dimanche 24 février 2013

Les Muses Orphelines : une découverte théâtrale après tant d’années (CRITIQUE)


Après avoir été initié aux Muses Orphelines de Michel-Marc Bouchard en lecture (agréablement) imposée au secondaire, après avoir découvert l’adaptation cinématographique et avoir fait un travail comparatif entre les deux œuvres au cégep, voilà que j’ai enfin pu assister à une représentation de ce grand classique du théâtre québécois. Comme il fallait s’y attendre, je n’ai pas été déçu une seconde !

D’un côté, on retrouve Isabelle, une jeune femme de 27 ans souffrant d’un léger retard mental, mais possédant quelques kilomètres d’avance en frais de lucidité. De l’autre, il y a sa grande sœur Catherine, qui a joué à la mère de substitution, sa sœur Martine, qui est partie jouer au soldat à l’étranger, ainsi que Luc, qui a tenté de s’écrire une vie, à défaut de vivre la sienne. Près de vingt ans après le départ de leur mère, les quatre enfants souffrent chacun à leur façon. Isabelle s’accroche aux mots qu’elle ne comprend pas, depuis qu’on a rempli sa mémoire de mensonges et de demi-vérités. Catherine refuse d’affronter la réalité, préférant faire comme si la grande maison qu’elle habitait n’avait pas été le théâtre d’un adultère, d’une série de souffrances et de grands déchirements. Martine fait comme si les membres de sa famille n’avaient aucune importante pour elle, alors que leurs paroles ne cessent d’entrer en collision avec la fragilité qu’elle tente de camoufler. Et Luc préfère s’habiller comme sa mère et lui inventer une vie, plutôt que d’accepter qu’elle les a brutalement abandonnés à leur triste sort. Une fois réuni à la maison familiale, grâce aux manigances d’Isabelle, le clan des Tanguay n’aura d’autre choix que de faire face aux vomissures de son passé. 

Force est d’admettre que le texte de Michel-Marc Bouchard est d’une solidité sans nom. Personnel et universel, fort et vulnérable, follement réaliste et merveilleusement métaphorique, capable de nous interpeller, de nous confronter, de nous faire rire ou de nous faire pleurer, possédant un rythme et une cohésion indubitables, son œuvre fait partie des grandes.

Avec un tel joyau entre les mains, la metteure en scène Martine Beaulne a eu la brillante idée de se concentrer sur les mots du dramaturge en dirigeant ses acteurs avec un doigté, une précision et une homogénéité remarquables. Complices, solides, nuancés, investis, drôles et touchants, Macha Limonchik, Léane Labrèche-Dor, Nathalie Mallette et Maxime Denommée rendent fièrement hommage au quart de siècle des Muses Orphelines. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin



samedi 23 février 2013

« Furieux et désespérés » au Théâtre d’Aujourd’hui : aussi simpliste que prétentieuse (CRITIQUE)


Un an après avoir renversé le public avec la sublimissime « Moi, dans les ruines rouges du siècle », qui mariait avec humour et émotions la petite histoire de Sasha Samar à la grande histoire de l’Ukraine, Olivier Kemeid revient à la charge en se servant de sa propre vie pour écrire « Furieux et désespérés ». Malgré la pertinence évidente du propos, sa nouvelle pièce est aussi simpliste que prétentieuse. 

Lorsqu’il avait six ans, le père d’Olivier Kemeid a quitté l’Égypte avec sa famille pour s’installer au Canada. Près de 48 ans plus tard, l’auteur et metteur en scène est parti à la découverte de la terre de ses ancêtres en visitant une des cousines de son père. Accueilli par un chauffeur de taxi fort en gueule et une femme pour le moins étrange, le personnage inspiré du dramaturge rencontre ensuite une partie de sa famille, au moment où le pays vit les débuts du printemps arabe. Troublé par les revendications de la fille de sa cousine, déchiré par l’envie de rentrer au pays et celle de ne pas abandonner les siens, il sera mêlé à une situation qui le dépasse.

Le point de vue de Kemeid sur l’immigration et la révolution est d’une finesse inouïe. Grâce à son histoire, on comprend mieux les différents enjeux des Égyptiens, leurs vieilles blessures et les raisons qui poussent certains à rester sur leurs terres malgré les grands bouleversements du passé et du présent. On imagine le tiraillement de l’immigrant entre ses racines et le lieu où il a construit sa vie, entre cette famille qu’il aime et cette nouvelle existence qu’il chérit, entre les accusations d’être un lâche qui abandonne son peuple et les difficultés d’être constamment considéré comme un étranger dans sa terre d’accueil. En assistant à une représentation de « Furieux et désespérés », on ressent toute la conviction des Égyptiens à vouloir se soulever et se faire entendre. 

Malheureusement pour ses idées particulièrement sensibles et lucides, Kemeid n’a pas trouvé les bons outils pour les exprimer. Parmi les nombreux dialogues réalistes et quotidiens qu'il a écrits, l'auteur a intégré des envolées lyriques pompeuses afin d’appuyer tous les passages où il se veut plus sérieux. Non seulement la rupture de ton est-elle dommageable pour le rythme de la pièce, mais elle finit presque par ridiculiser des idées qui ne méritent pas un tel traitement. De plus, lorsque des scènes graves et remplies d’émotions sont présentées avec un peu plus de réalisme, on ne peut faire autrement que de constater à quel point la scénographie n’arrive pas à supporter leur élan. En érigeant des murs qu’on dirait composés de boîtes de carton, rappelant la façade d’un temple ou les blocs d’une pyramide, l’équipe de création a donné un enrobage simplet à l’action. Les éclairages trop peu nuancés n’aident pas non plus à donner de la crédibilité à l’histoire. 

Si la présence d’une motocyclette près du plafond se veut une référence à Che Guevera, qui est évoqué pendant une seconde et quart, l’idée s’avère inutile et  superflue. Notons également la réaction de l'un des personnages qui craint d’avoir tué un homme : il est troublé quelques minutes, avant de passer à autre chose comme si de rien n’était. C’est à n’y rien comprendre.

Marie-Thérèse Fortin règne sur la distribution avec panache et vulnérabilité, Denis Gravereaux et Johane Haberlin sont particulièrement beaux à voir aller, Maxim Gaudette a l’air d’un grand enfant perdu et trop peu dirigé, alors qu’Émilie Bibeau – généralement reconnue pour être juste et brillante – est agaçante avec sa voix haut perchée et des accents toniques franchement trop appuyés pour nous faire comprendre à quel point le drame de sa vie et de son pays est important.

Voilà une grande histoire qui s’est transformée en petite pièce. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Théâtre d’Aujourd’hui – 19 février au 16 mars 2013
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/furieux 

jeudi 21 février 2013

« La Lanterne rouge » du Ballet national de Chine : la tradition prend le dessus sur le classique (CRITIQUE)


Se produisant pour la première fois de son histoire au Canada, le Ballet national de Chine vient présenter au public montréalais l’adaptation du film « Épouses et concubines » du cinéaste Zhang Yimou, qui signe lui-même le livret, les éclairages et la mise en scène. Si la direction artistique de La Lanterne rouge est franchement sublime, les chorégraphies s’avèrent étonnamment décevantes. 

Au début des années 90, Épouses et concubines a remporté le Lion d’argent à la Mostra de Venise, en plus de récolter une nomination aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film étranger. Plus de 20 ans plus tard, Zhang Yimou revient à la charge avec son histoire de seigneur féodal qui allume la lanterne rouge de la femme avec qui il veut passer la nuit. Vient un jour où une nouvelle venue s’ajoute à son épouse et à sa première concubine : après avoir été forcée par le maître de la maison de le suivre dans la couchette, la jeune femme retrouve son amoureux de jeunesse et se fait surprendre par la première concubine. Se mélangent alors jalousie, trahison et tragédie. 

Les traditions de l’Empire du Milieu sont admirablement bien représentées par les magnifiques costumes colorés, la musique ensorcelante et les décors majestueux. Rarement a-t-on vu des ombres chinoises aussi bien utilisées qu’au moment où le seigneur impose sa loi à la jeune jouvencelle. En contrepartie, les éclairages sont très mal utilisés pendant le reste de la production, alors qu’un « follow spot » impose à nos yeux ce qu’ils doivent regarder, laissant dans l’ombre le reste du décor et des interprètes.

De plus, les spectateurs étaient en droit de s’attendre à des chorégraphies d’un niveau technique beaucoup plus relevé. Même si la légèreté gracieuse des danseurs chinois ferait pâlir d’envie bien des Occidentaux, le synchronisme de la troupe était déficient, la difficulté des mouvements n’avait rien d’épatant et l’originalité n’était pas particulièrement au rendez-vous. 

Force est d’admettre que l’histoire de Yimou est mieux servie par la liberté du cinéma. Néanmoins, le lyrisme de l’œuvre, la langueur de ses interprètes et la beauté de la scénographie valent à ce point le détour que l’envie de découvrir le pays de Mao s’est imprégnée dans notre imaginaire avec une force étonnante. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Salle Wilfrid-Pelletier de Montréal
21 au 24 février 2013
http://www.grandsballets.com/fr/spectacle/la-lanterne-rouge 

samedi 9 février 2013

Critique du spectacle d’Ingrid St-Pierre : comme un petit bout d’éternité


Déjà forte de dizaines de spectacles depuis le lancement de son deuxième album, L’Escapade, le 31 octobre dernier, Ingrid St-Pierre a déposé son univers au La Tulipe afin d’envelopper de sa tendre chaleur les centaines de spectateurs qui ont bravé le froid en ce vendredi de fausse tempête. 

Au son des premières notes du erhu, un violon traditionnel chinois d’une beauté pratiquement impossible à mettre en mots, la salle au coin de Papineau et de Mont-Royal est entrée en transe. Attentifs, émus et attendris par une succession de perles chantées, les spectateurs buvaient les paroles de mam’zelle St-Pierre comme si elle possédait une parcelle d’humanité à laquelle personne n’avait touché avant elle. 

Affirmant en entrevue qu’elle ne voulait plus porter l’image de la jeune fille frêle et fragile que certains lui collaient depuis ses débuts, Ingrid St-Pierre est arrivée sur scène plus solide qu’à la même époque l’année dernière, alors qu’elle impressionnait déjà par sa maîtrise vocale, instrumentale et émotive. Pianotant d’un doigté assuré, laissant flotter sa voix avec une douce légèreté et s’amusant à contextualiser ses chansons avec juste assez de mots pour nous charmer, la blondinette chanteuse s’est également permis quelques chansons seule au micro. Dénuée du rempart protecteur qu’est son piano, elle n’a pas hésité à montrer toute la force et la vulnérabilité qu’un tel acte demande, et ce, pour notre plus grand plaisir. 

Qu’elle nous raconte ses maladresses amoureuses, ses escapades imaginaires, ses nuits dans l’Ouest canadien, ses envolées déambulatoires dans les quartiers de la métropole, ses plans machiavéliquement romantiques, sa nostalgie de l’âme et du cœur, ou qu’elle attache les ficelles de mémoire de sa grand-mère, Ingrid St-Pierre nous donne l’impression de faire l’amour à chacune de ses chansons, tant elle est connectée avec ses paroles et l’univers qui l’entoure. 

Pendant que les non-initiés découvrent ses histoires avec un sourire en coin, une larme à l’œil ou un éclat de rire au fond du ventre, les habitués continuent de se délecter du talent de l’auteure-compositrice-interprète en goûtant aux saveurs insoupçonnées de ses mots et de ses mélodies.  

En poursuivant au cours des prochains mois une tournée qui la mènera partout au Québec et ailleurs en France, Ingrid St-Pierre nous fait un peu l’effet d’une nouvelle amoureuse : si une partie de nous voudrait crier au monde qu’elle est l’une des plus belles choses qui soient arrivées à la musique québécoise depuis longtemps, une petite voix fredonne au creux de notre oreille qu’il serait bon de la garder pour nous encore un petit moment, afin de profiter d’une intimité magnifiée pour un semblant d’éternité.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Dates de sa tournée : http://www.ingridstpierre.com/Default.asp?p=5
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La rentrée montréalaise (2011) d'Ingrid St-Pierre dépasse toutes les espérances

vendredi 1 février 2013

Critique de « 2 : 14 » à la Maison Théâtre : d’une beauté à couper le souffle !


Si vous pensiez lever le nez sur la pièce « 2 : 14 » parce qu’elle est classée parmi les œuvres pour adolescents, sachez que vous faites une grave erreur. La pièce écrite par David Paquet fera vibrer chaque recoin de votre cœur en créant une forme de dépendance à tant de splendeur. 

Quelque soixante minutes suffisent à l’équipe de « 2 : 14 » pour nous faire découvrir Katrina, François, Berthier, Denis et Jade, dont les destins s’entrecroisent et s’entrechoquent sous nos yeux. Si l’un se perd dans la drogue et dans l’amour inavouable, si l’autre se fond dans la noirceur des aveugles pour attirer les regards féminins, si l’une décide de se faire tatouer la noirceur du monde en espérant passer inaperçue, qu’une autre est prête à avaler la chose la plus immonde afin de maigrir et de faire disparaître les insultes qui alourdissent son cœur, et qu’un dernier n’arrive plus à goûter à la vie, tant il est obnubilé par le poids de sa fatigue, les cinq personnages ont tous une chose en commun : ils se sont retrouvés au mauvais endroit, au mauvais moment à 2 h 14. À ce quintette s’ajoute une femme hirondelle : le genre de maman qui s’assure de construire un nid solide pour ses enfants, branche par branche, avec minutie et attention. Une maman hirondelle qui n’arrive pas à comprendre comment son nid a pu se briser en entraînant la destruction de plusieurs autres…

Déjà récipiendaire du Prix littéraire du Gouverneur général du Canada en théâtre francophone pour sa pièce Porc-épic en 2010, David Paquet livre ici un texte fort et vulnérable, délirant et sensible, brutalement réaliste et magnifiquement métaphorique. Jamais le dramaturge ne prend le jeune public pour des idiots, préférant opter pour un langage vrai, ni trop gentil, ni trop cru, qui nous révèle la beauté et l’extrême fragilité de l’être humain et de la jeunesse. 

La mise en scène de Claude Poissant est ici synonyme de simplicité et d’inventivité, de mouvements et de rythmes. Utilisant à merveille la vitalité de ses interprètes, Poissant arrive à nous transporter d’une bribe d’histoire à l’autre avec une adresse et une légèreté qui sont belles à voir. Sa direction d’acteur est aussi solide que fluide. Chacun des interprètes de « 2 : 14 » livre une prestation sentie, nuancée, énergique, drôle, touchante et franchement divertissante. Les personnages sont à ce point séduisants qu’on s'attache à eux comme s’ils étaient nos amis ou nos propres enfants, rendant l’événement qui se produit à « 2 h 14 » d’autant plus difficile à accepter.

La magie entre le texte, l’équipe de création et la distribution opère au point de nous donner envie d’assister à chacune des représentations qui suivent. Il s’agit ici de grand, grand théâtre. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

Maison Théâtre
30 janvier au 9 février 2013