Jouée un peu partout au Québec et en France depuis sa création en 2009, la pièce qui était d’abord destinée à un public adolescent réussit finalement à rejoindre le cœur de toutes les générations.

Le point d’ancrage du texte de Luc Tartar n’est rien d’autre qu’un baiser, celui que l’incandescent Jonathan donne à Latifa dans la cour d’école, ce baiser que tous les regards capteront, les écoliers, filles et garçons, les adultes, l’infirmière, le directeur et la vieille dame d’en face qui laisse une assiette remplie de condoms sur son balcon. Tous autant qu’ils sont, ils craquent. Le coup de foudre a frappé. Cupidon à une fois de plus plaisanté avec le néant, quitte à laisser derrière lui deux jeunes gens en équilibre instable au bord du temps et quantité de jeunes et moins jeunes gens haletants, interpellés, troublés, qui remettent en question ce qu’ils désirent de la vie et de l’amour.

Bien que frôlant les clichés en quelques occasions, les mots du dramaturge sont remplis de tendresse pour l’humanité, de foi en l’amour et de cette impression toute simple que la beauté du monde n’attend rien d’autre que de caresser notre joue pour nous faire frémir de plaisir. La mise en scène d’Éric Jean est inventive, mouvementée, chorégraphiée, dansée, chantée, dialoguée, projetée en chœur et remplie de petites trouvailles qui ont tout pour nous ravir.

Malgré les problèmes de rythme qui ponctuent la pièce à certains moments, « S’embrasent » profite du talent de quatre jeunes acteurs dynamiques et vivifiants, en plus d’avoir droit à Béatrice Picard en belle dame de cœur.

Une pièce comme S’embrasent, ça ne change pas le monde, sauf que… ça nous laisse une vieille chanson d’amour entre les deux oreilles pour quelques heures et ça nous confirme que le théâtre offert aux adolescents à de quoi ravir tout le monde, même leurs parents.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin.

Quat’Sous – 15 au 24 septembre



mercredi 14 septembre 2011

“Blanche-Neige & la Belle au Bois Dormant” : la mise en scène peut-elle sauver un texte boiteux ?

Première des trois propositions de Sophie Cadieux pendant sa résidence de création à l’Espace GO, “Blanche-Neige & la Belle au Bois Dormant” est une véritable réussite d’un point de vue scénographique, même si l’expression de son contenu est une déception quasi totale.

Issu des « Drames de Princesses », écrits par l’auteure Elfriede Jelinek en l’an 2000, le texte de Blanche-Neige & la Belle au Bois Dormant ne semble tout simplement pas fait pour être joué au théâtre. Bien plus proche d’un essai philosophique littéraire aux tendances hypnotisantes que d'une pièce de théâtre, le texte de Jelinek est un amalgame de beaux mots structurés sans fluidité que seule Sophie Cadieux semble en mesure de rendre avec clarté. Si ce n’était pas du travail sublime des autres artisans de la production, les mots de Jelinek aurait pu couler Blanche-Neige d’un seul coup.

Heureusement, il y a Martin Faucher, le metteur en scène, et toute son équipe de création, avec une mention toute spéciale pour le concepteur des décors Max-Otto Fauteux. Absolument tout sur scène évoque le questionnement de Jelinek sur le rapport à la beauté, au réel, à la vérité, et au poids que l’humain – la femme en particulier – choisit de leur accorder : une partie du mur avec un faux monticule de bûches de bois, des cadres donnant l’illusion que l’arrière-scène est une immense forêt, des présentoirs de revues de beauté et de cartes postales où seules des images sélectionnées et photoshopées sont présentées, des cabines d’essayage où Cadieux se transforme en Blanche-Neige enfantine et sexy ou en Belle au Bois Dormant plus indépendante et belliqueuse qu’on ne pourrait le croire. Chaque détail est réfléchi, chaque mouvement a sa raison d’être et la chorégraphie de déplacements imaginés par Martin Faucher amène le texte et le jeu des acteurs vers une dimension supérieure.

Eric Bruneau et Sébastien Dodge peinent à trouver leurs marques avec le texte verbeux de Jelinek, mais Sophie Cadieux fait preuve d’un investissement total qui lui permet de capter notre attention chaque fois qu’elle parle ou qu’elle bouge.

Bien entendu, les thèmes abordés par Elfriede Jelinek sont pertinents et le travail de Martin Faucher pour les transcender est fascinant, mais l’histoire à la base de "Blanche-Neige et la Belle au Bois Dormant" ne casse rien.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace GO – 13 septembre au 8 octobre

mardi 13 septembre 2011

Critique de « Blackbird » au Prospero : le plaisir jouissif de nager en eaux troubles

Désirant débuter sa nouvelle saison avec une œuvre forte, la direction du Théâtre Prospero a reprogrammé la pièce « Blackbird », 3 ans après sa première présentation. La pièce écrite par David Harrower est de toute évidence un petit bijou d’écriture qui ne peut faire autrement que de donner raison aux dirigeants du théâtre de la rue Ontario.

La présence indéniable de Gabriel Arcand se fait sentir sur scène dès les premiers instants. Peu à peu, Marie-Ève Pelletier nous démontre qu’elle a tout ce qu’il faut pour tenir tête à ce grand du théâtre québécois. L’homme et la femme qu’ils interprètent partagent un passé trouble qui n’a pas finit de laisser des traces. Ils sont à la fois chasseurs et chassés, torturés, blessés, vibrants et criants de vérité. Elle l’accuse, il tente de se justifier. Elle l’injure, il essaie de se faire pardonner. Les rôles changent. La vérité prend du temps pour se révéler, quitte à ne jamais se dévoiler complètement. Est-il aussi coupable qu’on le croit ? Est-elle réellement une victime ? Jusqu’à quel point ? Mérite-t-il une quelconque forme de pardon ? Est-il un monstre, un demi-monstre ou un homme vulnérable ? Est-elle venue le confronter, se venger ou le retrouver ? Rien n’est tout à fait clair, mais l’intérêt pour cette histoire ne nous lâche pas un seul instant.

La nature quelque peu sordide de Blackbird fait de David Harrower un digne descendant des dramaturges écossais qui nous offrent du théâtre trash de grande qualité depuis plusieurs années. Le talent d’Harrower est d’ailleurs à ce point perceptible grâce au travail de traduction réalisé par Étienne Lepage. Les non-dits verbalisés, les hésitations, les pensées que les deux personnages voudraient oublier dans un coin, cette impression de rythme saccadé, de propos hachurés, tout est formidablement bien rendu.

Bref, en osant nous mettre sous le nez une partie trouble de la réalité, David Harrower arrive à nous bousculer, alors que la direction d’acteurs du metteur en scène Téo Spychalski finit par nous mettre au plancher. Purement et simplement. Et c’est très bien ainsi.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

*Photo : Dominique Lafond

lundi 12 septembre 2011

“À toi” de Kim Thuy et Pascal Janovjak : écrire un roman comme on fait l’amour

À peine ai-je eu le temps de croiser Kim Thuy dans sa petite voiture jaune et de fondre sous le charme de son premier roman que ma Vietnamienne préférée remettait ça en mettant au monde un nouveau-né, « À toi », un roman épistolaire écrit à quatre mains avec l’écrivain Pascal Janovjak.

Quelques jours avant son lancement, j’exprimais à Kim ma surprise de la voir plonger dans un projet d’écriture à deux. Que ce soit pour un article, un billet de blogue ou un roman, l’idée de partager l’intimité des mots de quelqu'un d'autre m’apparaît hautement improbable. Kim m’avait alors répondu qu’elle avait eu un coup de foudre pour le rythme de leurs plumes et pour la mélodie que leur écriture pouvait créer. « Ce n’était pas une collaboration, mais une complicité. Je ne ferais ça avec personne d’autre », m’avait-t-elle expliqué. Je me suis alors dit que ce roman à deux voix était probablement aussi puissant que deux chanteurs qui se rejoignent en parfaite symbiose. « C’est aussi fort que de faire l’amour quelques fois, mais ce n’est pas agréable avec n’importe qui », lui avais-je répondu en faisant un parallèle avec mes pratiques de chant. Effectivement, le projet de Kim et Pascal semble avoir été à ce point jouissif que les deux passionnés l’auraient mené à terme pour leur simple plaisir personnel, qu’il soit publié ou non. Heureusement pour nous, leur premier enfant littéraire est né.

Lui, Pascal Janovjak, écrivain célébré, vivant à Ramallah en Palestine. Elle, Kim Thuy, marieuse de mots n’acceptant pas encore le titre d’auteure, vivant à Montréal au Canada. Leur rencontre a eu lieu à Monaco, leur échange s’est poursuivi par courriels et leur roman fera sans doute le tour du monde. Au début de leurs messages, la complicité est palpable, mais les deux écrivains ont le réflexe de faire des liens qui me sont apparus un tant soit peu forcés. Normal, ils apprenaient à se connaître dans leurs premières missives électroniques.

Peu à peu, les mots se déposent et la mélodie finit par s’envoler. Kim et Pascal ne pratiquent pas le même instrument, mais ils réussissent à jouer en harmonie. Très rapidement, je réalise que j’ai un parti pris pour Kim Thuy. Elle m’a séduit dans la réalité, elle m’a parlé, elle m’a souri, elle m’a envouté. Je l’ai ensuite lue, j’ai été ému et j’ai tout de suite voulu recommencer. En dévorant les pages de son premier roman (RU), j’ai eu la chance - comme tous les autres lecteurs - de profiter d’une relation exclusive avec Kim Thuy. Voilà que je dois la partager avec Pascal Janovjak. Je dois le lire, lui, son complice, son âme frère littéraire.

Au début, j'ai trouvé Pascal un peu plus descriptif, un peu plus philosophe, un peu moins simple. Je comparais ses mots à ceux de Kim et je sentais quelque chose comme de la lourdeur s’installer sous mes yeux. Plus j’avançais, plus je comprenais pourquoi. Lui, Pacal Janovjak, il vit en Palestime, il voit le mur, il traverse des checkpoints, il regarde Al Jazeera à la télé, il essaie d’être vivant et léger alors que le monde autour de lui cherche à le faire abdiquer. Elle, Kim Thuy, elle a fuit le Vietnam, elle a connu l’horreur, mais aujourd’hui elle a soif d’apprendre, elle essaie de vivre en sachant encore très bien ce que c’est que d’essayer de survivre. En bout de ligne, les mots de Pascal Janovjak me sont apparus plus lourds que ceux de Kim Thuy dans le premier tiers du roman parce que la réalité dans laquelle il évolue est tout simplement moins légère. Ses histoires ne sont pas tristes, morbides ou démoralisantes, mais elles sont teintées d’un ailleurs que je ne connais pas et qui me fait peur un petit peu. Quand je lis Kim Thuy, je me retrouve chez moi et chez elle, dans ces villes où elle se sent à la maison n’importe où, dans ce monde où l’on a le droit de transpirer la légèreté sans se faire dévisager.

D’un message à l’autre, les souvenirs défilent, les coutumes sont comparées, la culture, l’amour, la guerre, la sexualité, tout finit par être effleuré. Les lecteurs sont alors les témoins privilégiés de la rencontre magique de ces deux étrangers.

Ma lecture avance et ma façon de voir Pascal Janovjak évolue. J’accepte de le laisser entrer dans mon monde. Je le reçois, je l’écoute, je le regarde. Ce qui m’apparaissait au début comme un petit surplus de littérarité finit par me rejoindre et me toucher. Il est beau ce Pascal. Et sensible. Les pages se tournent d’elles-mêmes et je réalise que Kim Thuy a été séduite par un écrivain appartenant à une race d’hommes comme il s’en fait peu. Mes instincts me chuchotent à l’oreille que Pascal Janovjak a également été influencé par Kim Thuy dans sa façon d’écrire. On dirait qu’il observe différemment, qu’il raconte autrement. Je le sens plus simple, plus tendre, plus vrai qu’au début.

Quant à la belle Kim Thuy, j’essaierais de la présenter en parlant de candeur, de pureté et de désinvolture que je ne serais pas tout à fait en accord avec ce que je ressens. Kim Thuy, ce n’est pas un adjectif, c’est une image. Kim Thuy, c’est comme offrir des bonbons pendant le brunch du lancement de son deuxième roman. Kim Thuy, c’est une femme de plus de 40 ans qui essaie encore aujourd’hui d’apprendre à regarder les nuages. Kim Thuy, c’est l’éclat de rire d’un enfant dans le corps d’une femme issue d’un autre temps.

« À toi », c’est un homme et une femme qui se voient, qui se sentent et qui se comprennent. C’est un fil invisible entre deux continents. C’est terminer un livre en sachant combien le temps sera long avant la sortie du suivant.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

jeudi 8 septembre 2011

Critique de “Match” au Théâtre Jean Duceppe : Robert Lalonde remporte la partie !

Il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu Robert Lalonde tenir un rôle aussi important au théâtre. Dans « Match », une pièce écrite par Stephen Belber et mise en scène par Michel Poirier, le comédien se révèle comme la plus grande force du spectacle et permet aux spectateurs de se délecter d’une désinvolture qui fait bon à voir au Théâtre Jean Duceppe.

Jusqu’au 15 octobre prochain, les amateurs sont invités à pénétrer dans le magnifique appartement new-yorkais de Toby (Robert Lalonde), ex-danseur de ballet et actuel professeur émérite à la Julliard School. Un jour, l’homme reçoit la visite de Mike et Lisa (Alexandre Goyette et Marie-Chantal Perron), un couple qui s’intéresse supposément à l’histoire de la danse classique et aux mœurs débridées de ce groupuscule artistique de la fin des années 60. Rapidement, les spectateurs comprennent que l’homme et la femme enquêtent sur quelque chose de plus grave. Les versions s’entrechoquent, les mensonges fusent, la tension monte.

Bien que diluée par quelques accents tragico-baroques un brin irritants (de brefs passages musicaux et certains aspects du jeu de Goyette et de Perron), l’histoire de Stephen Belber réussit à tenir la route jusqu’au bout. Le décor dans lequel Match est installée possède exactement ce qu’il faut pour ajouter un soupçon de réel aux divers enjeux : murs de brique, piano, souvenirs de danse, vue imprenable sur Manhattan, on se croit dans la Grosse Pomme sans avoir besoin d’en faire plus.

Au début, le personnage d’Alexandre Goyette retient quelque chose en lui, il tourne en rond, il se gruge de l’intérieur. On sait très clairement ce qui motive son personnage, mais on a tout de même l’impression que l’acteur s’est lui-même coupé de ses émotions. Le sentiment se confirme d'ailleurs en le voyant revenir plus tard dans la pièce, beaucoup plus incarné, solide et sensible.

Force est d’admettre que la majeure partie du plaisir ressenti en assistant à Match revient à son acteur principal, Robert Lalonde. Vrai, toujours juste, foncièrement drôle, capable de laisser-aller et d'une belle humanité, l’acteur nous offre un personnage qui mène la pièce à fond de train, sans jamais tomber dans le surjeu ou dans l’esbroufe. La ligne est mince, mais elle n’est jamais dépassée.  
 
Avec Match, la saison du Théâtre Jean Duceppe commence de bien belle façon.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

*Photo : François Brunelle

mercredi 7 septembre 2011

Critique – “Le Fusil de Chasse” : le charme de se faire envoûter par une Japonaise

Ouvrant de belle et grande façon la nouvelle saison de l’Usine C, la pièce « Le Fusil de Chasse » est mise en scène par un adepte de l’esthétisme, François Girard, interprétée par une actrice japonaise mythique, Miki Nakatani, et portée par un texte puissant du romancier Yasushi Inoué.

Malgré ces qualités incontournables, Le Fusil de Chasse est loin d’être une œuvre facile à recevoir. Surtitrée en français et livrée en japonais – elle avait été jouée en français par Marie Brassard lors de sa création – la pièce impose une distance émotive avec plusieurs spectateurs. Puisque la partie cartésienne de notre cerveau est occupée à lire et à saisir les subtilités du texte d’Inoué, notre capacité à nous brancher sur les émotions de l’actrice est grandement diminuée.

N’empêche, avant même que Nakatani n’ouvre la bouche, le spectateur est ébloui par le décor du Fusil de Chasse. De l’eau tombe du plafond tel un rideau de larmes, l’actrice marche dans un bassin d’eau rempli de fleurs de lotus, habillée en écolière, prête à nous réciter la première des trois lettres qui servira de trame narrative à tout le spectacle.

Sur scène, une jeune adolescente, fille de suicidée, d’une maîtresse, d’une amoureuse. Sa démarche est toute en retenue, son corps exprime le refus d’accepter ce que sa mère a fait, soit tromper son mari et s’enlever la vie. Pendant la première partie, l’actrice Miki Nakatani – qui vit sa première expérience au théâtre après avoir ébloui le Japon et le reste du monde à la télévision et au cinéma – m’est apparue désincarnée, la gestuelle plaquée et le verbe faux.

Fort heureusement, l’incandescente actrice avait bien plus à offrir aux spectateurs de l’Usine C. Dans la deuxième partie, le bassin de lotus laisse place à un espace rempli de roches sur lesquelles la femme trompée (et également trompeuse) fera rugir le grondement qui sommeille en elle. Guidée dans son explosion par une musique amenée tout en subtilité, Nakatani finit par se laisser aller en y mettant toute la gomme. Elle est charnelle, fière, séductrice, tentaculaire, amante, femme, trompeuse, trompée et rageuse. On y est.

Arrive ensuite la mère de l’une et maîtresse du mari de l’autre. Les roches laissent alors place à un plancher de bois et à  « l’assemblage » fascinant du kimono de cette amoureuse trépassée. Posée, sereine, pure, la maîtresse suicidaire explique dans une lettre adressée à son amour les raisons de son suicide. Elle lui révèle ce qu’elle appelle son « moi » profond, ce côté passionnel et dangereux qui existe en tout être humain.

Jusqu’à la fin, chacun des gestes de l’actrice s’avère à la hauteur du texte de Yasushi Inoué : hypnotisant, froid et hermétique pour certains, puissant, chargé et transcendant pour d’autres.

Les dernières secondes défilent, un éclat de blanc éclaire Nakatani, elle s’agenouille, émue, ébranlée, comme la plupart des spectateurs qui quittent la salle après l’avoir ovationnée.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Sortie du 8e Aurélie Laflamme : à India Desjardins, mon extra-terrestre préférée

Le 6 septembre 2006, India Desjardins publiait le premier tome de sa série de romans pour ados, « Aurélie Laflamme : extraterrestre… ou presque ». Cinq ans plus tard, voilà que la belle auteure nous offre le huitième et dernier volet de l’un des plus grands succès littéraires du Québec. Ce que l’histoire ne dit pas cependant, c’est que ma relation avec India Desjardins a débuté il y a près de 10 ans, bien avant son succès.

16 ans – Journal de Montréal – conseils amoureux 
Lorsque j’étais étudiant de quatrième secondaire, j’obligeais mes parents à acheter l’édition du samedi du Journal de Montréal pour ne rien manquer des Chroniques de Miss Jiji, qu’on disait rédigées par une adolescente. Ne doutant jamais une seule seconde que de telles histoires pouvaient être imaginées par une journaliste comme India (parait qu’elle a un talent pour comprendre les ados…), j’avais un jour écrit à la chroniqueuse adolescente pour partager mon avis sur une question d’amour de jeunesse. Très cute, oui, je sais. Toujours est-il que 24 heures après avoir envoyé mon courriel, j’ai reçu une réponse de Miss Jiji qui m’indiquait se nommer India Desjardins. Je faisais partie d’un petit nombre de lecteurs à qui la journaliste avait choisi de dévoiler son identité. Du haut de mes 16 ans, je me sentais honoré.

À force d’échanges de courriels, de diners, de discussions et de conseils sur mes études en journalisme et sur mon premier roman, India Desjardins a été la première personne du milieu artistico-médiatique à croire en moi. Pour cela, je lui en serai éternellement reconnaissant.

19 ans – Aurélie Laflamme tome 1 – commentaires de lecteur
En avril 2006, après mes études en journalisme, India Desjardins m’a demandé un service : lire et commenter le manuscrit du premier Aurélie Laflamme. Cette fois, j’étais plus qu’honoré, j’étais carrément surexcité. Une auteure publiée voulait mon avis de jeune lecteur sur son travail. Entièrement dévoué à son projet, je lui ai remis quelque 25 pages de commentaires sur tout ce que j’aimais, ce qui me chicotait, ce qui me faisait rire et ce qui me touchait. Des pages et des pages d’opinions manuscrites qu’elle a d’ailleurs photocopiées pour défendre quelques idées auprès de son éditeur (exemple : la présence outrancière de pensées entre parenthèses… qui avaient le don de m’enchanter).

À la sortie du premier Aurélie Laflamme, non seulement me suis-je précipité dans une librairie pour l’acheter, mais j’ai également eu la surprise de voir mon nom inscrit dans les remerciements. J’étais fier. Si fier que toutes les fois où j’allais dans une librairie avec un ami, je prenais un instant pour lui parler du roman d’India en lui montrant mon nom imprimé dans les premières pages. Depuis, à la sortie de chacun des nouveaux tomes, je cours m’en acheter une copie et je rédige entre 10 et 15 lignes de commentaires par courriel. C’est ma tradition.

23 ans – Inspiration pour un personnage
Après 4 ou 5 tomes, la belle India m’a écrit pour me demander de l’aide une nouvelle fois. « Je t’invite à diner, j’ai besoin de te parler pour un de mes personnages. » Ce personnage, c’était Jean-Félix, l’ami d’Aurélie Laflamme. Grand, flegmatique, un peu dandy, doté d’un sens inné de la répartie et… homosexuel. Jean-Félix est en partie inspiré de moi et de ma réalité. Pleinement décidée à l’idée d’éviter les clichés, India voulait savoir comment j’avais vécu mon adolescence en tant que gai et comment j’avais appris à vivre avec ma différence. En bout de ligne, l'écriture d'India a permis à l’un des plus grands succès de la littérature adolescente du Québec d'avoir un personnage secondaire homosexuel qui est bien dans sa peau, qui ne fait pas pitié et qui s’éloigne des vieux clichés. Est-ce que je vous ai dit que j’étais fier ?

N’empêche, à la sortie du septième tome l’hiver dernier, j’ai eu l’impression – purement objective – que Jean-Félix occupait moins d’espace que les autres personnages secondaires de la série. J’ai donc expliqué ma pensée à India dans un courriel. Quelques heures plus tard, mademoiselle l’auteure me disait être tout à fait consciente de la situation et m’encourageait à lui fournir quelques idées. Un joli remue-méninge a donc suivi pour donner un peu plus de profondeur à son Jean-Félix.

25 ans – La fin d’une époque, le début d’une autre
Cette semaine, India m’a avoué être nerveuse à l’idée de ce que je pourrais dire du traitement qu’elle avait réservé à Jean-Félix dans le huitième tome. Force est d’admettre que de voir un personnage fictif vivre certaines de mes propres histoires et exprimer quelques-unes de mes réflexions sur la différence est un sentiment très particulier, mais ô combien positif. Je ne m’attendais pas à moins de la part d’India Desjardins.

Huit tomes et plus de 3000 pages plus tard, la belle Aurélie a pris beaucoup de maturité. Petite extra-terrestre chérie est devenue grande, mais non moins attachante, originale et merveilleusement folle (un sincère compliment venant de moi). J’ai le cerveau qui tilte chaque fois que je lis les histoires d’Aurélie. Je souris à m’en faire mal aux joues, j’éclate de rire aux 3 minutes, je suis attendri et je donne un bisou au roman en espérant qu’il se rende à l’écrivaine pour la remercier de tous ces passages qui me font tant de bien. Avec Aurélie, j’ai l’impression de ne plus être le seul extra-terrestre à vivre dans un univers parallèle et à aimer ça.

En terminant le huitième et dernier tome de la série, bien sûr que j’ai le cœur gros, mais je me dis que les jours où je vais m’ennuyer de la belle Aurélie, je n’aurai qu’à lever les yeux au ciel en me rappelant qu’il y a une belle extra-terrestre qui veille sur tous ses compatriotes expatriés sur Terre depuis 10 ans et pour encore longtemps.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin.

Critiques roman :


mardi 6 septembre 2011

« Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps » de Claudia Larochelle : la fragilité de l’abandon en écriture

Tout ce que j’ai en commun avec l’auteur et journaliste culturelle Claudia Larochelle, c’est un métier et un nom de famille. Mais un jour, quand je serai grand, je me jure de maîtriser comme elle la fragilité de l’être humain et la délicatesse d’une histoire qui ne veut tout simplement plus nous quitter.

L’hiver dernier, la nouvelle de Claudia dans le recueil collectif « Cherchez la femme » avait fait plus que m’ébranler, elle m’avait fragilisé, comme écorché et réconforté. En lisant ses mots, non seulement j’ai été ému, mais j’ai eu le sentiment d’entrer dans un univers où la mélancolie est permise, dans un monde où les émotions sont à la fois salvatrices et destructrices et dans un lieu où la transparence est imparfaite et follement nécessaire.

Ces jours-ci, Claudia Larochelle nous offre un livre composé entièrement de ses propres nouvelles. Loin, très loin des clichés voulant que le genre de la nouvelle se résume à la concision et à une fin surprenante, son recueil est l’exemple parfait de ces petits bouts d’histoires dont la longueur est tout simplement parfaite. Non pas que les personnages de Claudia n’aient pas l’étoffe des grands romans – bien au contraire – mais l’auteure a le don de nous attacher à leur destin dès les premiers instants et de nous en détacher juste au bon moment, sans nous laisser sur notre faim.

Partisan de la vulnérabilité, de l’écorchure, de la résilience, de la folie et de cette franchise qui nous met à nu sans la moindre gêne, le recueil de Claudia déshabille la femme, l’amoureuse, l’amante, la mère, la petite fille, la grand-mère, un morceau à la fois, jusqu’à l’abandon, jusqu’à la vérité, jusqu’à cette impression d’avoir posé les yeux sur une zone de l’être humain que bien peu d’entre nous osent montrer.

Maîtrisant l’écriture imagée comme bien peu d’écrivains savent le faire, Claudia Larochelle nous livre ses histoires avec délicatesse et solidité, comme une fleur fragile qui résiste au vent et à la vie. Chaque mot, chaque syllabe et chaque virgule donnent un rythme et un souffle à ces petites histoires qui nous montrent une partie cachée de nous-mêmes.

À mes yeux, un recueil de nouvelles, ça ne se résume pas. Toutefois, sachez que dans celui-ci, il y a beaucoup de nous, énormément d’elle, et que les chances que vous succombiez au charme de ses mots sont aussi élevées que l’âme de leur auteure est belle.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

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dimanche 4 septembre 2011

Critique de “L’Affaire Rachel Singer / The Debt” : le thriller-surprise de l’été 2011

Thriller historico-politique à cheval sur deux époques, « L’Affaire Rachel Singer » (« The Dept » en v.o.) est un de ces rares films où tout fonctionne : la bande-annonce est accrocheuse, le scénario est stimulant et divertissant, la réalisation est inspirée et les acteurs se sont passé le mot pour élever leur jeu d’un cran.

1965, Rachel Singer, jeune juive de 25 ans, membre d’un trio du Mossad israélien dont la mission est de retrouver le chirurgien boucher du camp nazi de Birkenau afin qu’il soit jugé. 1997, Rachel Singer, 57 ans, mère d’une jeune auteure ayant publié un livre sur l’histoire incroyable de sa mère, de celui qui deviendra son père et de leur acolyte.  Entre les deux, un remake drôlement efficace du film israélien La Dette d'Assaf Bernstein, sorti en 2007.

Possédant la faculté de nous tenir en haleine et de nous surprendre à chaque détour, le film réalisé par Joel Madden joue avec les époques et la perception qu’on bien voulu donner les trois héros israéliens à leur histoire. Relevant le pari de ne pas tout nous révéler, sans pour autant nous exaspérer de confusion, le film de Madden passe en un clin d’œil grâce à la quantité de revirements brillants qui nous sont proposés. Reposant sur un brillant scénario, L’Affaire Rachel Singer profite également du réalisme et de la vitalité que lui confèrent le rythme du montage, la musique, les effets sonores, ainsi que le choix des couleurs pour les deux époques.

Littéralement portée par le travail des acteurs Marton Csokas et Jessica Chastain (la délicieuse actrice ayant interprété le rôle de la mère dans The Three of Life), la première époque du film nous permet également d’assister au travail d’un Sam Worthington plus vrai et plus crédible qu’à l’habitude (Terminator Salvation, Avatar, Clash of the Titans), même s’il ne supporte pas la comparaison avec ses deux talentueux collègues. Quand à la deuxième époque de Rachel Singer, qui d’autre que l'actrice Helen Mirren pour nous en mettre plein la vue ? Sa seule présence permet au film d’action de hausser sa crédibilité d’un cran.

En plus d'être un thriller mené de mains de maître, L'Affaire Rachel Singer met en relief un pan troublant de notre histoire avec juste assez d'images et de phrases percutantes pour nous toucher, sans être obligé de tout nous montrer.

Bref, après quelque 115 minutes, le générique défile à l’écran, notre cœur reprend un rythme normal et nous sortons du cinéma avec l’impression que L’Affaire Rachel Singer valait amplement le prix (exorbitant) de l’entrée.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin.