Combien sommes-nous à avoir été impliqués dans une harmonie ou dans un groupe de concentration musique au secondaire ? Plusieurs, vous me direz. Cependant, je suis convaincu d’être celui qui a commencé sa vie musicale pour les pires raisons du monde. Analyse de l’imposture musicale d’un petit garçon de 11 ans.
Avant de faire mon entrée dans le groupe de concentration musique et dans l’Harmonie Harricana de la Polyvalente La Forêt d’Amos (avouez qu’avec un nom pareil, impossible de ne pas croire que je viens de LOIN), mon rapport avec la musique est particulier. À 5 ans, je goûte à mes premières expériences marquantes en chantant les succès de Marjo, Marie Carmen, France Gall, Kathleen et Martine St-Clair. Même en essayant d’enfouir ces souvenirs dans les vidanges de ma mémoire, je me souviens encore des jours où j’ouvrais la fenêtre de ma chambre en y installant mon radiocassette afin que les voisins « puissent en profiter eux aussi ».
Le petit gars qui chantait plus fort que tout le monde, c’était moi !
De la 1re à la 3e année du primaire, je participe comme tous les autres enfants aux spectacles de Noël en chantant Vive le Vent et Le Petit Reine au Nez Rouge. Serez-vous surpris d’apprendre qu’on entendait ma voix de falsetto particulièrement fort dans tous les spectacles ? Arrive ensuite le jour où on apprend à jouer de la flûte à bec soprano. Entre la 3e et la 4e année, les plus doués sont choisis pour apprendre à jouer de la flûte alto. Je suis de ceux-là. Jusque-là, rien n’annonce les 20 heures que je vais consacrer à la musique chaque semaine pour des raisons un brin douteuses.
Dans la plupart des groupes de concentration musique à travers le Québec, les élèves doivent être particulièrement studieux. Étant donné que nous manquons un cours de français, d’anglais, de mathématiques et de sciences physiques à chaque cycle de 9 jours, nous sommes obligés d’apprendre vite et bien.
C’est à ce moment-là que commence l’imposture…
Alors que je termine ma sixième année, j’apprends que le groupe de musique à la polyvalente est composé uniquement de tronches, et j’en suis toute une. Je suis ce qu’on appelle une « bolle », un premier de classe, le petit maudit fatigant qui performe dans toutes les matières, qui met son petit nom dans les livres de records de certains professeurs, et qui se fait pointer du doigt pour ses succès.
À peu près au même moment, on m’explique aussi que les élèves de première secondaire suivent des cours d’arts plastiques, en plus d’apprendre à jouer de la guitare en musique. Je suis nul pour mourir en dessin et – Dieu seul sait pourquoi – j’ai une aversion évidente à l’idée d’apprendre la guitare. C’est ainsi que 1+1+1 = j’en ai marre d’être la seule tronche de mon clan, je suis prêt à tout pour ne pas apprendre la guitare, et je veux profiter de l’absence des court d’arts plastiques au cursus de concentration musique. Entre vous et moi, la musique classique, les instruments à vent, les percussions et les métronomes, je n’en ai rien à cirer…
Ma vie vient de changer pour les mauvaises raisons
Première secondaire, je suis accepté parmi les quelque 30 élèves de concentration musique de la Polyvalente La Forêt. Un esprit de groupe se crée rapidement, certains enseignants nous adorent, d’autres nous redoutent. Nous nous connaissons très bien, nous nous suivons dans tous les cours, nous avons beaucoup de têtes fortes, et nous performons partout. Mais on jase, Dieu qu’on jase…
Un instrument de gars ou un instrument de fille ?
Dès nos premiers jours en musique, l’exploration des différents instruments débute. Que puis-je choisir ? Je suis un jeune de 12 ans écrasé par le poids des préjugés et j’ai l’impression que la flûte traversière et la clarinette sont des instruments de filles que je n'ai pas le droit d'envisager. Je marche à bonne distance de la guitare basse. Je n’ai jamais eu suffisamment de coordination pour jouer de la batterie ou des percussions. Je me ridiculise en essayant tous les cuivres (trompette, trombone, baryton, cor, tuba). Ne me restent plus que deux choix : le hautbois et le basson. Le premier est « réservé » par une fille qui sait en jouer depuis deux ans. Le deuxième n'est rien de moins que le petit frère pauvre de l’harmonie : personne ou presque n’est capable d’en jouer et personne n’en veut. Je tente ma chance ET JE RÉUSSIS À PRODUIRE UN SON. Joie ! Je deviens alors l’un des rares bassonistes de l'histoire de l’Harmonie Harricana.
Première secondaire, je suis accepté parmi les quelque 30 élèves de concentration musique de la Polyvalente La Forêt. Un esprit de groupe se crée rapidement, certains enseignants nous adorent, d’autres nous redoutent. Nous nous connaissons très bien, nous nous suivons dans tous les cours, nous avons beaucoup de têtes fortes, et nous performons partout. Mais on jase, Dieu qu’on jase…
Un instrument de gars ou un instrument de fille ?
Dès nos premiers jours en musique, l’exploration des différents instruments débute. Que puis-je choisir ? Je suis un jeune de 12 ans écrasé par le poids des préjugés et j’ai l’impression que la flûte traversière et la clarinette sont des instruments de filles que je n'ai pas le droit d'envisager. Je marche à bonne distance de la guitare basse. Je n’ai jamais eu suffisamment de coordination pour jouer de la batterie ou des percussions. Je me ridiculise en essayant tous les cuivres (trompette, trombone, baryton, cor, tuba). Ne me restent plus que deux choix : le hautbois et le basson. Le premier est « réservé » par une fille qui sait en jouer depuis deux ans. Le deuxième n'est rien de moins que le petit frère pauvre de l’harmonie : personne ou presque n’est capable d’en jouer et personne n’en veut. Je tente ma chance ET JE RÉUSSIS À PRODUIRE UN SON. Joie ! Je deviens alors l’un des rares bassonistes de l'histoire de l’Harmonie Harricana.
Quelques jours me suffisent pour réaliser que le basson est l’un des instruments les plus difficiles à maîtriser du monde (avec le cor anglais) : l’équivalent d’une « longue clarinette » installée sur ma cuisse droite, le basson est un instrument à vent fait en bois, doté d’un son nasillard détesté par 95% de mes collègues de classe et d’un registre allant du très grave au très aigu. Pour arriver à créer un son, je dois souffler dans une anche double, soit deux petits bouts de bois très minces collés ensemble, sur lesquels mes lèvres doivent pincer selon la résistance demandée par le registre. Puisque les feuilles de doigtés du basson n’existent pratiquement pas à mon école secondaire, je décide de les créer sur le tas avec l’aide d’un professeur privé.
20 heures de musique par semaine
En plus de mes cours réguliers, de mes huit cours de musique (10 heures par semaine), de 5 pratiques sur les heures du diner (5 heures par semaine), de mes répétitions à la maison (3-4 heures par semaine), je choisis d’ajouter un cours privé à mon horaire. À 12 ans seulement, je consacre 20 heures par semaine à la discipline musicale. Un investissement de temps et d’énergie qui me permet rapidement de participer à de charmants concerts de Noël, au Grand Rassemblement des Harmonies de l’Abitibi-Témiscamingue qui réunie sur scène près de 400 musiciens interprétant les mêmes morceaux avec une puissance effarante, en plus de prendre part à quelques compétitions provinciales mémorables.
20 heures de musique par semaine
En plus de mes cours réguliers, de mes huit cours de musique (10 heures par semaine), de 5 pratiques sur les heures du diner (5 heures par semaine), de mes répétitions à la maison (3-4 heures par semaine), je choisis d’ajouter un cours privé à mon horaire. À 12 ans seulement, je consacre 20 heures par semaine à la discipline musicale. Un investissement de temps et d’énergie qui me permet rapidement de participer à de charmants concerts de Noël, au Grand Rassemblement des Harmonies de l’Abitibi-Témiscamingue qui réunie sur scène près de 400 musiciens interprétant les mêmes morceaux avec une puissance effarante, en plus de prendre part à quelques compétitions provinciales mémorables.
Au mois de mai de chaque année, l’Harmonie Harricana participe au Festival des Harmonies de Sherbrooke, événement incontournable pour tous les jeunes musiciens qui se respectent. Autobus voyageur, cinq jours sans les parents, des bonbons à profusion pour survivre aux 10 heures d’autobus entre Amos et Sherbrooke. Le bonheur.
La première année, en plus de participer à la compétition d’harmonies et de lecture à vue (on vous met une pièce sous les yeux seulement 20 minutes avant de vous demander de la jouer en groupe devant les juges), j’ai la bonne idée de tenter ma chance en solo. Vendredi matin, 9 heures, je suis un des premiers solistes amossois à jouer, les autres musiciens n’ont pas encore commencé à courir à droite et à gauche sur l’énorme campus de l’Université de Sherbrooke. Tout le monde est là. Environ 100 personnes que je connais me regardent et m’écoutent, moi, le petit gars de 12 ans qui n’a jamais rien fait de pareil. Je m’apprête à jouer une pièce beaucoup trop difficile pour moi, j’angoisse et je transpire comme un perdu, je me plante avec grand talent, j’obtiens la 4e place au Québec (sur 6…), et mes parents néophytes en musique tentent de me consoler en affirmant qu’ils ont trouvé ça beau, sans se douter que mon besoin de performer venait de prendre son envol pour le restant de ma vie.
C’est tout ou rien
En deuxième secondaire, autre voyage à Sherbrooke, de superbes performances en harmonie, une autre quatrième place en solo (moins brise-cœur celle-là). En troisième secondaire, c'est la totale : je pousse mon envie de performer jusqu’à préparer une pièce qu’un de mes collègues trombonistes, clairement identifié comme un musicien prodige, avait interprétée l’année précédente en gagnant le titre provincial. Lorsque mon tour arrive, je ne me plante pas, mais je ne réussis jamais à m’approprier une pièce qui n’a jamais été faite pour moi. Autre quatrième place.
La même année, l’harmonie des secondaires 3-4-5 prépare trois pièces pour le concours, dont une avec un solo de basson, une rareté suprême pour l’instrument d’accompagnement qui est le mien. Nous préparons les trois pièces depuis janvier, et je suis incapable de réussir le fameux solo. Le mois de mai m’angoisse. L’heure fatidique approche.
Moins d’une minute avant de commencer la fameuse pièce, une amie qui joue de la clarinette basse me suggère de prendre le relais si je ne me sens pas assez solide. « Pas question ». Je me lance, les secondes filent, les notes s’enchaînent. Je réussis le solo à la perfection pour la première fois de ma vie le jour de la compétition. Wahou !
Cette année-là, je suis allé au bout de mon aventure musicale. Je réalise que je fais de la musique pour prouver à tout le monde que je suis capable de grandes choses, au lieu d'en faire pour m’amuser. Je décide alors de tout arrêter.
Mon dernier concert en public
Troisième semaine de mai, un certain samedi soir, les compétitions provinciales sont derrière moi, je me prépare à jouer en public pour la dernière fois lors du spectacle de fin d’année de mon école privée. Ce soir-là, je choisis de me faire plaisir (il était temps !). Je m’approprie la pièce, je prends mon temps, j’oublie volontairement quelques passages pour laisser la place au piano, et j’apprends à ressentir ce que je joue.
À la fin du spectacle, mon professeur vient me voir en coulisse et me dit que je n’ai jamais aussi bien joué, une amie m’avoue avoir apprécié le son nasillard du basson pour la première fois, et les dirigeants de l’école m’offrent une bourse de centaines de dollars qui pourra payer mes cours de l’an prochain. En fin de compte, je donne la bourse au tromboniste prodige qui suivait des cours avec le même prof que moi…
Plus d’une dizaine d’années plus tard, je peux affirmer sans me tromper que ces trois années de musique m’ont donné une oreille musicale merveilleuse pour apprendre les langues, une discipline implacable, la capacité d’assister à un concert classique en aimant ça, le droit de relever toutes les fausses notes des musiciens et des chanteurs, et le privilège d’avoir joué des chansons populaires comme Stayin’ Alive en version harmonique !
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
C’est tout ou rien
En deuxième secondaire, autre voyage à Sherbrooke, de superbes performances en harmonie, une autre quatrième place en solo (moins brise-cœur celle-là). En troisième secondaire, c'est la totale : je pousse mon envie de performer jusqu’à préparer une pièce qu’un de mes collègues trombonistes, clairement identifié comme un musicien prodige, avait interprétée l’année précédente en gagnant le titre provincial. Lorsque mon tour arrive, je ne me plante pas, mais je ne réussis jamais à m’approprier une pièce qui n’a jamais été faite pour moi. Autre quatrième place.
La même année, l’harmonie des secondaires 3-4-5 prépare trois pièces pour le concours, dont une avec un solo de basson, une rareté suprême pour l’instrument d’accompagnement qui est le mien. Nous préparons les trois pièces depuis janvier, et je suis incapable de réussir le fameux solo. Le mois de mai m’angoisse. L’heure fatidique approche.
Moins d’une minute avant de commencer la fameuse pièce, une amie qui joue de la clarinette basse me suggère de prendre le relais si je ne me sens pas assez solide. « Pas question ». Je me lance, les secondes filent, les notes s’enchaînent. Je réussis le solo à la perfection pour la première fois de ma vie le jour de la compétition. Wahou !
Cette année-là, je suis allé au bout de mon aventure musicale. Je réalise que je fais de la musique pour prouver à tout le monde que je suis capable de grandes choses, au lieu d'en faire pour m’amuser. Je décide alors de tout arrêter.
Mon dernier concert en public
Troisième semaine de mai, un certain samedi soir, les compétitions provinciales sont derrière moi, je me prépare à jouer en public pour la dernière fois lors du spectacle de fin d’année de mon école privée. Ce soir-là, je choisis de me faire plaisir (il était temps !). Je m’approprie la pièce, je prends mon temps, j’oublie volontairement quelques passages pour laisser la place au piano, et j’apprends à ressentir ce que je joue.
À la fin du spectacle, mon professeur vient me voir en coulisse et me dit que je n’ai jamais aussi bien joué, une amie m’avoue avoir apprécié le son nasillard du basson pour la première fois, et les dirigeants de l’école m’offrent une bourse de centaines de dollars qui pourra payer mes cours de l’an prochain. En fin de compte, je donne la bourse au tromboniste prodige qui suivait des cours avec le même prof que moi…
Plus d’une dizaine d’années plus tard, je peux affirmer sans me tromper que ces trois années de musique m’ont donné une oreille musicale merveilleuse pour apprendre les langues, une discipline implacable, la capacité d’assister à un concert classique en aimant ça, le droit de relever toutes les fausses notes des musiciens et des chanteurs, et le privilège d’avoir joué des chansons populaires comme Stayin’ Alive en version harmonique !
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Mon cher Sam,
RépondreSupprimerlire tes textes est toujours un véritable plaisir. Tu es vraiment doué d'un talent hors pair pour l'écriture.
Cette fois, bien plus qu'à l'habitude, je me suis sentie interpellée par ton texte et il a su, à plus d'une reprise, mettre un sourire sur mes lèvres. Dire que j'ai été témoin de ces années d'imposture et ce, sans même m'en rendre compte! Il faut croire que tu as réussi à bien cacher ton jeu. Mais peu importe la raison pour laquelle tu t'es retrouvé dans ce groupe, qu'on la qualifie d'imposture ou non, sache que ta présence fut grandement appréciée!
Merci de m'avoir remémoré de si bons souvenirs..
Merci de nous partager tes textes qui, l'instant de quelques minutes, me permettent de me transporter loin de mon univers où tout va vite, trop vite...
ta vieille amie, Marie-Pier N
Ma chère Marie-Pier,
RépondreSupprimerSache que les raisons initiales étaient une belle imposture, mais que ces trois années ont été un véritable charme en général.
Bien heureux de savoir que mes textes se faufilent dans les temps libres du médecin admirable que tu deviens.
Et puis pour "cacher mon jeu"... je n'ai pas de mérite. J'ai un certain talent pour le théâtre... ;-)
Samuel