vendredi 7 septembre 2012

Critique du théâtre documentaire « Grain(s) » : à qui appartient la vie ?


À cette époque du secondaire où nous devions apprivoiser l’art de la dissertation, nous avons tous été confrontés à des questions éthiques sur la peine de mort, le clonage ou les fameux organismes génétiquement modifiés (OGM). Certains prenaient position en voyant tout blanc ou tout noir, alors que d’autres ne pouvaient se résoudre à régler le sort de questions aussi complexes autrement que par des nuances de gris. En écrivant « Grain(s) », la version française de « Seeds » qui est présentée à La Licorne jusqu’au 22 septembre, l’auteure Annabel Soutar semble elle aussi avoir pris le parti de la multiplication des points de vue sur la lutte contre les OGM. 

La prémisse du théâtre documentaire de la dramaturge est fort simple : un fermier de la Saskatchewan est accusé par la multinationale Monsanto d’avoir cultivé sans autorisation (sans payer les redevances) du canola porteur d’un gène dont elle détient le brevet. S’agit-il d’un vol ou du simple effet de la pollinisation naturelle ?

Basée sur une histoire vraie, « Grain(s) » est le fruit de neuf longues années de travail acharné de Soutar, qui est allée rencontrer une quinzaine de personnes associées au conflit : le fermier poursuivi, son avocat, le juge du procès, la relationniste de Monsanto, des voisins fermiers des environs, une agronome, des spécialistes en biotechnologie et autres champs d’expertise reliés à cette histoire, une porte-parole de lobby, etc. Son travail de documentariste est en tous points remarquable. En écrivant la pièce à partir de ses recherches et des dialogues de ses entrevues, la dramaturge tente d’exploiter chacune des ramifications de son sujet au maximum. 

Débutant avec des questions posées au public, afin d'entamer notre réflexion et d’établir encore plus clairement que cette pièce est basée sur une histoire qui est arrivée à du « vrai monde », « Grain(s) » a des airs de vox-pop réalisé par un journaliste paresseux. Heureusement que cette méthode est de courte durée et qu’elle est suivie d’une série de reconstitutions des événements, du procès, des entrevues, des répercussions médiatiques internationales et d’informations scientifiques habilement vulgarisées, le tout structuré avec rythme et clarté. 

Avec un sujet aussi sérieux, le spectateur doit impérativement arriver en forme et se concentrer pendant 2h30. Même si l’idée d’abandonner nous passe par la tête, quelque chose nous pousse à continuer. Un peu comme le fermier saskatchewannais qui puise en lui la force de résister contre Monsanto pendant des années, le spectateur a besoin de se rendre jusqu’au bout. Pour savoir. Pour enfin comprendre ce qui s’est passé et découvrir qui a raison. 

Ironiquement, la pièce se conclut sur le personnage d’Annabel Soutar qui nous explique que chacun des spectateurs quittera la salle avec une interprétation différente de la pièce. Parce que le nœud de la guerre entre Monsanto et le fermier est justement une affaire de perceptions. Parce que chaque fois que nous croyons réussir à séparer le vrai du faux, un doute s’infiltre dans notre cerveau. Même si Monsanto est perçue comme une grosse méchante compagnie, si facile à détester, le fermier est-il réellement honnête ? A-t-il volé la biotechnologie de la multinationale, avant de partir en croisade contre le concept de la propriété brevetée en agriculture ? En offrant la possibilité de nourrir les milliards d’humains qui continuent de peupler la planète, Monsanto est-elle si mauvaise ? La science est-elle suffisamment développée pour démontrer que les avancées en matière d’OGM sont hors de danger pour les êtres humains ? Pourrait-elle seulement le devenir un jour, à cette époque où les recherches sont financées par les entreprises privées ?

La liste de questions s’allonge. La pièce de théâtre-documentaire se termine. On rentre chez soi confronté, un peu perdu, franchement mieux informé, et conscient que le monde dans lequel on vit évolue plus rapidement que notre capacité à le comprendre et le sécuriser.

Troublant et puissant.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin 

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