lundi 30 mai 2011

“MILLE ANONYMES” au FTA : l’univers perdu de Daniel Danis

La réputation de l’auteur et metteur en scène Daniel Danis est faite depuis longtemps : formellement non-conventionnel et offrant un univers de mots et d’images auxquels tous ne peuvent pas adhérer. En présentant Mille Anonymes à Montréal pour la première fois dans le cadre du Festival Trans-Amériques, le créateur invite les festivaliers à le suivre dans un univers onirique envoûtant qui laisse des traces pendant longtemps.

Un peu comme l’on fait récemment Wajdi Mouawad avec Temps et Sarah Berthiaume avec Villes Mortes, Daniel Danis s’intéresse à la mort d’une ville minière. Non pas à la quotidienneté de la fin d'un lieu ou aux éléments concrets du départ, mais plutôt à la situation de cinq adultes qui choisissent de rester chez eux malgré la fermeture de la ville, l’exode de la population locale et l’absence des facilités municipales.

Mille Anonymes n'est pas le genre de production qui donne toute la place aux acteurs. Son histoire n'est pas non plus construite selon la courbe dramatique dramaturgique répandue dans les grands théâtres populaires. À partir du moment où la ville n’est plus, tout se met à éclater : la civilisation à proprement parler, les conventions théâtrales, le langage, les repères méta-physiques, etc. Les prises de paroles sont parfois hachurées de silence ou carrément vidées de certains mots nécessaires à la suite logique des phrases. Fort heureusement, les acteurs semblent tous parfaitement à l’aise avec le vocabulaire théâtral de Danis, nous livrant tour à tour des performances touchantes et convaincantes.

À mon avis, la grande force du travail de Daniel Danis réside dans la puissance symbolique de sa poésie. Dans Mille Anonymes, on retrouve l’innocence de la vie, la candeur du monde, la liberté d’être, la nonchalance du futur et la pureté de l’humanité. Tous ces symboles sont mis en place par quantité d’images qui défilent comme si on était dans une bulle atmosphérique où tout est simple et léger. L’impression d’être seuls au monde lorsque la complicité puissante de l’intimité est ressentie avant, pendant et après l’amour. Une route de campagne remplie de brouillard ou un lac le matin avant que la planète se réveille. Des enfants qui construisent des cabanes avec à peu près n’importe quoi dans un sous-sol. Tous les éléments scénographiques (conception sonore, décors, projection d’éléments visuels) sont les principaux responsables de cet onirisme aux effets quasi magiques.

Si vous avez la chance d'être happés par l’innocence et la charge symbolique de ce créateur, vous risquez de sortir de Mille Anonymes transformés.
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace GO – 30 mai au 2 juin

dimanche 29 mai 2011

La commercialisation du talent ou le réflexe Star Académie

AVERTISSEMENT : si vous espérez lire un autre texte anti-Star Académie, vous allez être déçus

En observant la réaction de mon entourage à l’annonce des auditions de Star Académie 5 dernièrement, j’ai pris conscience de l’impressionnant pouvoir de la commercialisation du talent dans l'imaginaire collectif des Québécois.

Mon observation est toute simple : depuis l’avènement des émissions de ce genre, toute personne possédant un minimum de talent artistique devrait nécessairement en profiter pour passer à la télé ou essayer de faire carrière, sous peine d’être considérée comme une bibitte marginale et non-conforme. Aux yeux de la majorité, il en va du devoir des artistes amateurs de tout faire en leur pouvoir afin de commercialiser leur talent et de vivre de leur art.

Dans le cas qui m’occupe, le dilemme est de nature multi-artistique. Voyez-vous, j’ai consacré trois années de ma vie à la musique en tant que musicien, plusieurs autres au théâtre, j’ai une passion de l’écriture depuis toujours, et j’étais probablement en train de chanter dans le ventre de ma mère lorsqu’est venu le temps de dire bonjour au vrai monde. Avec les années, toutes ces passions ont donc provoqué en moi de nombreuses réflexions à savoir si j’osais, si je fonçais et si j’avais ce qu’il fallait. Finalement, la vie m’a convaincu de laisser le musicien et le comédien que j'étais dans une belle boîte à souvenirs. L’écriture fera toujours partie de ma vie. Mais pour ce qui est du chant, la réflexion s'avère corsée.

J’ai passé ma vie entière à chantonner. Je suis des cours pour apprendre à chanter depuis des années. J’ai un timbre peu répandu (les barytons de mon âge ne courent pas les rues chez les chanteurs connus). J’ai une sensibilité qui me permet de ne jamais forcer les émotions quand vient le temps d’interpréter une chanson. J’ai encore beaucoup de chemin à faire pour solidifier ma technique, mon support, ma respiration et mon laisser-aller vocal, mais je suis à des années-lumière des débutants. Je n’aurais aucune difficulté à l’idée d’être connu puisque mes intérêts professionnels en communication vont m’ouvrir les portes du milieu de toute façon. Ainsi, la question demeure entière : est-ce que je devrais tout tenter pour faire carrière en chant et pour passer mes auditions à Star Académie ?

Bien entendu, la réponse à cette interrogation majeure est multiple. À mon avis, essayer de tout mettre en œuvre pour avoir une carrière dans la chanson ne passe pas obligatoirement par cette rampe de lancement ultra-puissante qu’est Star Adadémie. N’empêche, la populaire émission de TVA est devenue l’emblème par excellence du désir de percer et de travailler dans le milieu artistique.

En quelques jours seulement, trois amis proches m’ont demandé si j’allais tenter ma chance aux auditions. Lorsque j’ai mentionné cette étrange coïncidence à mon professeur de chant, elle m’a répondu que tous ses élèves se faisaient « harceler » par la même question. J’avais donc raison, il y a bel et bien une généralisation remarquable dans l’attitude des Québécois face au talent et face au métier d’artiste. Je suis troublé par la situation. Ne peut-on pas profiter d’un talent sans vouloir faire des sous en le rentabilisant ?

Pour tout vous dire, la réflexion avait commencé à s’amuser dans mon esprit bien avant le retour de Star Académie dans le paysage médiatique. Chaque fois qu’un inconnu apprenait que je suivais des cours de chant et que je pratiquais chez moi 3 ou 4 autres fois chaque semaine, on me demandait si j’étais un chanteur professionnel, si je voulais le devenir, et sinon, pourquoi diable consacrer autant d’énergie à cette discipline ? J’ai toujours été surpris par ces réactions. D’abord, parce que les véritables chanteurs consacrent bien plus de temps à leur développement que je le fais. Ensuite, parce qu’on demande rarement à quelqu’un qui pratique un sport 5 fois par semaine s’il veut devenir un athlète professionnel. Le talent artistique est mis dans une catégorie bien distincte, intangible et inaccessible pour la plupart des gens. « Si Dieu t’a donné ce talent, ce serait un sacrilège de ne pas en faire profiter les autres », diraient plusieurs. Eh bien je ne suis pas d'accord avec eux.

À mes yeux, le chant, c’est bien plus qu’un talent à partager. Le chant – tout comme la plupart des formes d’art – c’est un moyen d’introspection, une façon de se connaître, de s’assumer, d’apprendre à gérer ses forces et ses zones de vulnérabilité. Le chant c’est une manière de se défouler, de s’emporter et de se calmer. Le chant c’est un mode de vie, une thérapie. Imaginez deux secondes que le moyen le plus puissant que vous ayez trouvé pour mieux vivre était soudain mélangé à une pression de performer, de plaire à certains producteurs, à certaines radios et à certains publics. Imaginez que votre échappatoire devienne votre gagne-pain et votre seul moyen pour boucler les fins de mois. En prenant conscience de tout cela, on réalise que d’une certaine façon, ce sont les artistes amateurs qui jouissent de la plus grande liberté. Ils ont moins de moyens à leur disposition pour s’amuser, mais ils sont généralement dénués de contraintes et d’angoisse quant à leur plaisir et à leur avenir.

Pour toutes ces raisons et pour tant d’autres, je fais le choix de continuer de chanter pour moi. Pour l’instant du moins…

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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Les coups de coeur du Sage Gamin en 2011

RÉFLEXIONS SUR MA PRATIQUE ARTISTIQUE
La première impression
http://sagegamin.blogspot.com/2011/01/la-premiere-impression_09.html


Un jour, je ferai de ma maison un théâtre
http://sagegamin.blogspot.com/2011/01/un-jour-je-ferai-de-ma-maison-un.html

Les personnalités multiples de mes doubles croches
http://sagegamin.blogspot.com/2011/01/les-personnalites-multiples-de-mes.html

Rentrée hivernale 2011 : vision d’un ex-ado qui regardait 40 h de télé par semaine
http://sagegamin.blogspot.com/2011/02/television-rentree-hivernale-vision-dun.html

À 11 ans seulement, j’étais déjà un imposteur de la musique
http://sagegamin.blogspot.com/2011/02/11-ans-seulement-jetais-deja-un-parfait.html

Et si je vous révélais l’envers du décor de l’Opéra de Montréal ?
http://sagegamin.blogspot.com/2011/02/et-si-je-vous-revelais-lenvers-du-decor.html

Le Gumboot, cette danse qui a commencé à me sauver de moi-même
http://sagegamin.blogspot.com/2011/03/le-gumboot-cette-danse-qui-commence-me.html

Plus de 5 ans de ma vie à faire du théâtre avec Marie Laberge, Rita Lafontaine et les autres
http://sagegamin.blogspot.com/2011/03/plus-de-5-ans-de-ma-vie-faire-du.html

La commercialisation du talent ou le réflexe Star Académie
http://sagegamin.blogspot.com/2011/05/la-commercialisation-du-talent-ou-le.html

Le Yin et le Yang du Sage Gamin en Chine
http://sagegamin.blogspot.com/2011/08/le-yin-et-le-yang-du-sage-gamin-en.html

jeudi 26 mai 2011

DANSES DE MAI : les finissants de l’ADMMI peinent à nous convaincre

Jeudi soir avait lieu la première des trois représentations de « Danses de mai », le spectacle offert par les finissants de LADMMI, l'école de danse contemporaine par excellence à Montréal. Dirigés par les chorégraphes Frédérick Gravel, Serge Bennathan, Dana Gingras et Jacques Poulin-Denis, seul un très petit nombre de danseurs-étudiants ont réussi à nous convaincre qu’ils pourront se tailler une place dans le milieu de la danse professionnelle.

Bien naturellement, aucun artiste n’a assez d’une vie pour finir d'apprendre et de se développer. Il serait d’ailleurs fort malhabile de prétendre que les finissants de cette formation de trois ans puissent être arrivés à maturité si rapidement. Néanmoins, le spectacle de LADMMI est le moment idéal pour vérifier qui seront les étudiants susceptibles de se bâtir un futur dansant, pendant que les autres pourront dire qu’ils auront vécu leur « trip » de danse à l’école. À ce titre, la ligne se trace très facilement entre les deux catégories.

Pendant les trois premières chorégraphies signées Frédérick Gravel (1 et 3) et Dana Gingras (2), les spectateurs ont droit à quantité d’éléments plus ou moins satisfaisants. Manque de légèreté, de grâce, de synchronisme, de force, d’équilibre, et de cette nécessité qu’ont les danseurs – et les artistes en général – d’être centrés. Exécutant des mouvements qu’on a vus 100 fois avec un flagrant manque de précision, les 16 danseurs finissants de LADMMI n’impressionnent pas durant la première partie. Seuls des danseurs comme Erin Drumheller, Noémie Dufour-Campeau et Jean-Mathieu Ledoux réussissent vraiment à tirer leur épingle du jeu.

Arrive ensuite cette merveilleuse chorégraphie signée Jaques Poulin-Denis : ISEEYOU. À l’instant précis où le spectacle reprend sous les commandes de Poulin-Denis, les sept danseurs sélectionnés pour interpréter sa chorégraphie deviennent soudainement habités par leurs mouvements. Ceux qui étaient ordinaires en première partie deviennent soudainement magnifiques, minutieux, et savent nous transmettre quelque chose de beau, de frais et de très convaincant.

Se présente finalement ORAGES, dernier morceau signé Serge Bennathan. Encore une fois, une chorégraphie peu intéressante et de grandes inégalités de talent entre les danseurs. Certains n’arrivent pas à suivre totalement le rythme d'ensemble.

Qu’on se le dise : les 16 étudiants de LADMMI sont incommensurablement plus doués en danse que la moyenne des gens, mais force est d’admettre que seuls quelques-uns d’entre eux ont su nous prouver ce soir qu’ils auront leur place dans le milieu, un jour, à force de travail et d’acharnement.
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Maison de la culture Frontenac – 26 au 28 mai

samedi 21 mai 2011

La Bohème à l’Opéra de Montréal : enfin des chanteurs qui savent jouer !

Après avoir présenté deux opéras (Werther et Salomé) qui m’avaient franchement déçu, l’Opéra de Montréal a décidé de conclure sa saison avec force en offrant aux Montréalais une production pratiquement toute québécoise et canadienne de La Bohème de Puccini. Dirigée par le metteur en scène Alain Gauthier, La Bohème est une de ces rares œuvres à respecter les traditions opératiques, tout en se permettant des écarts de modernité franchement appréciés.

Après avoir découvert les décors – charmants et pertinents sans être flamboyants - imaginés par Olivier Landreville, la première chose qui saute aux yeux en assistant à cette nouvelle version de l’œuvre phare de Puccini, c’est le talent d’acteur des chanteurs d’opéra qui s’exécutent sous nos yeux. Trop souvent alourdis par des déplacements codifiés ou ne possédant pas la formation adéquate pour allier technique vocale, interprétation lyrique et interprétation théâtrale, les chanteurs d’opéra s’avèrent généralement vaincus quand vient le temps de dépasser la fascination vocale avec des émotions brutes. Pourtant, ce soir, Marianne Fiset, Antoine Bélanger, Lara Ciekiewicz, Étienne Dupuis, Pierre Rancourt et Alexandre Sylvestre ont pour la plupart réussi à faire tomber le mur qui sépare quantité de leurs collègues chanteurs du talent d’interprète généralisé.

Est-ce que les spectateurs ont eu droit à cette amélioration majeure parce que plusieurs des artistes ont su développer une complicité magique durant leurs années de formation à l’Atelier lyrique de Montréal ? Est-ce plutôt parce que la nouvelle génération de chanteurs d’opéra est davantage consciente de la nécessité de savoir jouer en plus de savoir chanter ? Toujours est-il que dès les premières minutes, on sentait les chanteurs s’amuser et ressentir leurs personnages pour vrai. À ce titre, Étienne Dupuis menait la charge de talent vocal, doublé d’un talent d’acteur, en étant capable d’être profondément masculin et éminemment cabotin. Candide, rieur, charmeur, solide, voilà un exemple à suivre pour tous les aspirants chanteurs d’opéra.

En plus du plaisir qu’ils avaient à jouer entre eux, les interprètes de La Bohème étaient occupés à nous livrer l’histoire de ces artistes sans le sous : Marcello le peintre amoureux de Musetta, la belle ayant le besoin outrancier de charmer tous les hommes du monde, et Rodolpho le poète ayant succombé au charme de Mimi, atteinte d’une maladie qui ruinera peu à peu son amour et sa vie. Profitant d’une mise en scène minutieuse remplie de passages chorégraphiés s’harmonisant à merveille avec les musiciens, La Bohème gagne en symbolique et en émotions.

Bien que le chœur de l’Opéra de Montréal soit légèrement sous-exploité et que sa présence à la fin du premier acte ait donné des allures un brin chaotiques à l’ensemble – on ne sait tout simplement plus qui est en train de chanter – la direction générale de La Bohème est d’une agréable précision. Tout ce beau monde profitait également de la charge émotive de la musique inspirée de Puccini. Du grand, grand art.

Terminons en mentionnant le travail sublime de Marianne Fiset, qui a su incarner Mimi avec vulnérabilité, douceur et bonté, tout en réussissant à marier ses prouesses vocales à un travail émotif qui nous laisse les larmes aux yeux à la toute fin de spectacle.

J’y retournerais n’importe quand.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

La Bohème – 21 mai au 4 juin 2011


mercredi 18 mai 2011

Première montréalaise de Jorane : la puissante fragilité d’une ballerine chanteuse

En choisissant d’offrir sa première montréalaise malgré une vilaine grippe, Jorane a fait le pari de la vulnérabilité en nous donnant accès à une partie d’elle-même qui est littéralement venue envelopper les centaines de spectateurs de l’Usine C mercredi soir.

Arrivée sur scène en courant nus pieds telle une ballerine, Jorane n’avait pas encore ouvert la bouche que certains d’entre nous comprenions déjà la situation dans laquelle la chanteuse était plongée : grippée et congestionnée, cette magnifique sorcière pas comme les autres allait devoir puiser à même l’humilité et la sérénité de son répertoire pour offrir à ses admirateurs le meilleur d’elle-même. Dépourvue de contrôle, de repères, de vieilles habitudes, et d’opportunités de sur-chanter quoi que ce soit, Jorane s’est livrée entièrement, parfaitement imparfaite, dans ses failles les plus jolies, dans sa fragilité la plus totale, finissant par se laisser emporter par le mouvement, le rythme et l’émotion.

Privée de bien des chemins tracés par les années et par le métier, la divine chanteuse n’avait d’autre choix que de découvrir chaque mot, chaque note et chaque émotion au fur et à mesure en invitant les spectateurs dans une valse tantôt envoûtante, tantôt décapante. Tour à tour amazone et guerrière, maternelle et couveuse, solide et fragile, Jorane se livrait à nous, le cœur à nu, bercé qu’il était par les vibrations réconfortantes de son violoncelle majestueux.

En plus de son instrument fétiche et de sa voix aussi puissante que délicate, un ukulélé et une harpe sont venus accompagner la chanteuse dans ses incomparables réappropriations de chansons écrites ou interprétées par Richard Desjardins, Anne Sylvestre, Diane Dufresne, Patrick Watson, Gilles Vigneault et quelques-unes de ses propres chansons.

Un charme cette Jorane, un véritable charme.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Pour obtenir les dates de ses prochains spectacles au Québec, consultez son site Web au http://www.jorane.com/evenements/

vendredi 13 mai 2011

Searching For Home aux Grands Ballets : on cherche longtemps avant d’aimer

En choisissant de conclure la saison des Grands Ballets Canadiens de Montréal en invitant deux chorégraphes allemands, le directeur artistique Gradimir Pankov a ouvert la voie à une soirée particulièrement inégale où la première moitié ne sert pratiquement qu’à aimer davantage la deuxième.

À première vue, les chorégraphes Marco Goecke et Stephan Thoss semblent n’avoir rien d’autre en commun que leur nationalité d’origine, tant le fossé qui se creuse entre leurs œuvres respectives est énorme. 

La première section du spectacle est consacrée à un pas de deux exécuté sur la musique de la finale de L’oiseau de feu de Stravinski. Quelque dix minutes à regarder un grand Noir baraqué et une frêle blondinette à la peau pâle essayer de démontrer à grand renfort de mouvements volatiles que l’oiseau peut danser et que l’humain arrive à voler. Malheureusement, rien de cette gentille métaphore n’arrive à se dégager réellement de la scène du Théâtre Maisonneuve, alors que les spectateurs n’ont droit qu’à un simple moment de danse sympathique, mais sans plus.

Entre alors en scène le Pierrot lunaire, supposément inspiré par la légendaire Commedia Dell’Arte et son clown au cœur brisé. Est-ce que l’idée de transposer vers la danse un théâtre de l’exagération était intéressante ? Tout à fait. Excellente même. Est-ce que Marco Goecke et ses interprètes ont réussi à refléter habilement les règles de la Commedia Dell’Arte à travers les nombreux codes de la danse ? Pas du tout. Outre quelques passages de respiration soutenue et exagérée, et de rares expressions faciales à peine plus présentes, jamais on ne sent l’influence Dell’Arte, ni les enjeux entre Pierrot et Colombine. Bien entendu, on sent la détresse de l’homme, son malaise, son déséquilibre. On a l’impression qu’il marche sur des œufs ou qu’il ne sait plus sur quel pied danser. À vrai dire, si ce n’était pas de la direction défaillante de Goecke et de sa musique lyrique aussi désagréablement déconstruite, les interprètes du Pierrot Lunaire s’en tirent relativement bien.

Heureusement que la deuxième partie de la soirée est consacrée à Searching For Home, une chorégraphie qui s’attarde aux multiples personnalités pouvant exister chez une même personne. Ici, lesdites personnalités sortent des murs, entrent par une porte et sortent par l’autre, en plus de s’élancer des deux côtés d’un mur provoquant un semblant d’effet miroir. En dansant sur la musique envoûtante de Philipp Glass, à qui l’ont doit les trames sonores de dizaines de films comme The Hours, Notes on a Scandale et The Illusionist, les interprètes de Searching For Home sont dans un état de grâce, libérés de leurs pulsions, fascinants de beauté et enivrants de non-retenue.

Au final, on ne retient que la deuxième partie signée Stephen Thoss. Magnifique.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Théâtre Maisonneuve – 12 au 21 mai 2011

mardi 10 mai 2011

Le Chemin des Passes Dangereuses : un petit moment de magie

Présenté dans l’iconoclaste Bain St-Michel et brillamment mis en scène par Michel-Maxime Legault, Le Chemin des Passes Dangereuses est rien de moins qu’un petit moment de magie en cette fin de saison théâtrale.

En patientant dans l’entrée du Bain St-Michel – ancien bain public vidé de son eau où quelques pièces de théâtre ont été montées ici et là au cours de l’année – mes yeux se sont arrêtés sur le titre d’un article consacré à la pièce de Michel-Marc Bouchard. « Un texte sans faille » peut-on y lire. « Prétentieux commentaire » que je me dis. C’est alors que je fais mon entrée dans la salle.

Les spectateurs prennent place tout autour de la piscine, se voyant ainsi offrir un point de vue en plongée sur une voiture littéralement brouillée par un accident. Le personnage du grand frère (Guillaume Regaudie) est à l’étage, muet, contre le mur. Au centre de la piscine, les corps de ses deux jeunes frères (Yves-Antoine Rivest et Louis-Philippe Tremblay), l’un gisant sur la voiture, et l’autre sous un épais plastique au fond de la piscine. Le silence domine, mais quelque chose de spécial semble se préparer.

Après quelques brefs instants de non-dits, les mots du texte apparemment sans faille de Michel-Marc Bouchard résonnent entre les murs du Bain St-Michel. Les frères se parlent et se confrontent,  se rencontrent et s’éloignent, s’affrontent et se rapprochent. Les trois hommes se détestent de tendresse. Se présente alors une puissante impression : le texte de Michel-Marc Bouchard est véritablement une perle de dramaturgie ; une fine analyse de société qui flirte avec la poésie sans tomber dans le piège de la beauté vide de sens et une armature de mots parfaitement calibrée pour mettre en image les failles de notre humanité.

Du côté des interprètes, bien que Louis-Philippe Tremblay nous donne souvent l’impression qu’il n’a pas le tonus pour livrer la beauté poétique de Bouchard, Le Chemin des Passes Dangereuses est une pièce interprétée par des acteurs forts, vulnérables, touchants et visiblement complices. Les étoiles pétillent dans le regard de Guillaume Regaudie et les yeux tristes d’Yves-Antoine Rivest s’illuminent à la seconde où l’un de ses frères arrive à le faire rire.

Les mots de Michel-Marc Bouchard goûtent infiniment bon, et rien que pour ça, le Bain St-Michel devrait être plein chaque soir jusqu’à la fin.

Bain St-Michel – 10 au 27 mai 2011

samedi 7 mai 2011

LA GENÈSE DE LA RAGE : mes oreilles saignent !

Passez une heure et demie à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui pour assister à La Genèse de la rage, la nouvelle création du Théâtre de la Pacotille, et vous risquez d’en ressortir éberlués, un brin divertis, ne sachant pas si vous avez aimé ou détesté, et les tympans sur le point d’exploser, tant les acteurs n’auront cessé de crier pendant tout le temps qu'aura duré la pièce.

Erreur monumentale de mise en scène que de ne pas avoir trouver l’équilibre et la nuance dans la voix de tous ces magnifiques interprètes. L’agacement est tel qu’il finit par prendre le pas sur le texte et le reste de la mise en scène de Sébastien Dodge, la scénographie et le jeu des acteurs. Pour tout vous dire, on sort du cirque de La Genèse de la rage en ayant l’impression que la rue St-Denis est d’un calme réconfortant.

Toujours est-il que derrière tous ces cris, il y a une pièce de théâtre. Une œuvre qui se veut burlesque et qui s’attarde au destin du petit Otho l’ostracisé et de son passage vers l’âge adulte. On dit burlesque, mais on peut aussi faire mention de grotesque, d’exagéré, d’extrême, de caricature, de grossièreté, de volonté de choquer, de critiquer et de faire réfléchir. Malheureusement, avec un texte qui part dans toutes les directions, la réflexion résulte en bien peu de choses. À force de nous enfoncer son « histoire » au fond de la gorge à grand renfort d’effets dramatiques volontairement mis en place pour marquer le spectateur, le texte de Sébastien Dodge n’arrive pas à sortir des sentiers battus. La forme a beau être éclatée, mais cela ne suffit pas pour donner une portée nouvelle au propos de l’auteur.

Bien entendu, la Genèse de la Rage a également du bon à nous présenter. Lorsque les acteurs ne sont pas en train de crier, ils nous démontrent à quel point il fait bon pour eux d’aller au bout de tout, de l’amusement, de la folie, du jeu intensément physique, du contre-emploi, et même de la rage. Tous autant qu’ils sont, Guillaume Cyr, Bénédicte Décary, Marie-Anne Dubé, Mathieu Gosselin, Renaud Lacelle-Bourdon, Fanny Rainville, Simon Rousseau et Dominic Théberge sont beaux à voir aller.

En définitive, il n’y a pas que du mauvais dans La Genèse de la rage, mais on est très loin d’une grande pièce de théâtre.
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Salle Jean-Claude Germain – 3 au 21 mai 2011

vendredi 6 mai 2011

À TOI POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU : les quatre vérités du Québec d’autrefois


De par les enjeux de la pièce À toi pour toujours, ta Marie-Lou, l’histoire imaginée par Michel Tremblay est indéniablement associée à la lourdeur du Québec d’autrefois. Fort heureusement, l’écriture brillante du dramaturge et la mise en scène fluide de Gil Champagne offrent davantage un regard sociologique sur une tranche de notre passé collectif, plutôt qu’une simple déprime narrative impossible à supporter.

Écrite après la Crise d’Octobre 70 par un Michel Tremblay qui voulait réagir à la répression et à la noirceur de son époque, l’histoire de Marie-Lou et de Léopold se noie dans la misère sexuelle, l’incapacité à communiquer, le dogme de la religion, la carence amoureuse, les non-dits qui éclatent, les insultes qui caracolent, la folie qui effraie et la provocation qui soulage. En parallèle à la déchirure de ce couple vieux de 20 ans, Carmen essaie de sortir sa soeur  Manon du carcan imaginaire dans lequel celle-ci s'est vautrée depuis la mort de leurs parents, dix ans plus tôt. Pendant que Carment fait état de ses choix, de sa liberté et de son bonheur, Manon se plaît à revivre les souvenirs les plus tristes de son enfance afin de croire pleinement à son rôle de martyre.

Pour diriger une pièce de théâtre qui a l’habitude d’imposer à ses acteurs de rester assis sur une chaise du début à la fin, exception faite du personnage de Carmen qui finit par se lever en symbole de son affranchissement, Gil Champagne s’est vu confier les rênes de cette nouvelle production du TNM. Faisant le pari d’aller dans une nouvelle direction, Champagne a choisi de chorégraphier les déplacements de ses interprètes tout au long du spectacle.

Marchant autour d’un monticule servant de maison aux fondations pour le moins inclinées, les acteurs se déplacent dans un bassin d’eau à l’image du courant qui ne passera jamais plus entre les deux parents, de l’eau qui coule sous le pont symbolique que pourrait franchir Manon si elle voulait se sortir de sa condition, ou de cette rivière qui a poussé entre les deux époques, les deux sœurs et les deux « amoureux ».

Les éclairages discrets permettent des transitions efficaces entre le passé, le présent et le mélange des époques. Et que dire des acteurs ? Justes, précis, puissants, troublants, criants de vérité, parfaitement incarnés, les quatre interprètes sont franchement à la hauteur du texte de Michel Tremblay. Marie Michaud et Denis Bernard nous offrent même quelques moments d’anthologie grâce à leur interprétation poignante.

À vrai dire, bien que le propos déprimant de À toi pour toujours, ta Marie-Lou puisse être repoussant à première vue, sachez que le talent qui se déploie sur scène risque de vous donnez l’impression d’une légèreté dans la lourdeur. Joli coup de chapeau. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

TNM – 3 au 28 mai 2011

jeudi 5 mai 2011

Nouvelle création de La La La Human Steps : une overdose de talent en manque d’émotion

Après une tournée européenne au cours de laquelle la critique et le public ont été séduits par leur nouvelle création sans nom, La La La Human Steps faisait un arrêt à la Salle Wilfrid-Pelletier, là où des milliers de spectateurs ont eu droit à une effervescence de mouvements parfaitement maîtrisés et à des émotions qui n’étaient visiblement pas accessibles pour tous.

Assistez à un spectacle chorégraphié par Édouard Lock est une expérience en soit. Sans être tout à fait de la danse classique, ni foncièrement du contemporain, la prestation des danseurs de La La La Human Steps se classe dans une catégorie à part. Précise et majestueuse, la danse imaginée par le réputé chorégraphe est merveilleusement intégrée par chacun des interprètes. Leur rapidité, leur rigueur et leur minutie ne peuvent d’ailleurs faire autrement que de fasciner les spectateurs. Même si tout va extrêmement vite, les danseurs se regardent et s’écoutent en faisant preuve d’une cohésion exemplaire. On les sent expérimentés et complètement connectés les uns aux autres. Du Édouard Lock, c’est rien de moins que la quintessence des aspects techniques de la danse.

Malheureusement, malgré tant de beauté et de talent, quelque chose cloche dans le nouveau spectacle de La La La Human Steps. En choisissant de plonger ses danseurs et ses musiciens dans la pénombre du début à la fin, Édouard Lock force les spectateurs à un inconfort visuel particulièrement dérangeant. Rares sont les moments où l’on peut voir clairement le visages des artistes. Cette décision a donc pour effet de réduire certains passages chorégraphiques à de simples images : puissantes pour certains, dénuées d’intérêt pour d’autres. Les amoureux des arts visuels risquent fort d’être comblés par ces corps sans visages, par ce spectacle sans trame narrative, et par cette création majoritairement tournée vers la forme, au détriment de l’émotion viscérale qui peut l’accompagner en d’autres circonstances.

Bien entendu, prétendre qu’un spectacle résolument esthétique puisse être ennuyeux relève de l’inconscience, mais force est d’admettre que les œuvres qui sont en mesure de réunir la pureté du mouvement et l’âme de ses interprètes ont généralement plus de chances de nous ébranler jusqu’au cœur.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Salle Wilfrid-Pelletier – 5,6 et 7 mai 2011

mercredi 4 mai 2011

ATTENDS-MOI à l’Espace GO : Marie-France Lambert et puis c’est tout…

Une nouveauté à l’Espace GO, une mise en scène signée par l’éternelle pigiste Marie Charlebois, une distribution comptant sur Marie-France Lambert, Normand Daneau et Valérie Blais. Force est d’admettre que les raisons étaient nombreuses pour entrevoir autre chose qu’une pièce ordinaire pendant laquelle les émotions n’arrivent presque jamais à se rendre jusqu’aux spectateurs.

La grande responsable de cette distance entre la volonté de toucher et le résultat tant espéré est sans contredit l’auteure Kristen Thomson. En nous plongeant dans l’histoire d’une comateuse et de ses deux enfants, Charles et Laura, l’auteure prend le pari de nous raconter les petits riens : les petites histoires, les petites discussions, les petites rancunes, les petites blessures. La pièce Attends-moi peut donc nous inviter dans une zone attendrissante de petitesse vulnérable ou dans quelque chose de plus grand, de profond et d’ébranlant. Malheureusement, aucune de ces deux options ne se présente à nous. Attends-moi se contente de banalités sur les choix de la vie, de lieux communs sur le couple et de paroles en surface sur à peu près tout le reste. Rien qui ne surprend, rien qui ne fait vraiment réfléchir, et à peine quelques éléments qui réussissent à nous émouvoir.

En de telles circonstances, les acteurs font tout ce qu’ils peuvent pour se débrouiller. Valérie Blais joue très bien du Valérie Blais. Normand Daneau est tout aussi juste et touchant par moments qu’il est palpable d’inconfort le reste du temps. La jeune Rachel Graton n’arrive pas à se démarquer de ses collègues, encore moins lorsqu’on la sait sur la même scène que Marie-France Lambert.

En effet, impossible de ne pas constater l’aisance déconcertante de Marie-France Lambert. Sa Laura est perdue, dépossédée, égarée, tout en étant vraie, vulnérable, lucide et non censurée. Marie-France devient Laura. Tout de son corps, de son débit, de sa voix, de son niveau de langage et de son intériorisation démontre la maîtrise totale de son jeu.

Sa présence sur scène est d’ailleurs responsable des quelques rares bons moments de la pièce. Les déplacements sont convenus et les petits airs chantés deviennent lassants à force de répétition. Les décors épurés et les jeux d’éclairage auraient pu ajouter au drame de cette femme comateuse si les mots qu’on avait mis dans la bouche des acteurs n’étaient pas si maladroits.

Bref, à l’exception du  plaisir de voir Marie-France Lambert jouer sur la scène de l’Espace Go, Attends-moi est malheureusement une pièce sur laquelle on peut passer son tour.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Espace Go – 3 au 28 mai 2011

Crédits photo : Suzanne O'Neill