Un an après avoir renversé le public avec la sublimissime « Moi, dans les ruines rouges du siècle », qui mariait avec humour et émotions la petite histoire de Sasha Samar à la grande histoire de l’Ukraine, Olivier Kemeid revient à la charge en se servant de sa propre vie pour écrire « Furieux et désespérés ». Malgré la pertinence évidente du propos, sa nouvelle pièce est aussi simpliste que prétentieuse.
Lorsqu’il avait six ans, le père d’Olivier Kemeid a quitté l’Égypte avec sa famille pour s’installer au Canada. Près de 48 ans plus tard, l’auteur et metteur en scène est parti à la découverte de la terre de ses ancêtres en visitant une des cousines de son père. Accueilli par un chauffeur de taxi fort en gueule et une femme pour le moins étrange, le personnage inspiré du dramaturge rencontre ensuite une partie de sa famille, au moment où le pays vit les débuts du printemps arabe. Troublé par les revendications de la fille de sa cousine, déchiré par l’envie de rentrer au pays et celle de ne pas abandonner les siens, il sera mêlé à une situation qui le dépasse.
Le point de vue de Kemeid sur l’immigration et la révolution est d’une finesse inouïe. Grâce à son histoire, on comprend mieux les différents enjeux des Égyptiens, leurs vieilles blessures et les raisons qui poussent certains à rester sur leurs terres malgré les grands bouleversements du passé et du présent. On imagine le tiraillement de l’immigrant entre ses racines et le lieu où il a construit sa vie, entre cette famille qu’il aime et cette nouvelle existence qu’il chérit, entre les accusations d’être un lâche qui abandonne son peuple et les difficultés d’être constamment considéré comme un étranger dans sa terre d’accueil. En assistant à une représentation de « Furieux et désespérés », on ressent toute la conviction des Égyptiens à vouloir se soulever et se faire entendre.
Malheureusement pour ses idées particulièrement sensibles et lucides, Kemeid n’a pas trouvé les bons outils pour les exprimer. Parmi les nombreux dialogues réalistes et quotidiens qu'il a écrits, l'auteur a intégré des envolées lyriques pompeuses afin d’appuyer tous les passages où il se veut plus sérieux. Non seulement la rupture de ton est-elle dommageable pour le rythme de la pièce, mais elle finit presque par ridiculiser des idées qui ne méritent pas un tel traitement. De plus, lorsque des scènes graves et remplies d’émotions sont présentées avec un peu plus de réalisme, on ne peut faire autrement que de constater à quel point la scénographie n’arrive pas à supporter leur élan. En érigeant des murs qu’on dirait composés de boîtes de carton, rappelant la façade d’un temple ou les blocs d’une pyramide, l’équipe de création a donné un enrobage simplet à l’action. Les éclairages trop peu nuancés n’aident pas non plus à donner de la crédibilité à l’histoire.
Si la présence d’une motocyclette près du plafond se veut une référence à Che Guevera, qui est évoqué pendant une seconde et quart, l’idée s’avère inutile et superflue. Notons également la réaction de l'un des personnages qui craint d’avoir tué un homme : il est troublé quelques minutes, avant de passer à autre chose comme si de rien n’était. C’est à n’y rien comprendre.
Marie-Thérèse Fortin règne sur la distribution avec panache et vulnérabilité, Denis Gravereaux et Johane Haberlin sont particulièrement beaux à voir aller, Maxim Gaudette a l’air d’un grand enfant perdu et trop peu dirigé, alors qu’Émilie Bibeau – généralement reconnue pour être juste et brillante – est agaçante avec sa voix haut perchée et des accents toniques franchement trop appuyés pour nous faire comprendre à quel point le drame de sa vie et de son pays est important.
Voilà une grande histoire qui s’est transformée en petite pièce.
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Théâtre d’Aujourd’hui – 19 février au 16 mars 2013
http://www.theatredaujourdhui.qc.ca/furieux
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