vendredi 28 septembre 2012

Les Ballets Jazz de Montréal fêtent leur 40e anniversaire avec urgence, éclat et volupté !


Avec plus de 2000 spectacles offerts dans 800 villes de 65 pays différents en 40 ans, il était impensable que les Ballets Jazz de Montréal fêtent leur quatrième dizaine autrement qu’en mariant le sublime au grandiose. Du 27 au 29 septembre, le Théâtre Maisonneuve est l’hôte de l’un des plus beaux spectacles de danse qui m’ait été donné de voir. Rien de moins.

Avec Fuel, du chorégraphe Cayetano Soto, les danseurs entreprennent la soirée avec une intensité hors du commun. Transposant en mouvements l’hyper productivité du monde industriel moderne, Soto impose un rythme effréné aux hommes et aux femmes qui bourdonnent sous nos yeux. Dansant avec urgence et nous donnant l’impression de fuir ou de courir après quelque chose pendant 22 minutes, les danseurs s’agitent nerveusement avec une série de mouvements saccadés. On les croirait sortis du film Requiem for a dream, dont la trame sonore évoque à merveille le sentiment qui nous habite en les regardant s’exécuter. Hypnotisant et captivant. 

Closer, duo langoureux imaginé par Benjamin Millepied, provoque ensuite un changement de registre complet. Les danseurs Alexander Hille et Céline Cassone s’offrent l’un à l’autre avec douceur et volupté, dans une chorégraphie capable de raviver les espoirs romantiques des plus cyniques de ce monde. Interprétée sur la musique envoûtante du compositeur Philip Glass, la deuxième partie du spectacle peut être perçue comme une déclinaison des différents mouvements amoureux, dans ses affres et ses instants de pur bien-être. Plaisir esthétique et sentimental. 

La dernière partie est pour sa part consacrée à l’histoire d’un jeune homme perpétuellement confronté aux choix de la vie, à ses combats et ses surprises. Si ce n’était pas de ces brefs moments où le chorégraphe Barack Marshall demande aux danseurs de jouer aux acteurs avec un talent qu’ils n’ont visiblement pas (fausseté de l’interprétation, mauvaise articulation, projection inégale, absence des accents toniques et j’en passe), Harry en met plein la vue avec une succession de numéros dansés sur du jazz, du folklore israélien et de la musique traditionnelle. Profitant de la force du groupe, de la virtuosité de ses danseurs, de l’originalité de son idéateur et de la vastitude des styles de danse qui sont mélangés, le dernier volet du spectacle réussit son tour de charme avec entrain. Audacieux, enlevant et désinvolte.

Bref, pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, on ne peut que souhaiter 40 autres belles années aux Ballets Jazz de Montréal.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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mercredi 26 septembre 2012

Critique de « Pfffff » à la ToHu : une nouvelle idole est née


En ce début de saison automnale, la ToHu vous invite à découvrir le brio, l’inventivité et la joie de vivre de la troupe AKOREACRO, et plus particulièrement celui de l’artiste possédant probablement le plus grand nombre d’habiletés sur la planète, Basile Narcy. 

Bien qu’il ne soit pas au centre de chacun des numéros, Narcy réussit tout de même à s’approprier l’agilité de l’acrobate, le déhanchement du danseur, la voix sortie d’outre-tombe du beat-box, le doigté du pianiste, le calme de l’équilibriste, la concentration du jongleur, la force de l’accompagnateur et l’énergie du showman. Bien qu’il ne maîtrise pas encore les nuances du jeu de comédien à la perfection, son charisme, son investissement, sa belle gueule et ses 1000 talents font de lui la vedette de la soirée. C’est à croire qu’il ne fait rien d’autre de sa vie que de développer de nouvelles facettes de sa carrière artistique.

En plus de miser sur un artiste pluridisciplinaire qu’on dit tombé de la lune, AKOREACRO profite également du savoir-faire de trois autres circassiens et de quatre musiciens. Contrairement à bon nombre de spectacles de cirque, « Pfffff » a l’avantage d’avoir un accompagnement sonore sur scène, des musiciens prêts à se mêler aux numéros, capables de s’amuser avec leurs partenaires acrobates et de prêter leur talent pour le seul amusement du public. 

Et ledit public apprécie du début à la fin. Les rires d’enfants fusent à tout moment, les plus vieux sont divertis, surpris et impressionnés, et ne se gênent pas pour le manifester par une ovation bien sentie. 

Avec une seule femme dans le clan (Claire Aldaya, qui possède un talent indubitable pour les mimiques comiques), les sept hommes n’ont d’autres choix que d’essayer de se démarquer en lui faisant la cour. En toute sincérité, on sent que le fil conducteur du spectacle n’est qu’un prétexte pour enchaîner les prouesses techniques, mais celles-ci sont réalisées avec une telle intensité qu’il est impossible de ne pas sentir l’électricité qui flotte dans l’air. 

Les transitions de « Pffff » manquent souvent de finitions, provoquant ainsi de minuscules temps morts dans la première moitié du spectacle, mais il serait fort maladroit de se passer du plaisir d’une nouvelle visite à la ToHu.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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dimanche 23 septembre 2012

Ce samedi après-midi où je suis allé dans une galerie d’art…


Premier samedi de l’automne, aux environs de midi, le ciel déverse son crachat sur la grise Hochelaga, pendant que je déambule sur la rue Ontario en direction de la galerie Modulum. Même si j’ai inscrit « 3081 » au creux de ma main gauche, je trouve quand même le moyen de me perdre. Une fois rendu dans le coin des nouveaux condos dénués d’âme près de la rue l'Espérance, je rebrousse chemin, je marche sous un viaduc aux allures peu invitantes et j’aperçois enfin l’adresse civique tant convoitée sur un édifice qui n’a rien des endroits branchés et aseptisés que j’associe aux arts visuels et aux musées.  

J’ouvre la porte, je fais quelques pas. Personne. D’immenses espaces vides et de somptueux graffitis me saluent bien bas. Mes yeux croisent de petites affiches où le mot « RAYÉ » m’invite à monter les escaliers. Je m’exécute lentement, quelque peu craintif, avant de tomber sur un éclat de lumière, signe de mon arrivée dans l’espace Modulum, où je suis accueilli par le commissaire de la galerie, Normand Babin.

Le mât du Stade olympique, le pignon d’une église et le versant ouest d’une usine désaffectée me regardent par la fenêtre, au moment où Normand me raconte que la première saison de Modulum laissera la place à plusieurs jeunes artistes et à quelques autres déjà établis, dont certains ont été exposés à la galerie SAS.

Sincèrement, cette derrière information n’évoque absolument rien au néophyte que je suis. Pour vous donner une idée de l’aisance qui m’habite dans une galerie, j’ai hésité avant de m’asseoir sur une chaise, ne sachant pas si cela faisait partie de l’exposition ou non... Après m’avoir gentiment rassuré en m’expliquant que les œuvres de l’exposition étaient toutes accrochées au mur, le commissaire a pimenté ma visite d’explications personnalisées et fort accessibles. 

Tout en évitant de mettre sur pieds des expositions simplistes, Modulum désire attirer les amateurs d’art, les acheteurs ET les curieux non-spécialistes. C’est ainsi qu’après avoir accueilli 250 invités lors du lancement, le 20 septembre dernier, Normand Babin a eu l’amabilité de guider ma visite. 

Avec l’exposition « RAYÉ » (des œuvres incorporant des rayures ou exploitant le thème « rayer de la carte » ou « rayer de la mémoire »), Modulum trouve le moyen d’harmoniser le travail de plusieurs artistes aux horizons fort différents, dont certains tiendront l’affiche en solo, au cours de la prochaine année. 

Yannick de Serre fond son visage au paysage en y allant d’autoportraits, résultats de dessins et de collages largement prisés par les collectionneurs, un peu partout à travers le monde. 


Francis Fontaine peint ses toiles, les plie, pile dessus, s’amuse avec leur relief et les réassemble pour créer un résultat aux perceptions multiples. 


Mathieu Laca utilise les pigments d’une époque révolue pour peindre le visage des artistes d’autrefois et s’amuse à créer des œuvres homoérotiques trash qui sont franchement troublantes pour l’œil. 

Damian Siqueiros – reconnu pour ses photos des campagnes promo des Grands Ballets canadiens – expose le cliché d’un jeune homme dans une fabuleuse mise en scène. À noter qu’en plus de l’énorme version de la photo, détaillée à plus de 1000$, l’artiste vend de plus petites versions bien moins chères, dont les copies sont fort peu nombreuses. 

Fred Laforge reproduit avec une extrême minutie l’explosion de la bombe atomique de Bikini Island et un ouragan dévastateur en dessinant au crayon de plomb des centaines de petits carrés recréant une fausse pixellisation. Impressionnant.

Le designer CLUC, connu par le grand public grâce à l’émission La Collection, diffusée à TVA, y va d’une création composée de centaines d’aiguilles sur fond de tissu rose, qui n’a rien des robes de soirée excentriques qu’il a l’habitude d’imaginer. 

Chopin propose une œuvre d’effets optiques où l’on observe un visage changer de formes, selon la perception de notre regard, permettant ainsi à l’art de rencontrer le design et l’amusement.

Christina Alonso expose une photo avec un éclairage qui rappelle le travail des spécialistes du cinéma et dont la texture est modifiée par Photoshop, la peinture et plusieurs autres procédés empêchant de classer l'oeuvre dans une seule catégorie. 

Finalement, Sébastien Gaudette présente un dessin touchant et surprenant, inspiré de la perte de mémoire qu’il a lui-même subie à la suite d’un mini accident cardio-vasculaire (ACV). 


En invitant le public à découvrir aujourd’hui l’art de demain, la galerie Modulum réussit ce que je n’aurais jamais cru possible : m’intéresser aux arts visuels et me donner envie d’inscrire à mon agenda la date de leur prochain vernissage pour ne rien manquer.

Galerie Modulum
3081 rue Ontario (coin Moreau), Montréal
Horaire
Vendredi 12h à 19h
Samedi et dimanche : 12h à 17h
Prise de rendez-vous : 514.596.0500

Crédits photos :
1) Yannick de Serre, Be part of the landscape, be wiped off the map (2012)
2) Francis Fontaine, (sans titre) 2012
3) Sébastien gaudette, Perte de mémoire, 2012
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vendredi 21 septembre 2012

« Robin et Marion » au Théâtre d’Aujourd’hui : il faut que jeunesse se passe


Redoutable duo que voilà, l’auteur Étienne Lepage et la metteure en scène Catherine Vidal font de « Robin et Marion » une sortie théâtrale parfaitement jouissive et follement libératrice. 

Aussi étrange que cela puisse paraître, le Théâtre d’Aujourd’hui a choisi d’ouvrir sa saison avec une pièce qui a des allures du « Songe d’une nuit d’été », d’un soap américain, du film « Cruel Intentions » et d’un semblant de théâtre d’été, avec une habileté et une intelligence incroyable. 

À la tombée du jour, quatre adolescents pouvant appartenir à toutes les époques trainent dans une forêt. La noirceur s’installe, les parents de ces jeunes gens succombent aux lois de Morphée, pendant que leurs rejetons n’ont que faire du repos et de la raison. Préférant laisser aux vieux stupides le loisir de dormir, les quatre personnages succomberont aux lois de l’amour et des rapports humains dans toute la splendeur de leur cruauté. 

À un âge où ils ne savent pas ce qu’ils disent, ce qu’ils pensent, ni comment dire ce qu’ils pensent ou penser ce qu’ils disent, les voilà qui s’aventurent sur un terrain où ils pourraient se faire très mal. Alice aime Robin. Marion ressemble à Alice et aime aussi Robin. Robin n’aime personne puisqu’il ne sait pas pourquoi aimer. Richard ressemble à Robin et aime aussi Marion. La table est mise pour une série de chassés-croisés amoureux remplis de jalousie, de vengeance, de voltefaces sentimentales, d’indifférence au repentir et d’envie de tout vivre en une seule nuit. Les amours se détruiront aussi vite que l’étincelle du désir naîtra entre deux jeunes gens, ou trois, ou quatre. 

Lucide, drôle, attendrissant, aguichant, sexy, surprenant et subversif, le texte d’Étienne Lepage ne se gêne pas pour faire dire à son quatuor infernal une série de vérités enfouies dans l’inconscient des adolescents (et de plusieurs adultes), avant de virer son capot de bord et de contredire toute la vérité qu’il vient d’annoncer. Précis, pointus et perçants, ses mots atteignent leur cible chaque fois. 

Dirigés par Catherine Vidal avec doigté, les quatre acteurs (Gabriel Lessard, Marilyn Perreault, Kim Despatis et Renaud Lacelle-Bourdon) se surpassent du début à la fin. Ils sont à la fois perdus et convaincus, amoureux transis et follement blessés, philosophes et dénués de sens moral, matures et candides, lucides et naïfs.  Ils courent, aiment, souffrent, s’emportent et s’insurgent avec la féroce conviction de posséder la plus grande des vérités. Bref, ils sont vivants !

Un vent de fraicheur vient de souffler sur le Théâtre d’Aujourd’hui.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Robin et Marion – 18 septembre au 13 octobre
Théâtre d’Aujourd’hui
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/robin
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mardi 18 septembre 2012

Critique de « II (deux) » à la Petite Licorne : deux solitudes qui s’automutilent


On pourrait tenter de résumer « II (deux) » en faisant mention de cette guerre qui gronde en silence dans le cœur et dans la tête d’un couple d’amoureux : un policier blanc conservateur et une femme d’affaires musulmane. Cependant, les spectateurs qui se déplaceront à la Petite Licorne comprendront que tout un lot de nuances s’impose.

Au départ, l’homme d’un certain âge tombe follement amoureux d’une jeune Tunisienne rencontrée en voyage. Curieux de découvrir le monde, séduisant une étrangère, mariant celle qui ne partage ni sa nationalité, ni sa religion, il n’a rien du raciste que ses anciens collègues policiers cuisinent aujourd’hui en salle d’interrogatoire pour le crime odieux qu’il avoue avoir commis. 

Lors des nombreux flashbacks auxquels se livrent les deux monologues de la pièce, on apprend que les effets pernicieux de la guerre au terrorisme ont tissé leur toile dans la tête de l'homme et qu’il penche de plus en plus du côté de la suspicion. Même si les explications qu’il nous donne pour justifier son changement de cap s’apparentent à la théorie voulant que ce soit normal pour les jeunes d’être à gauche sur l’échiquier politique, avant de pencher vers la droite avec le temps, il est bien difficile de croire que la vie, le temps, la société et son ignorance grandissante aient un tel effet sur l’amour qu’il porte à sa femme. Malgré tous les efforts qu’il déploie pour convaincre les inspecteurs (et les spectateurs) de son évolution intérieure, on a du mal à le voir devenir raciste et si réfractaire à l’Autre. 

De son côté, mademoiselle n’est pas totalement irréprochable. Plus le temps passe, plus le manque de son pays la ronge : sa langue d’origine qu’elle n’entend pratiquement plus, sa profession de médecin qu’elle n’a pas le droit de pratiquer au Canada, sa culture, ses amis, sa famille. Vient alors la trahison. Mais pas celle que son mari de policier nouvellement raciste imagine. Autre chose. 

Pendant 80 minutes, le texte de Mansel Robinson donne toute la place aux doutes et à la peur, au sein du couple et de la société en entier. Bien que certains passages dévoilent de nouvelles réflexions sur ce thème surexploité depuis des années (tel que le pardon accordé par la femme aux enfants éduqués dans la haine qui ont participé à divers attentats terroristes, mais pas aux vieux qui leur ont lavé le cerveau), l'oeuvre de Robinson est malheureusement remplie de lieux communs et de maladresses. 

Aussi, n’écrit pas qui veut des monologues occupant 90% d’une pièce de théâtre. Ceux de « II (deux) » manquent souvent de rythme et de couleurs, en plus de donner trop peu la parole à la jeune femme.

Pendant que Jean-Marc Dalpé (interprète et traducteur) s’avère juste et crédible dans le rôle du policier blanc aux idées de mononcle, Elkahna Talbi est tout simplement sublime, vraie, investie et criante de vérité dans le rôle de l’immigrante trompeuse et bafouée.

La pièce « II (deux » est loin d’être dénuée d’intérêt, mais il serait bon qu’un auteur ose aller plus loin dans sa réflexion sur le sujet. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

4 au 8 novembre 2013 à La Licorne


lundi 17 septembre 2012

La Traviata à l’Opéra de Montréal : grandiose et terne à la fois


Après les succès de Rigoletto en 2010 et d’Il Trovatore en 2011, l’Opéra de Montréal conclut la « trilogie populaire » de Verdi avec l’un des opéras les plus joués à travers le monde, La Traviata. Même si le rôle principal de Violetta a été confié à une chanteuse au talent redoutable, n’en demeure pas moins que la soirée à la Salle Wilfrid Pelletier débute et se termine en dents de scie. 

L’histoire de La Traviata est fort simple : Violetta, une courtisane reconnue à travers Paris, tombe amoureuse d’Alfredo, un garçon de bonne famille. Quelques mois après qu’elle ait quitté sa vie de prostituée haut de gamme et qu’ils aient emménagé ensemble, le père du jeune homme débarque à l’improviste afin de convaincre la belle de laisser son fils. Acceptant de quitter son amour à contrecœur, Violetta retournera à ses anciennes habitudes, avant de mourir lentement de la tuberculose.

À l’image des Grands Ballets canadiens, l’Opéra de Montréal doit vivre avec le paradoxe de son public : si les deux institutions attirent depuis des décennies des spectateurs vieillissants, elles déploient également des efforts marketing incroyables afin d’attirer les jeunes. Depuis quelques années, leurs programmations sont donc à moitié modernes et à moitié traditionnelles. À ce sujet, La Traviata verse sans contredit du côté de la tradition. Bien qu’elle profite des airs connus de Verdi afin d’attirer un vaste auditoire, la production y va d’une relecture sage et proprette de l’histoire en termes de mise en scène et de décors. 

Même sentiment d’ambivalence du côté de l’interprétation. Si le travail de Luca Grassi (le père) est d’une impressionnante solidité sur tous les plans, celui de Roberto De Biaso, qui joue son fils, n’arrive pas à convaincre. Sa voix de ténor est d’une remarquable justesse, mais jamais il n’arrive à nous vendre son amour pour Violetta, ni la moindre émotion durant le spectacle. À défaut d’utiliser une expression vulgaire pour décrire son absence de charisme et de laisser aller, je me contenterai d’écrire qu’il m’est apparu franchement coincé. 

Quant à l’interprète de Violetta, Myrtò Papatanasiu, mentionnons un tout petit bémol : un problème de justesse dans les notes suraiguës et fort nombreuses du premier acte. Toutefois, à la seconde où le drame s’installe dans le deuxième acte, la récipiendaire du Maria Callas Debut Award de l’Opéra de Dallas atteint un niveau d’interprétation épatant. Royale, magnétique, passionnée, désinvolte, amoureuse, blessée, trahie, malade, mourante, Papatanasiu arrive à nous faire croire à chacune de ses émotions, tant dans sa voix que dans son corps. La retenue avec laquelle elle réussit à nous suspendre à ses lèvres est littéralement fascinante. On croirait presque une comédienne qui sait chanter l’opéra. 

Froide dans l’ensemble, mais profitant de quelques fragments de chaleur, gracieuseté de Grassi, Papatanasiu et du puissant chœur de l’Opéra de Montréal, la Traviata peine à nous enflammer, sans pour autant nous décevoir. 

Un spectacle mi-figue, mi-raisin.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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vendredi 14 septembre 2012

« Thérèse et Pierrette à l’École des Saints-Anges » : un must, tout simplement


Le Théâtre Jean Duceppe a fait le choix judicieux d’ouvrir sa nouvelle saison avec l’adaptation théâtrale du roman de Michel Tremblay, Thérèse et Pierrette à l’École des Saints-Anges. Les mots du dramaturge et la mise en scène de Serge Denoncourt offrent au public montréalais un incontournable du théâtre québécois. 

Montréal, printemps 1942, Thérèse et Pierrette fréquentent l’École des Saints-Anges, à une époque où l’éducation est sous la responsabilité des congrégations religieuses. Véritable portrait d’une époque, l’histoire de Tremblay nous fait découvrir une ribambelle de personnages hauts en couleur.  

Âgée d'à peine 11 ans, Thérèse frétille à la vue de Gérard Bleau, un homme de 29 ans qu’on décrit comme une beauté capable de séduire toutes les femmes des environs, mais qui ne peut se résoudre à oublier la fillette qu’il a embrassée au parc quelques jours plus tôt. Pierrette Guérin, la future prostituée des Belles-Sœurs, est une première de classe aux dents croches qui tombera des nues en apprenant qu’elle jouera la Sainte Vierge dans le spectacle à l’école. Simone Côté, jeune fille effacée par la honte de son bec-de-lièvre, revient en classes après une opération visant à corriger le défaut de son visage. Lucienne Boileau, petite grassouillette trop insistante, rêve du jour où les trois fillettes voudront d’elle comme amie, au lieu de la rejeter et de l’humilier. 

Du côté des religieuses, nous faisons également la connaissance de la directrice, sœur Benoîte des Anges, alias Mère Dragon du yable, qui se fera un devoir de critiquer le caprice esthétique de la jeune Côté, déjà passablement amochée en termes d’amour propre, en plus de tenter par tous les moyens de se débarrasser de l’aimable sœur Sainte-Catherine. 

Grâce à une série de vignettes qui font progresser l’histoire avec rythme, Serge Denoncourt présente habilement le Québec des années 40 à un public de nostalgiques et de jeunes curieux. Même si la pauvreté intellectuelle et sexuelle dans laquelle les femmes étaient plongées a grandement évolué, force est d’admettre que plusieurs réalités ont peu changé depuis 1942 : le rapport à l’image, l’importance de faire partie du groupe, la sottise et la méchanceté des enfants de cours d’école, le trouble associé à l’éveil de la sexualité, la difficulté de prendre position face à un amour pédophile consentant, la surprise pimentée de jugement en voyant deux religieuses partagées plus qu’une amitié (cet aspect de l’histoire est toutefois amené trop brusquement dans la pièce) et l’ivresse ressentie en entendant le cri du cœur d’une maman qui ne se gêne pas pour remettre la directrice à sa place.

La comédienne Isabelle Drainville reçoit instantanément la faveur du public en déversant son fiel au nez de sœur Benoite des Anges. Sans être aussi puissante que les colères de Maude Guérin dans Petits fragments de mensonges inutiles ou d’Anne Dorval dans J’ai tué ma mère, la scène où Drainville se vide le cœur est drôle, émouvante et jouissive. 

Dans cette distribution franchement solide, une autre actrice se démarque : Geneviève Schmidt. Bien qu’elle interprète Lucienne Boileau de la même façon qu’elle jouait la jeune fille dans Anna sous les tropiques, présentée au Rideau-Vert l’an dernier, il est pratiquement impossible de ne pas fondre devant ses excès d’énergie, son sens comique et son incroyable candeur. 

Thérèse et Pierrette à l’École des Saints-Anges est une pièce qui nous permet de découvrir une tranche de notre histoire, qui nous surprend, qui nous fait réfléchir, qui nous fait éclater de rire et qui nous émeut aux larmes. 

On serait fou de s’en priver.


Crédit photo : François Brunelle

mercredi 12 septembre 2012

Critique de « Duels » à l’Agora de la danse : confrontation des genres


En invitant la compagnie de danse Cas Public à ouvrir sa saison, l’Agora de la danse donne lieu à une confrontation de tous les instants. Faisant appel à plusieurs danseurs de différents horizons, en plus d’y inclure des artistes de la musique, du cirque et du théâtre, les chorégraphes offrent au public montréalais un spectacle qui part dans toutes les directions.

« Duels » est une ode à la confrontation : les styles de musique qui s’enchaînent (pop aérienne d’Alexandre Désilets, classique, expérimentale, alternative, etc.), les générations qui s’entrelacent, les couples qui s’opposent, l’homme et la femme qui s’affrontent. C’est d’ailleurs avec une série de numéros chorégraphiés avec une bestialité orageuse que débute le spectacle. Virilité, intensité et force brute sont à l’honneur.

Malgré le talent des interprètes, l’intérêt de ces rencontres férocement animales et le grand bonheur de voir des danseuses jouer la tension sexuelle et amoureuse avec une majorité de danseurs franchement masculins, « Duels » prend un petit moment avant de réellement décoller. 

Arrive éventuellement une suite de numéros où le chanteur Alexandre Désilets, la comédienne Sylvie Moreau et le comédien circassien Marc-André Poliquin prennent davantage de place, invitant au passage le principe hautement nécessaire de l’intention et de l’interprétation qui se joue ailleurs que dans le corps. 

Ironiquement, en assistant à « Junkyard/Paradis » il y a bientôt deux ans, j’avais été à ce point fasciné par le talent d’interprétation des membres de la troupe MayDay que je m’étais interrogé à savoir si la capacité des danseurs d’habiter leurs corps pouvait faire d’eux de meilleurs interprètes que les acteurs. Pourtant, en assistant à « Duels », des comédiens et un chanteur doté d’un talent certain pour la danse m’ont semblé 1000 fois plus captivants à regarder que certains de leurs collègues. Loin de moi l’idée de généraliser : des danseurs comme Merryn Kritzinger, Isabelle Paquette, Cai Glover et Simon-Xavier Lefebvre m'ont séduit à chacune de leurs présences, mais ils sont trop souvent entourés de danseurs qui semblent donner davantage dans l’incarnation cérébrale de leurs émotions. 

Un peu brouillon, rempli de bonnes idées, envoûtant par moment, nous laissant indifférents par d’autres, « Duels » a tout de même le mérite de vouloir effacer les frontières de l’art en sortant du cadre avec beaucoup de classe et d'originalité. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

vendredi 7 septembre 2012

Critique du théâtre documentaire « Grain(s) » : à qui appartient la vie ?


À cette époque du secondaire où nous devions apprivoiser l’art de la dissertation, nous avons tous été confrontés à des questions éthiques sur la peine de mort, le clonage ou les fameux organismes génétiquement modifiés (OGM). Certains prenaient position en voyant tout blanc ou tout noir, alors que d’autres ne pouvaient se résoudre à régler le sort de questions aussi complexes autrement que par des nuances de gris. En écrivant « Grain(s) », la version française de « Seeds » qui est présentée à La Licorne jusqu’au 22 septembre, l’auteure Annabel Soutar semble elle aussi avoir pris le parti de la multiplication des points de vue sur la lutte contre les OGM. 

La prémisse du théâtre documentaire de la dramaturge est fort simple : un fermier de la Saskatchewan est accusé par la multinationale Monsanto d’avoir cultivé sans autorisation (sans payer les redevances) du canola porteur d’un gène dont elle détient le brevet. S’agit-il d’un vol ou du simple effet de la pollinisation naturelle ?

Basée sur une histoire vraie, « Grain(s) » est le fruit de neuf longues années de travail acharné de Soutar, qui est allée rencontrer une quinzaine de personnes associées au conflit : le fermier poursuivi, son avocat, le juge du procès, la relationniste de Monsanto, des voisins fermiers des environs, une agronome, des spécialistes en biotechnologie et autres champs d’expertise reliés à cette histoire, une porte-parole de lobby, etc. Son travail de documentariste est en tous points remarquable. En écrivant la pièce à partir de ses recherches et des dialogues de ses entrevues, la dramaturge tente d’exploiter chacune des ramifications de son sujet au maximum. 

Débutant avec des questions posées au public, afin d'entamer notre réflexion et d’établir encore plus clairement que cette pièce est basée sur une histoire qui est arrivée à du « vrai monde », « Grain(s) » a des airs de vox-pop réalisé par un journaliste paresseux. Heureusement que cette méthode est de courte durée et qu’elle est suivie d’une série de reconstitutions des événements, du procès, des entrevues, des répercussions médiatiques internationales et d’informations scientifiques habilement vulgarisées, le tout structuré avec rythme et clarté. 

Avec un sujet aussi sérieux, le spectateur doit impérativement arriver en forme et se concentrer pendant 2h30. Même si l’idée d’abandonner nous passe par la tête, quelque chose nous pousse à continuer. Un peu comme le fermier saskatchewannais qui puise en lui la force de résister contre Monsanto pendant des années, le spectateur a besoin de se rendre jusqu’au bout. Pour savoir. Pour enfin comprendre ce qui s’est passé et découvrir qui a raison. 

Ironiquement, la pièce se conclut sur le personnage d’Annabel Soutar qui nous explique que chacun des spectateurs quittera la salle avec une interprétation différente de la pièce. Parce que le nœud de la guerre entre Monsanto et le fermier est justement une affaire de perceptions. Parce que chaque fois que nous croyons réussir à séparer le vrai du faux, un doute s’infiltre dans notre cerveau. Même si Monsanto est perçue comme une grosse méchante compagnie, si facile à détester, le fermier est-il réellement honnête ? A-t-il volé la biotechnologie de la multinationale, avant de partir en croisade contre le concept de la propriété brevetée en agriculture ? En offrant la possibilité de nourrir les milliards d’humains qui continuent de peupler la planète, Monsanto est-elle si mauvaise ? La science est-elle suffisamment développée pour démontrer que les avancées en matière d’OGM sont hors de danger pour les êtres humains ? Pourrait-elle seulement le devenir un jour, à cette époque où les recherches sont financées par les entreprises privées ?

La liste de questions s’allonge. La pièce de théâtre-documentaire se termine. On rentre chez soi confronté, un peu perdu, franchement mieux informé, et conscient que le monde dans lequel on vit évolue plus rapidement que notre capacité à le comprendre et le sécuriser.

Troublant et puissant.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin