Vendredi soir, je retourne au théâtre après une semaine passée sans avoir vu de spectacle. Le Théâtre d’Aujourd’hui m’ouvre ses portes pour la première fois de l’année. J’avais hâte. Grâce à des pièces comme La Liste et l’adaptation musicale des Belles-Sœurs, la saison dernière, Aujourd’hui s’est forgé une place dans mon cœur aux côtés des incontournables du théâtre montréalais.
J’arrive quelques minutes avant le début de la pièce. Il y a Tom qui m’attend. Tom est un jeune homme, début vingtaine, filiforme, cheveux blonds, des traits délicats. Tom est un deuil. Tom est perdu. Tom cherche ses mots pour exprimer les émotions qui se bousculent. Tom doit aller à la ferme de son amour perdu, à la source d’un mensonge qu'il ne connaissait pas, dans une famille qui protége un être que nul ne pouvait présenter en disant « je le connais pour vrai ». Quand Tom fait ses premiers pas dans la maison de cet amour, il chancelle.
Autour de lui, des armoires en mélamine, un mur, une table et des chaises en bois, version époque révolue d’un lointain coin perdu. Un décor qui ancre instantanément l’homme que je suis dans l’histoire que tout le monde se raconte. Au début, Tom débite tout un tas de phrases, de mots et de synonymes. Tom me fait aussitôt penser au personnage d’Isabelle, "l'attardée" des Muses Orphelines, imaginées par le même raconteur d’histoires que celle de ce soir, Michel-Marc Bouchard. Isabelle voulait faire éclater la vérité grâce aux mensonges et elle se passionnait pour les mots. Pareil pour Tom. La dernière œuvre de Bouchard me fait également penser à une autre de ses plus marquantes, Les Feluettes, de par cette idée voulant que les mensonges sauvent la vie.
Une fois les comparaisons laissées derrière, j'essaie de capter ce qui se passe devant. D’abord, il y a Alexandre Landry, le jeune filiforme aux cheveux dorés qui interprète Tom. Au début de la pièce, Landry ne me semble pas convaincant du tout. Vivant les souffrances d’un deuil qu’il n’accepte pas en faisant des rencontres qu’il ne comprend pas, son Tom a raison d’être troublé, perdu et déconnecté. Pourtant, quand vient le temps pour son interprète de chercher ses mots et de se perdre dans sa tête, c’est la vérité toute nue d’Alexandre Landry que j'ai vue naître, pas celle de Tom à la ferme.
Quelques minutes plus tard, le vent tourne. Lise Roy et Eric Bruneau font leur entrée en nous donnant l'impression qu'ils sont terriblement ancrés dans leur corps et dans l’histoire. Les choses commencent à sentir meilleur tout d’un coup. Talentueux dans les séries télé telles que Toute la Vérité et Musée Éden, Eric Bruneau voit sa force brute se révéler complètement au théâtre. Électrisant de folie et de vulnérabilité il y a quelques années dans Equus, présentée chez Jean Duceppe, Bruneau donne cette fois dans la virilité, le machisme, la menace, et l’ambiguïté. Jouant avec grande justesse le rôle du grand frère qui est prêt à toutes les tortures pour éviter à sa mère d’apprendre que son autre fils était gai, l’acteur est tout simplement fascinant à voir aller.
À peu près au milieu de la pièce, l'actrice Évelyne Brochu fait une entrée éclatante. Si Lise Roy et Éric Bruneau n’étaient pas aussi bons, et si Alexandre Landry n’avait pas lui aussi réussi à nous faire croire à son Tom craintif et insolent, la belle blonde aurait littéralement volé la vedette. Tout au long de sa présence sur scène, son sens du timing est habilement mis au service d’une série de répliques en franglais qui ont fait mouche à toutes les fois.
C’est d’ailleurs à ce moment qu’on en vient à se questionner sur l’écriture de Michel-Marc Bouchard. Alors que certains passages sont si vrais, si touchants, si durs, si percutants et si habilement amenés, comment se fait-il que d'autres aient l’air à ce point incohérents ?
Comment expliquer cette attirante ambigüité entre Tom et le frère du défunt, autrement qu’en prétextant la ressemblance frappante entre les deux frères ? Comment Tom en vient-il à désirer rester à la ferme du mensonge et de la torture en souhaitant soudainement « sauver » le sort de son bourreau et de cette belle-mère qui vit dans une autre réalité ? Comment se fait-il que cette même belle-mère réagisse avec un tel détachement en apprenant la fâcheuse situation dans laquelle est plongé Tom, alors que la présence de celui-ci est supposément responsable du sourire qu’elle avait perdu depuis longtemps ?
Malgré la quantité d’images et d’émotions qui m’ont touché tout au long de la pièce, c’est seulement à la toute fin que le déclic s’est produit. Lors des applaudissements, une première larme est tombée. En rentrant en métro, un besoin irrépressible d’écouter de la musique qui remue s'est imposé pour faire sortir un trop-plein d'émotion. En marchant dans les rues jusqu’à la maison, des dizaines de larmes ont suivi. Un peu comme si la graine d’émotion que Michel-Marc Bouchard avait semée n’était pas arrivée à maturité pendant la pièce, mais juste après.
J’arrive quelques minutes avant le début de la pièce. Il y a Tom qui m’attend. Tom est un jeune homme, début vingtaine, filiforme, cheveux blonds, des traits délicats. Tom est un deuil. Tom est perdu. Tom cherche ses mots pour exprimer les émotions qui se bousculent. Tom doit aller à la ferme de son amour perdu, à la source d’un mensonge qu'il ne connaissait pas, dans une famille qui protége un être que nul ne pouvait présenter en disant « je le connais pour vrai ». Quand Tom fait ses premiers pas dans la maison de cet amour, il chancelle.
Autour de lui, des armoires en mélamine, un mur, une table et des chaises en bois, version époque révolue d’un lointain coin perdu. Un décor qui ancre instantanément l’homme que je suis dans l’histoire que tout le monde se raconte. Au début, Tom débite tout un tas de phrases, de mots et de synonymes. Tom me fait aussitôt penser au personnage d’Isabelle, "l'attardée" des Muses Orphelines, imaginées par le même raconteur d’histoires que celle de ce soir, Michel-Marc Bouchard. Isabelle voulait faire éclater la vérité grâce aux mensonges et elle se passionnait pour les mots. Pareil pour Tom. La dernière œuvre de Bouchard me fait également penser à une autre de ses plus marquantes, Les Feluettes, de par cette idée voulant que les mensonges sauvent la vie.
Une fois les comparaisons laissées derrière, j'essaie de capter ce qui se passe devant. D’abord, il y a Alexandre Landry, le jeune filiforme aux cheveux dorés qui interprète Tom. Au début de la pièce, Landry ne me semble pas convaincant du tout. Vivant les souffrances d’un deuil qu’il n’accepte pas en faisant des rencontres qu’il ne comprend pas, son Tom a raison d’être troublé, perdu et déconnecté. Pourtant, quand vient le temps pour son interprète de chercher ses mots et de se perdre dans sa tête, c’est la vérité toute nue d’Alexandre Landry que j'ai vue naître, pas celle de Tom à la ferme.
Quelques minutes plus tard, le vent tourne. Lise Roy et Eric Bruneau font leur entrée en nous donnant l'impression qu'ils sont terriblement ancrés dans leur corps et dans l’histoire. Les choses commencent à sentir meilleur tout d’un coup. Talentueux dans les séries télé telles que Toute la Vérité et Musée Éden, Eric Bruneau voit sa force brute se révéler complètement au théâtre. Électrisant de folie et de vulnérabilité il y a quelques années dans Equus, présentée chez Jean Duceppe, Bruneau donne cette fois dans la virilité, le machisme, la menace, et l’ambiguïté. Jouant avec grande justesse le rôle du grand frère qui est prêt à toutes les tortures pour éviter à sa mère d’apprendre que son autre fils était gai, l’acteur est tout simplement fascinant à voir aller.
À peu près au milieu de la pièce, l'actrice Évelyne Brochu fait une entrée éclatante. Si Lise Roy et Éric Bruneau n’étaient pas aussi bons, et si Alexandre Landry n’avait pas lui aussi réussi à nous faire croire à son Tom craintif et insolent, la belle blonde aurait littéralement volé la vedette. Tout au long de sa présence sur scène, son sens du timing est habilement mis au service d’une série de répliques en franglais qui ont fait mouche à toutes les fois.
C’est d’ailleurs à ce moment qu’on en vient à se questionner sur l’écriture de Michel-Marc Bouchard. Alors que certains passages sont si vrais, si touchants, si durs, si percutants et si habilement amenés, comment se fait-il que d'autres aient l’air à ce point incohérents ?
Comment expliquer cette attirante ambigüité entre Tom et le frère du défunt, autrement qu’en prétextant la ressemblance frappante entre les deux frères ? Comment Tom en vient-il à désirer rester à la ferme du mensonge et de la torture en souhaitant soudainement « sauver » le sort de son bourreau et de cette belle-mère qui vit dans une autre réalité ? Comment se fait-il que cette même belle-mère réagisse avec un tel détachement en apprenant la fâcheuse situation dans laquelle est plongé Tom, alors que la présence de celui-ci est supposément responsable du sourire qu’elle avait perdu depuis longtemps ?
Malgré la quantité d’images et d’émotions qui m’ont touché tout au long de la pièce, c’est seulement à la toute fin que le déclic s’est produit. Lors des applaudissements, une première larme est tombée. En rentrant en métro, un besoin irrépressible d’écouter de la musique qui remue s'est imposé pour faire sortir un trop-plein d'émotion. En marchant dans les rues jusqu’à la maison, des dizaines de larmes ont suivi. Un peu comme si la graine d’émotion que Michel-Marc Bouchard avait semée n’était pas arrivée à maturité pendant la pièce, mais juste après.
En sortant du Théâtre d’Aujourd’hui, j'étais tenaillé par le sentiment d’avoir assisté à une bonne pièce qu'il me fallait voir, mais surtout à une bonne pièce qui avait tout pour être grande.
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Mise en scène : Claude Poissant
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