lundi 27 février 2012

« Jean et Béatrice » au Théâtre Parenthèse : la surprenante trouvaille de la rue Masson

Qu’on ait l’habitude d’aller au théâtre une fois par trois mois ou trois fois par semaine, il est généralement très rafraichissant de tomber sur des acteurs que l’on ne connait pas et de découvrir un espace scénique dont on n’a jamais entendu parler. En montant la pièce « Jean et Béatrice », écrite par Carole Fréchette, le Théâtre Parenthèse nous offre non seulement son lot de nouveautés, mais également une soirée que l’on n’est pas sur le point d’oublier.

D’abord, il y a ce lieu, le Théâtre Parenthèse. Samedi soir dernier, 19h30, je marche sur la rue Masson en me demandant à quel moment le 2177 va apparaître sous mes yeux. Je franchis le viaduc, je me perds à moitié, je reviens sur mes pas et j’aperçois un immeuble à mi-chemin entre une école et une ancienne usine. Devant moi, une dizaine de personnes montent les trois étages d’un escalier de béton, sillonnent une série de couloirs impersonnels et rejoignent le reste des spectateurs devant la salle Jean-Pierre Bélanger. Nous serons tout au plus une soixantaine à nous entasser sur trois rangées de sièges pour assister à la représentation. Devant nous, les restes d’un appartement : divans d’une époque révolue, décorations iconoclastes et quantité de bouteilles d’eau dissimilées un peu partout.

Entrent alors en scène Hugo Turgeon, un acteur ayant cumulé des rôles dans plus d'une vingtaine de productions pour enfants, adolescents et adultes, et Diane Cormier, qui roule sa bosse en tant qu’actrice et professeure depuis qu’elle a gagné les auditions du Quat’Sous en 1995. À eux deux, ils ont la responsabilité de reproduire l’énorme tension dramatique qui doit s’installer entre Jean et Béatrice. Imaginée par Carole Fréchette (Les sept jours de Simon Labrosse, Les quatre morts de Marie, La petite pièce en haut de l’escalier et Je pense à Yu, qui sera présentée au Théâtre d’Aujourd’hui en avril), l’histoire est tout sauf quotidienne : Béatrice, jeune héritière, lucide et intelligente, affiche un message sur les murs de Montréal où elle affirme chercher un homme qui pourra l’intéresser, l’émouvoir et la séduire. Dans l’ordre. C’est à ce moment qu’un certain Jean se présente au 33e étage de l’immeuble désaffecté. Convaincu de pouvoir relever le défi, l’homme fait la connaissance d’une femme peu banale : Béatrice est excessive, plus ou moins franche, incapable de s’arrêter de raconter des histoires et victime d’excès de fatigue quand bon lui semble. Le tout dans un climat de tension et de chaleur qui donne envie aux spectateurs de voler une des nombreuses bouteilles d’eau que Béatrice engloutit à un rythme effréné.

Bien que l'interprétation d'Hugo Turgeon soit inégale, le travail de sa collègue Diane Cormier est en tous points remarquable. Fragile, fébrile, entièrement connectée à son personnage d’excentrique vulnérable, nous donnant l’impression de vivre chaque fraction de seconde et chaque parcelle d’émotion comme si c’était la première fois, Cormier n’est rien de moins qu’une révélation !

Profitant d’une histoire infiniment bien écrite où se mêle le drame et la comédie, l’authenticité crue et le mensonge, une impression de suspense et de temps qui s’arrête, en plus d’un espace scénique nouveau genre – qui aurait cru aller au théâtre pour voir un homme menacer de se jeter d’une fenêtre qui mène réellement sur l’extérieur – le Théâtre Parenthèse fait de « Jean et Béatrice » un moment théâtral hors norme qui fait bon à voir.

25 février – 1er, 2, 3, 8, 9, 10, 16 et 17 mars

Billetterie : 514-223-2031
billetterie@theatreparenthese.com
Salle Jean-Pierre Bélanger
Théâtre Parenthèse
2177 Masson, suite 311

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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vendredi 24 février 2012

Ines Pérée et Inat Tendu au Théâtre d’Aujourd’hui : la révolte gronde et subjugue !

Le metteur en scène Frédéric Dubois et son Théâtre des Fonds de Tiroirs ont relevé l’ambitieux défi de monter une œuvre de Réjean Ducharme, « Ines Pérée et Inat Tendu », à une époque où la révolte est au goût du jour. Peu importe qu’ils aient clamé les slogans du mouvement « Occupons Montréal » l’automne dernier, qu’ils soient actuellement impliqués dans une lutte à finir contre la hausse des frais de scolarité ou qu’ils s’opposent à l’aseptisation de notre société, nombreux sont ceux qui vont sortir du Théâtre d’Aujourd’hui inspirés et galvanisés.

Les habitués de Réjean Ducharme savent que le travail de l’auteur n’a rien de traditionnel. Plus souvent qu’autrement, le dramaturge québécois exprime un propos avant de raconter une histoire répondant à des conventions dramaturgiques linéaires. Cette fois, l'auteur s'attarde au refus de concéder, de rentrer dans le rang et d’écouter les diktats de la société. Avec Ines et Inat, nulle envie de se censurer ou de s’enliser dans le consensus. Parcourant le monde pour trouver quelqu’un qui voudra les « adopter », les adulescents font la rencontre d’Isalaide, une femme pincée qui délaisse rarement les conventions de la rectitude politique. Les rapports qui les unissent alterneront entre affection et incompréhension, avant de provoquer un changement de cap pour le moins drastique chez tout un chacun.

Il est bien difficile de résumer une pièce de Réjean Ducharme. D’abord parce qu’il est impossible de saisir tout ce que l’auteur nous catapulte au visage (ce qui génère d’ailleurs une certaine forme de plaisir), mais aussi parce qu’il faut vivre Ducharme pour bien comprendre à quel point l’expérience est mémorable. Les niveaux de langage sont exponentiels, les expressions sont déconstruites avec un brio hors du commun, l’anglais québécisé vient flirter avec le français découragé, l’absurde côtoie la critique sociale, la sensibilité embrasse la revendication politique. Bien malin celui qui aura la vivacité d’esprit nécessaire afin de profiter de toute la richesse mise à notre disposition dans « Ines Pérée et Inat Tendu ».

À ce sujet, levons notre chapeau à Frédéric Dubois qui a su diriger cette belle pagaille avec autant de doigté. Bien que la totalité de la distribution soit magnifique, il est nécessaire de mentionner à quel point Catherine Larochelle, Steve Gagnon et France LaRochelle sont fabuleux. Rarement a-t-on vu des acteurs aussi physiques, investis, drôles, sensibles, capables de rendre intelligible un langage aussi particulier et bouillonnants de cette envie de tout casser et de se faire aimer.

À l’image de la plus récente production d’un texte de Réjean Ducharme, « Ha Ha! … » au TNM en décembre dernier, « Ines Pérée et Inat Tendu » est trop longue d’une bonne demi-heure (la pièce dure 2 h 10 sans entracte). N’empêche, la quête d’authenticité des mots de Ducharme et la virtuosité incontestable du Théâtre des Fonds de Tiroirs marquent un trait bien défini dans la chronologie des grandes productions du théâtre québécois.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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mercredi 22 février 2012

« Frères » au Théâtre Prospero : la puissance de la candeur fraternelle

La directrice artistique de l’Opsis, Luce Pelletier, a choisi de poursuivre le Cycle italien du Théâtre Prospero en traduisant et en assurant la mise en scène de « Frères », une pièce de l’auteur Francesco Silvestri. Jusqu’au 10 mars prochain, les acteurs Émile Proulx-Cloutier et Benoit Rioux se chargeront d’illuminer une part de votre humanité grâce à la simplicité de leur fraternité.

Les lumières s’ouvrent sur un lit d’hôpital, quelques meubles et une structure où des centaines de rubans multicolores sont attachés. Les rubans font ici référence à cette tradition d’origine celtique voulant que si on lave une partie du corps malade avec un bout de tissu et qu’on l’accroche à un arbre situé près d’un puits aux vertus curatives, le malade guérit lorsque le tissu est complètement désagrégé.

Dans ce lit, un jeune homme, prisonnier de sa condition, souffrant d’une maladie innommable et incurable. À son chevet, son grand frère, un simple d’esprit à qui l’on interdit de prendre soin de celui qu’il aime au-delà de toute considération. Prétextant se rendre à la messe afin de visiter son petit frère en douce, l'aîné s’adonne à son propre rituel : il lui tient compagnie, lui raconte des histoires, le nourrit, le lave et lui offre toute son affection.

Bien qu’on puisse avoir le réflexe de comparer l’histoire de « Frères » à certaines productions viscéralement dramatiques qui nous remuent les entrailles de douleur, on finit par recevoir la candeur et la simplicité du fond et de la forme comme une bouffée d’air frais.

Ayant la lourde tâche de soutenir un monologue pendant un peu plus d’une heure, Émile Proulx-Cloutier est sensible, dynamique, agréablement cabotin et attendrissant. Les regards d’amour qu’il échange avec son « petit frère », Benoit Rioux, sont visiblement sincères.

À défaut de cris, de pleurs, d’insultes, de colère, de trahison et d’une panoplie de stéréotypes dramatiques, « Frères » soulève des questions fondamentales sur l’accompagnement d’un proche dans la souffrance : qui parmi nous accepterait de faire ce que ce simple d’esprit choisit d’accomplir chaque jour avec un enthousiasme renouvelé ? Qui parmi nous peut affirmer sans hésiter avoir un frère, une sœur ou un ami qui serait là pour le soutenir de la sorte ? Notre humanité relationnelle nous permet-elle de se savoir entourés de gens qui sont là quand ça compte vraiment, qui n’hésitent pas à tout lâcher pour nous aider et qui font de la considération d’autrui l’une de leurs priorités ?

En faisant le pari de la simplicité, « Frères » gagne énormément là où une partie de la population perd en humanité. 

Crédits photos : Marie-Claude Hamel

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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vendredi 17 février 2012

Critique de « L’Oratorio de Noël » : le procès d’un homme souffrant d’Alzheimer

Pour son retour sur les planches après 10 ans d’absence, l’acteur Raymond Bouchard a choisi de faire confiance aux mots de Michel Tremblay et à la mise en scène de Serge Denoncourt, qui avait affirmé aux dirigeants du Théâtre Jean Duceppe qu’il n’allait pas mener le projet à bien si l’acteur n’acceptait pas son offre. Heureusement pour lui et pour les milliers de spectateurs qui se déplaceront chez Duceppe jusqu’au 24 mars, le personnage principal de « L’Oratorio de Noël » est rendu par le talent vibrant de Raymond Bouchard.

Neurochirurgien autoproclamé le plus doué de Montréal, Noël est aux portes de l’Alzheimer. Vicieuse et foudroyante, la maladie provoque dans son esprit une confusion d’époques et de générations où 9 acteurs le visitent en empruntant les traits de son ex-femme, de son fils et de sa fille, à trois générations différentes. Bien qu’on sente venir les affres de l’Alzheimer et que plusieurs passages de la pièce y soient consacrés directement, la maladie est un prétexte pour que Michel Tremblay parle de ce qu’il connaît le mieux : la famille. Père absent, incapable de reconnaitre le talent de sa fille – une artiste peintre reconnue –  ou de croire que son fils ait pu choisir la même profession que lui par passion, en plus de vouloir l’impressionner, Noël est au banc des accusés. En raison du brouillard dans son cerveau et des trous dans lesquels sa maladie le plonge, l’homme ne sait plus s’il divague ou si les siens le visitent réellement, et il ne comprend pas comment les versions adolescentes de ses deux enfants peuvent affirmer certaines réalités qu’ils n’ont pas encore vécues.

Grâce à la maîtrise qu’il démontre une fois de plus pour entremêler les propos de plusieurs générations des mêmes personnages, Michel Tremblay nous fait très bien comprendre le chaos qui embrouille la tête de son personnage principal. À ce sujet, les multiples allers-retours et les phrases commencées par l’un, mais finies par l’autre sont fort habilement orchestrés par Serge Denoncourt.

En ce qui concerne les décors, un lit d’hôpital et quelques chaises sont installés devant un énorme rideau semi-transparent derrière lequel vont souvent s’asseoir les acteurs, devenant ainsi de moins en moins concrets et tangibles, à l’image des souvenirs de Noël qui ne sont plus l’ombre de ce qu’ils étaient.

Loin d’être parfait, le texte de Michel Tremblay nous offre certains passages de confrontation entre la jeune artiste incomprise et le vieux baby-boomer qui sombrent dans le déjà-vu. Sans compter cette idée particulièrement facile de camper les effets d’une maladie dégénérative du cerveau dans la tête d’un neurochirurgien réputé. 
Bien qu’inégale, la distribution compte sur plusieurs bons acteurs (Ginette Morin, Marie-Chantal Perron, Gabriel Lessard, Pierre-François Legendre, Monique Spaziani, Maude Laurendeau), dont Raymond Bouchard qui propose aux amateurs de théâtre une performance pleine d’émotions, de subtilités, de colère, d’incompréhension, d’impuissance et de résignation. Son jeu est de loin supérieur à tout ce qu’on a pu voir de lui à la télévision depuis années.

Maladroit, mais touchant de vérité, « L’Oratorio de Noël » plaira aux inconditionnels de Tremblay, ébranlera toute personne ayant un proche atteint d’Alzheimer et fera réfléchir tous les autres sur la famille, la compassion et la fragilité de l’esprit.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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jeudi 16 février 2012

Critique du roman « T’es con, point » : quand la connerie est irrésistible !

D’abord, il y a ce titre, « T’es con, point », qui reflète parfaitement l’impression générale qui se dégage du premier roman de l’auteur montréalais Doug Harris, publié en version originale en 2010 : un ton direct et punché, une écriture irrévérencieuse, un personnage de perdant sympathique et une série de jugements de la part du narrateur.

Le premier élément qui frappe l’imaginaire en débutant la lecture de « T’es con, point », c’est le choix d’avoir écrit l’histoire au « tu ». En révélant les milliers de travers de ses personnages et de leurs histoires, le « tu » privilégié par Doug Harris permets un je-ne-sais-quoi de franchement libérateur pour celui qui tient la plume et ceux qui en découvrent les mots.

Voyez-vous, le personnage principal du roman, Lee Goodstone, est à des années-lumière de la perfection. Grand, maigre, sans ambition et sans réel intérêt pour la gent féminine, Lee est celui que nos yeux préfèrent ne pas croiser sur la rue et celui que plusieurs s’amusent à pointer du doigt. Meilleur ami de Johnny, un homme ayant fait le choix d’utiliser sa belle gueule pour avancer dans la vie, Lee Goodstone finit par coucher – lui-même ne comprend pas comment ça lui est arrivé – avec Honey, le genre de fille que tout le monde désire ouvertement. Ce qu’il faut savoir avec Honey, c’est qu’elle s’adonne à être la copine de Johnny. Voilà, vous avez tout compris, Lee Goodstone, il est con, point.

En parcourant les 400 pages du premier roman de Doug Harris, les lecteurs sont plongés dans une succession d’histoires de drogue avec un dealer légèrement cinglé, témoins du sentiment très adolescent que la vie n’est qu’un long été qui ne se terminera jamais et font la connaissance avec un groupe d’amis dégénérés. Dans le lot, il y a Henry, un gars de 28 ans – vivant encore chez sa mère – qui est soupçonné d’être mêlé à la disparition d’une jeune adolescente paumée. Presque convaincu de l’innocence de son ami attardé, Lee Goodstone choisit de faire le pitre sous les yeux d’une reporter télé qui s’est donné le mandat d’élucider le mystère avant la police.
Aussi étrange que celui puisse paraître, on s’attache énormément au personnage principal de « T’es con, point ». Même s’il a tout d’un perdant invertébré, Lee Goodstone est sarcastique à souhait, étonnamment intelligent, incroyablement lucide, beaucoup plus humain qu’on pourrait le croire et particulièrement conscient des failles et des cratères de sa personnalité.

Pour la vérité brute de ses personnages, pour le plaisir de découvrir le Montréal anglophone contemporain et pour cette impression qu’il pourrait nous raconter n’importe quoi avec trop de détails, Doug Harris réussit le pari de nous offrir un premier roman extrêmement solide et divertissant. Certains lecteurs pourront prévoir un ou deux éléments de la fin du récit, mais « T’es con, point » est tout de même le genre de roman qu’on regrette sincèrement d’avoir terminé.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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-THÉÂTRE - "Vigile (ou le Veilleur)" au Rideau-Vert : la face cachée de la compassion
-CINEMA - "Extremely Loud and Incredebly Close" : la grande histoire d'un petit garçon
-THÉÂTRE - "L'Opéra de Quat'Sous" à l'Usine C : à quelques cheveux du grandiose
-Les coups de coeur du Sage Gamin en 2011 après 1 an d'existence

Chroniques romans :
LIVRE - Coup de coeur pur et simple pour "La tendresse attendra" de Matthieu Simard
LIVRE : Sortie du 8e Aurélie Laflamme : à India Desjardins, mon extra-terrestre préférée
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LIVRE : "À toi" de Kim Thuy et Pascal Janovjak : écrire un roman comme on fait l'amour
LIVRE : "Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps" : la fragilité de l'abandon en écriture
LIVRE : Kim Thuy : une rencontre, un regard, un roman. Ru.
LIVRE : "L'École des Films" : déclaration d'amour père-fils à travers le 7e Art
LIVRE : 17 façons de "Cherchez la Femme", dont 9 que je ne veux jamais oublier
LIVRE : "Encore un Pont à Traverser" : ce roman qui valait mieux que des feux d'artifice


vendredi 10 février 2012

Faire son deuil d’une carrière en chanson ? Pas si simple…

Je chante depuis 6 ans. Je chantonne depuis toujours.

Je suis le petit garçon qui s’époumone dans sa chambre du rez-de-chaussée, la fenêtre grande ouverte, donnant sur la rue, pour que les voisins puissent « profiter » des succès de Marjo, Marie Carmen,  Kathleen, France Gall et Marie-Denise Pelletier. Celui qu’on entend fredonner Le Petit Renne au Nez Rouge, Vive le Vent et Sainte Nuit un peu plus fort que les autres, pendant les spectacles de Noël.

Je suis le préadolescent qui se bat pour continuer d’utiliser sa voix aiguë de petit garçon en accompagnant Céline Dion, Whitney Houston, Lara Fabian et Mariah Carey.

Je suis l'adolescent de 17 ans qui habite au 9e étage des résidences du Cégep de Jonquière et qui prend l’ascenseur en s’imaginant que personne ne l’entend chanter une fois à l’intérieur...

Je suis le jeune adulte en quête d’amour propre et d’attention, conscient de son potentiel vocal, qui a le réflexe inconscient de chanter pour attirer les compliments. Celui qui chante sur la rue en allant faire son épicerie et qui peut difficilement résister à l’idée d’interrompre une conversation pour chanter un petit bout de chanson qui vient de se glisser à son oreille. Celui qui croit que la puissance vocale est l’un des sentiments les plus libérateurs qui existent sur terre en goûtant à la délicieuse impression d’exister après toutes ces années.

Je suis le gars de 20 à 25 ans qui prend conscience du rapport intime qui unit sa voix et sa valeur. Celui qui découvre que son corps devient rigide quand vient le temps de prouver quelque chose à quelqu’un. Celui qui laisse sa tête prendre en charge sa respiration, son support et sa justesse, au lieu de laisser son corps faire le travail instinctivement. Celui qui refuse de chanter dans les karaokés parce que la qualité du son et les tonalités offertes provoquent chaque fois une déception qu’il n’est pas encore capable d’assumer. Celui qui arrête de chanter dans la rue et dans les lieux publics parce qu’il n’a plus besoin de l’attention des autres pour se sentir vibrer.

Je suis aussi le gars de 20 à 25 ans qui n’aura jamais besoin de se battre pour arriver à exprimer ses émotions en chantant. Parce que même lorsqu’il a l’impression d’être au neutre, il a le pouvoir de transmettre. Parce que cette hypersensibilité qui l’a tant fragilisé pendant des années est en train de devenir sa plus grande alliée.

Je suis celui qui développe une réelle dépendance pour les chansons à textes et qui peut désormais passer des semaines sans s’arracher les poumons en chantant (mais qui aime quand même s’amuser à le faire une fois de temps en temps).

Je suis celui qui chante en public pour la première fois au mariage d’une amie en faisant pleurer le tiers des 150 invités et qui réalise que les compliments qu’on lui fait ne sont pas aussi bons que le sentiment de chanter sans se juger pendant 4 minutes.

Je suis celui qui recommence à chanter dans les rues et dans les lieux publics parce qu’il ne le fait (presque) plus pour attirer l’attention, mais seulement pour apprendre à se laisser aller. Celui qui sera capable de chanter du Josh Groban d’ici deux ou trois ans, mais qui préfère apprendre à chanter du Ingrid St-Pierre depuis quelques mois.

Je suis celui qui vit des moments de grâce où son grain de voix et sa capacité d’interprétation pourraient lui permettre de faire carrière, mais qui n’est jamais arrivé à rester constant comme les chanteurs professionnels. Celui qui n’arrivera peut-être jamais à vivre ses moments de grâce à l’extérieur de son appartement et de ses cours de chants, mais qui n’a pourtant pas encore assimilé la nouvelle totalement.

Je suis également ce grand garçon qui sait ce qu’il a gagné en chantant et qui n’arrêtera probablement jamais.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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Textes récents : 

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Les personnalités multiples de mes doubles croches
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Rentrée hivernale 2011 : vision d’un ex-ado qui regardait 40 h de télé par semaine
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À 11 ans seulement, j’étais déjà un imposteur de la musique
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Et si je vous révélais l’envers du décor de l’Opéra de Montréal ?
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Le Yin et le Yang du Sage Gamin en Chine
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samedi 4 février 2012

Don Juan est de retour à Montréal et Jean-François Breau y règne en roi et maître !

Les producteurs de la comédie musicale Don Juan se sont mis au défi de remplir la plus grande salle de la Place-des-Arts, Wilfrid-Pelletier, à 10 reprises entre le 2 et le 12 février. Profitant du retour des vedettes que sont devenues Jean-François Breau et Marie-Ève Janvier grâce à l’histoire du tombeur de ses dames depuis 2003, le spectacle voit Natasha St-Pierre, Étienne Drapeau, Jonathan Roy, Normand Lévesque et Amélie B. Simard tenir les autres rôles principaux.

Si à l'époque certains avaient douté du choix de Jean-François Breau en affirmant que le chanteur n’avait pas la virilité masculine nécessaire pour interpréter Don Juan, nul doute que l’Acadien a travaillé pour leur faire ravaler leurs paroles en 2012. Rustre, fier, beau parleur et profondément mâle dans la première partie, vulnérable, transi d’amour et aveuglé par sa jalousie dans la deuxième, Breau incarne parfaitement son personnage. Profitant de toutes les représentations qu’il a données à travers les années pour ajouter quelques couches de crédibilité à son jeu, le chanteur est impeccable vocalement et possède une présence scénique à faire pâlir de jalousie plusieurs de ses collègues.

L’ex-académicien Étienne Drapeau (Don Carlos) n’a tout simplement pas ce qu’il faut pour être de la distribution. Faux dans son jeu, freiné par une série de réflexes pop (les trémolos forcés et les fins de phrases non soutenues), ne possédant pas la moitié des nuances et du savoir-faire vocal de Jean-François Breau et de Marie-Ève Janvier, Drapeau semble mettre en application les émotions que sa tête lui suggère, sans que son corps et ses tripes entendent le message.

Le rôle de Raphael a quant à lui été donné à Jonathan Roy. Si la performance de l’ex-gardien de but des Remparts de Québec ne lui vaut pas un retour dans les ligues mineures, il n'arrive pourtant pas à nous convaincre qu’il a sa place dans la "ligue nationale" de la chanson. Vocalement correct et laissant entrevoir une capacité louable en termes d’interprétation, Jonathan Roy souffre des comparaisons face à l’interprétation touchante d’un Normand Lévesque et à la pureté vocale d’une Marie-Ève Janvier.

De son côté, Nathasha St-Pierre nous offre du Natasha St-Pierre. Bien qu’elle soit relativement crédible dans le rôle de la femme trahie et qu’elle possède un registre vocal impressionnant, St-Pierre chante de la gorge et du nez sans arriver à mêler sa voix au reste du chœur lorsqu'un numéro l'impose.

Tout est gros dans cette comédie musicale : les décors, la morale, l’envie de ratisser large dans les goûts du public. Néanmoins, les changements de décor sont très réussis, les succès radiophoniques  ont tout pour ravir les milliers de fans réunis dans la salle Wilfrid-Pelletier et les danseurs espagnols réussissent à nous enflammer malgré la bande sonore préenregistrée - trop forte - avec laquelle ils doivent composer.

Pour ceux qui sont capables de faire abstraction des grands défauts de la distribution, Don Juan saura émouvoir grâce à une série de chansons pop accrocheuses et grâce au talent incontestable de son interprète principal, Jean-François Breau.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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vendredi 3 février 2012

Vigile (ou le Veilleur) au Rideau-Vert : la face cachée de la compassion

En mettant « Vigile (ou le Veilleur) » à l’affiche du Théâtre du Rideau-Vert jusqu’au 28 avril, la directrice artistique Denise Filiatrault permet aux mots du dramaturge canadien Morris Panych d’être admirablement bien traités par la traductrice Maryse Warda, récipiendaire du Prix littéraire du Gouverneur général en 2011 dans la catégorie traduction, et par le réputé metteur en scène Martin Faucher. La soirée qu’elle nous invite à passer dans son théâtre au coin des rues St-Denis et St-Joseph fait un pied de nez à tous les symptômes de la dépression saisonnière en nous divertissant sans jamais nous abrutir.

Le jour où un homme reçoit une lettre de sa tante mourante lui demandant de venir à son chevet, celui-ci prend la décision de quitter son travail pour accompagner la seule parcelle de parenté qui lui reste, quelque 30 ans après l’avoir vue pour la dernière fois. Abandonné par ses parents, asocial, asexué, cynique, désabusé et ne filtrant à peu près rien de ce qu’il pense, l’homme vivote et déblatère autour du lit de sa tante, espérant qu’elle finisse par mourir et lui laisser tout ce qu’elle possède.

L’histoire de Vigile pourrait sembler banale et déprimante au premier coup d’oeil, mais on y trouve un humour diablement efficace et une réflexion surprenante sur la mort, la vieillesse, la solitude, la famille et la compassion. Dans son quasi-monologue, Éric Bernier fait preuve d’un aussi grand talent pour la comédie que lors des représentations enflammées de la pièce Le Mystère d’Irma Vep, présentées entre 2004 et 2008. Bien que Vigile soit à des années-lumière de l’exubérance d’Irma Vep, Bernier s’approprie un autre personnage en lui donnant une palette de couleurs des plus diversifiées, grâce à un jeu physique et des fluctuations vocales fort divertissantes.

Même si elle est sur scène en permanence, Kim Yaroshevskaya n’a que 6 ou 7 répliques à donner pendant toute la pièce. En ce qui la concerne, tout est question de présence, de chaleur et d’émotions. En la voyant réagir aux énormités du personnage d’Éric Bernier, difficile de ne pas souhaiter en secret que la belle interprète de Fanfreluche devienne notre tante ou notre grand-mère. Même en 2012, le charme de l’actrice opère toujours.

Bien entendu, on pourrait questionner la mise en scène fort traditionnelle de Martin Faucher et les jeux de lumière un peu agaçants quand vient le temps de délimiter les multiples tableaux de l’histoire, mais on serait inconscients de ne pas réaliser que Vigile est avant tout du théâtre d’acteur, et qu’à ce niveau, Faucher dirige ses interprètes de mains de maître. 

Pour les deux mois à venir, le Rideau-Vert propose du théâtre rafraîchissant, un Éric Bernier survolté, une Kim Yaroshevskaya attendrissante, une touchante réflexion sur la fin de nos jours, en plus d’un revirement de situation que presque personne ne peut voir venir. Une pièce qui vaut le détour !

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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mercredi 1 février 2012

Extremely Loud & Incredebly Close : la grande histoire d’un petit garçon

La bande-annonce du film Extremely Loud & Incredebly Close avait suffi pour me convaincre de voir le nouveau projet de Stephen Daldry, réalisateur ô combien talentueux des films The Hours, The Reader et Billy Elliot. Aujourd'hui, j'affirme sans hésiter que Extremely Loud & Incredebly Close est l’une des plus belles histoires qu’on m’ait racontées depuis des années.

Tout droit sorti de l’imaginaire de l’écrivain Jonathan Safran Foer et du scénariste Eric Roth, Oskar Schell est un enfant atypique : clairement plus intelligent que la moyenne, doté d’une curiosité sans bornes, faisant les frais d’une très longue liste de peurs (sociales et autres), l’enfant de 9 ans développe une passion pour les énigmes, la recherche et l’aventure. Le 11 septembre 2011, le papa d’Oskar fait partie des milliers de victimes du World Trade Center. Ce jour-là, sa vie bascule.

Oskar perd son complice, son héros. Lorsqu'il tombe sur une clé ayant appartenu à son père et dont il ignore l’utilité, le garçon entreprend de retrouver ce qu'elle peut ouvrir. Aidé d’un vieil homme qui a fait le choix de ne plus parler de sa vie, Oskar fait le tour de New York afin de mener à bout une quête qui lui permet de garder un lien avec son père.

Non seulement Thomas Horn (Oskar) est-il un enfant acteur supérieur à la moyenne, mais il pourrait carrément donner des leçons de jeu à plusieurs acteurs adultes bien établis. Profitant d’une intelligence émotive indubitable et de l’authenticité de sa jeunesse, Thomas Horn réussit à nous attacher à son personnage avec un seul regard. Épaulé par Sandra Bullock, Tom Hanks et Max Von Sydow, tous très touchants, le jeune acteur insuffle une vitalité au film du début à la fin.

Grâce aux plans de caméra et au montage rythmés, Extremely Loud & Incredebly Close nous tient en haleine tout au long de cette histoire exceptionnelle, alors que la musique nous plonge dans l’urgence quasi maniaque du petit garçon. La trame narrative principale du film Stephen Daldry ne tourne pas autour du 11 septembre, mais l'histoire se permet tout de même d’aborder la question des dommages collatéraux des attentats terroristes : l’incompréhension du garçon face à ce qui lui arrive, cette mort qui ne fait aucun sens, les messages laissés sur le répondeur, la dernière discussion avant la fin, les images du WTC qui s’écroulent. Une série de moments de grandes émotions heureusement dénués de sensationnalisme. 
Bien entendu, certains vont critiquer l'aspect larmoyant du film de Stephen Daldry, mais sachez que les 130 minutes d’Extremely Loud & Incredebly Close débordent d’éclats de rire, d’espoir et de beauté. Plusieurs d’entre vous quitteront le cinéma les yeux bouffis, les joues mouillées et le cœur en miettes, mais c'est un bien petit prix à payer pour avoir droit à une aussi grande histoire. 




Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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