vendredi 26 avril 2013

Critique de la pièce « Survivre » : le petit bijou du Quat’Sous


En présentant « Survivre », de l’auteur Olivier Kemeid, le Théâtre de Quat’Sous offre l’une des meilleures pièces de l’année. Rien de moins. 

Fait inusité, les spectateurs ont eu droit à une « première partie » offerte par l’auteur et comédien Simon Lacroix, qui s’est inspiré du décor de « Survivre » pour écrire l’équivalent d’un court métrage théâtral. En quelques minutes seulement, son histoire de concierges et d’espions nous captive et nous met dans un état d’ouverture et de bonne humeur qui sert merveilleusement bien la suite des choses.

Parmi les qualités innombrables de « Survivre », notons d’abord l’extrême efficacité du décor : un bureau beige, terne, rigide et peu accueillant, à l’image de chacun des personnages, qui sont habillés de couleurs parfaitement coordonnées à celles de leurs chaises de travail. Planqués dans un demi-sous-sol, six employés éteints, mornes et frustrés, tentent de survivre au vide de leur existence, qui n’a rien à envier aux animaux qui finissent à l’abattoir. 

Leur quotidien n’est que tristesse et répétition. Jusqu’au jour où un étrange personnage atterrit dans leur univers, suscitant les passions, dévoilant les envies, provoquant les peurs enfouies et libérant tout ce qui se cache sous cette couche de beige, de bleu pastel et de vert mal de cœur. Symbolisant avec une justesse troublante l’aliénation du travail, l’absence de passion, la peur de soi et la peur de l’autre, le texte d’Olivier Kemeid est brillant. 

Fidèle à son habitude, le dramaturge a ressenti le besoin d’insérer des élans poético-oniriques qui cassent le rythme, alors que ses idées et ses mots « simples » goûtent déjà suffisamment bon pour vivre par eux-mêmes. Heureusement, ces incursions sont brèves et peu nombreuses.

Impossible de ne pas mentionner à quel point la matière première imaginée par Kemeid est magnifiée par le travail d’Éric Jean. En chorégraphiant avec finesse les journées de travail punch in, punch out, en utilisant de façon fort ingénieuse les décors et les meubles d’où surgit constamment l’un des personnages et en dirigeant ses acteurs avec précision, rythme et homogénéité, le metteur en scène fait preuve d’un grand talent. 

Totalement investis dans l’aventure, les acteurs André Robitaille, Renaud Lacelle-Bourdon, Sylvie Drapeau, Anne Casabonne, Laurie Gagné, Martine-Marie Lalande et Olivia Palacci composent une variété de personnages touchants, hilarants et fascinants.  

« Survivre » est une des belles surprises du printemps. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin. 


Crédit photo : Yanick Macdonald

dimanche 14 avril 2013

Le Diable Rouge : ode à la manipulation politique et sentimentale (CRITIQUE)


Jusqu’où un monarque et ses ministres peuvent-ils aller pour gouverner ? Les aléas de l’amour ont-ils leur place dans les décisions d’un roi ? L’histoire du monde a-t-elle été uniquement dictée par de grandes entreprises de manipulations et une série de mariages de raison ? Voilà quelques-unes des réflexions qui risquent de se pointer dans la tête des spectateurs en assistant aux jeux de coulisses du Diable rouge, au Théâtre Jean Duceppe. 

Quelques années après avoir incarné Henri II, le roi d’Angleterre dans Le Lion en hiver, Michel Dumont s’attaque à un autre grand personnage de l’histoire, le Cardinal Mazarin. Cet homme à qui Anne d’Autriche a confié le mandat de mettre fin à la guerre entre la France et l’Espagne en arrangeant un mariage entre le jeune Louis XIV, 21 ans, et l’infante d’Espagne, même si le futur roi Soleil est en amour avec Marie Mancini, la nièce du Cardinal. Rusé, fourbe et débordant d’idées torves pour convaincre les uns et flouer les autres, Mazarin doit également faire de Louis XIV un roi digne de ce nom : craint de ses adversaires politiques, priorisant la raison aux émotions, capable de trahir ses proches au profit de l’avenir de son pays et n’hésitant pas à s’entourer de quelques crapules pour faire avancer la nation. Ironique de voir les ressemblances entre la royauté de l'époque et la réalité politique d’aujourd’hui…

La pièce du dramaturge français Antoine Rault se concentre sur les sentiments et les tracas quotidiens des tout-puissants. On y découvre Mazarin mal en point, crachant et puant au réveil. Anne d’Autriche entichée de son Premier ministre. Louis XIV et Marie Mancini qui courent dans les jardins, épris d’une passion qui ne fait pas l’affaire de leurs aïeuls. Des scènes de tractations politiques, de chantage, de rébellion et de prises de bec. Heureusement pour les spectateurs, les acteurs ont le chic de rendre ce charabia parfaitement clair, en intégrant de façon tout à fait naturelle les conversations soutenues que se livrent rois et reines. 

Fidèle à son habitude, Michel Dumont domine la distribution en interprétant un Mazarin tout en nuances. D’abord confiant, puissant, séducteur, manipulateur, et prenant un plaisir manifeste à imaginer de nouvelles magouilles, son personnage chancellera peu à peu, faiblira sous les effets de la maladie, verra sa voix de stentor s’emplir d’une toux rocailleuse, et finira par n’avoir qu’un seul souci : la trace qu’il aura laissée dans l’Histoire après sa mort. 

De son côté, Monique Miller offre une prestation tout aussi équilibrée en jouant une Anne d’Autriche dominante, déterminée et fragilisée par quelques instants amoureux, bien qu’elle ait depuis longtemps compris que l’amour a bien peu de place dans la gestion d’un royaume. 


Magalie Lépine-Blondeau, qui fait présentement ses premiers pas sur la scène du Théâtre Jean Duceppe, propose une Marie Mancini pleine de répartie, de vivacité, de convictions, de passions et d’ambitions. Après avoir été l’incarnation même de la volupté dans Christine la Reine-Garçon au TNM, de la candeur frivole dans la télésérie Tu m’aimes-tu et d’un mélange d’insécurité et de pragmatisme dans 19-2, l’actrice continue de nous faire voir l’étendue de son registre avec un talent fascinant. 

En début de pièce, François Xavier-Dufour incarne un Louix XIV plus proche du jeune garçon que du jeune homme de 21 ans, tant dans sa démarche que dans ses fluctuations vocales, mais il démontre ensuite tout le charisme et la rigidité nécessaire de l’homme d’État que le roi deviendra avec les années. 

Malgré la solidité de la distribution, l’intérêt manifeste de l’histoire, l’efficacité de la mise en scène, la grâce des costumes et des décors, un bémol s’impose : Le Diable Rouge manque d’étincelles. Les spectateurs restent captifs de la pièce sans le moindre problème, mais rares sont les moments de grandes émotions, d’éclats de rires francs ou de colère suprême. Bien que le côté verbeux franchouillard des dialogues puisse créer une distance entre le spectateur et ses émotions, le manque de punch dans l’écriture d’Antoine Rault explique probablement mieux pourquoi on sort de chez Duceppe avec l’impression d’avoir assisté à une pièce brillante, mais peu touchante. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

*Crédits photo : François Brunelle

samedi 13 avril 2013

« Yukonstyle » au Théâtre d’Aujourd’hui : la terre de tous les possibles (CRITIQUE)



À chacune de ses nouvelles créations, Sarah Berthiaume démontre qu’elle possède un talent inouï pour raconter les blessures de l’humanité avec sensibilité et subtilité. Avec Yukonstyle, la jeune auteure confirme sa place parmi les dramaturges dont on attendra désormais toutes les pièces avec impatience. 

Près d’un an et demi après avoir enflammé la salle Jean-Claude Germain avec sa vision lucide, brillante, drôle et touchante de Kandahar, Pompéi, Gagnonville et le Quartier Dix-30 de Brossard dans Villes Mortes, Berthiaume revient à la charge avec une histoire campée dans Whitehorse la sombre. Après 4 jours et 4 nuits dans un autobus Greyhound à traverser le Canada et quelques semaines à s’imprégner de l’immensité du territoire yukonais, l’auteure est revenue au Québec pour créer une courtepointe avec les personnages marquants qui ont croisé sa route.

De son imagination sont issus Yuko, la Japonaise de six pieds qui a tout plaqué pour déménager au Yukon, l’endroit où le taux d’immigration japonaise est le plus faible au monde ; Garin, son colocataire métis en crise identitaire, depuis la disparition de sa mère, une prostituée autochtone ; son père, Dad’s, noyé dans l’alcool et les souvenirs de celle qui a quitté Whitehorse avec son âme ; et Kate, une adolescente habillée selon le style des manga japonais, qui se meurt d’exister pour avoir enfin quelque chose à dire. Rongés par les souvenirs, les envies, les hallucinations et les mots qu’ils ne savent pas dire, les quatre personnages se rassembleront autour de leur solitude, réussissant à comprendre et compenser leurs carences respectives. 

En plus de raconter le quotidien avec des mots débordant de vérité, de candeur et de simplicité, Sarah Berthiaume trouve le moyen d’insérer de grands élans fantastico-poétiques inspirés par ce coin de pays larger than life, sans le moindre déséquilibre dans le rythme ou la cohérence de l’histoire. Jamais le langage plus soutenu ne semble trop appuyé et jamais les scènes réalistes ne semblent caricaturales. Dans Yukonstyle, tout est dosé avec finesse. 


L’histoire de la jeune auteure est portée par une distribution en tous points impeccable. Sophie Desmarais livre l’une des meilleures interprétations de personnage adolescent depuis des années, avec un bagou, une énergie, des réflexes et des intonations crédibles et divertissantes. Cynthia Wu-Maheux est tour à tour impériale, puissante, fragile, amoureuse et juste dans chacun de ses personnages. Vincent Fafard interprète avec un talent rare la force brute de son personnage, son côté renfrogné, sa mâlitude et sa vulnérabilité qui craque de partout. 

Au final, Yukonstyle est une histoire universelle de quête de soi, de solitude, d’affranchissement et d’esprit de communauté qu’on n’est pas sur le point d’oublier. 

Yukonstyle 
Théâtre d’Aujourd’hui
9 avril au 4 mai 2013