lundi 1 août 2011

Le Yin et le Yang du Sage Gamin en Chine


Le Yin et le Yang, la mort et la vie, le mal et le bien, voilà un célèbre concept de dualité que la planète entière associe à la Chine depuis des siècles. Ce sont d’ailleurs des impressions totalement opposées qui me permettent de vous décrire mon voyage dans l’Empire du Milieu : majestueux, imparfait, fascinant, confrontant et tout ce qu’il y a de plus mémorable. 

Qui aurait cru il y a de cela quelques années que le jeune Abitibien que je suis allait visiter la Chine si tôt dans sa vie ? Voyez-vous, je suis entouré depuis des années de plusieurs amis globe-trotters avec une feuille de route impressionnante. Avec eux, tous les continents ont déjà été visités. De mon côté, je n’avais vu que le Yukon, Vancouver, New-York, Boston, en plus d’avoir fait un premier voyage outre-mer en France et en Angleterre l’automne dernier. Charmant, mais peu impressionnant. Voilà que je me fais annoncer l’hiver dernier que mes patrons (je suis coordonnateur aux communications chez Plongeon Québec et Plongeon Canada) m’offrent la chance d’agir en tant qu’attaché presse de l’équipe canadienne de plongeon aux Championnats du monde aquatiques présentés à Shanghai. Je vous épargne les détails professionnels de mon voyage, mais n’empêche que le sentiment qui m’habitait le jour de cette annonce a été le même que celui que j’ai ressenti pendant les trois semaines passées au pays de Mao : je suis tellement en Chine !

Peu importe que mes journées chinoises aient été grandioses ou profondément frustrantes, je m’endormais chaque soir avec un seul et même constat : tu es à l’autre bout du monde, mon bonhomme, à l’autre BOUT du monde ! Grisante réalité.

Le 10 juillet dernier, je quittais donc mon île adorée pour le plus grand voyage de ma vie. La belle Hochelaga a cédé le pas à l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau un samedi matin, à une escale d’une heure à Toronto où j’étais déjà entouré de 98% de visages asiatiques, à un avion qui allait devenir ma maison, mon lieu de travail, mon salon et ma chambre à coucher pendant rien de moins que 13 heures. Je suis fier d’avoir survécu à ce voyage. N’ayant jamais été réputé pour ma patience et me voyant dans l’obligation de composer avec 6 pieds 4 pouces de jambes, l’idée de me retrouver confiné dans un espace grand comme ma main pendant plus d’une demi-journée ne m’enchantait pas particulièrement. J’y suis pourtant arrivé. Shanghai s’ouvrait à moi.

Je vous le dis d’entrée de jeu, Shanghai n’a pas été pour moi la ville de la découverte infinie. J’étais là principalement pour travailler. Logé dans un grand hôtel, encadré par une organisation fabuleuse, accompagné des meilleurs plongeurs au pays, m’assurant de gérer les demandes des médias canadiens avec les 12 heures de différence, je travaillais tôt le matin, je passais la journée à la piscine extérieure de plongeon (une splendeur de plusieurs millions de dollars), et je continuais de travailler en soirée. En gros, pendant deux semaines, ma vie se résumait à du monde en maillot, un ordinateur portable et un cellulaire cheap acheté au magasin du coin pour remplacer mon iPhone qui ne fonctionnait pas avec le système de téléphonie chinois (une petite fin du monde pour un gars en relations publiques).

Même si la majeure partie de mes journées était consacrée au travail, mon sens de l’observation a pris le temps de faire quelques constats. Le premier en liste ? Il fait chaud en Chine ! Oh et puis non, rectification : il faut chaud EN VIARGE en Chine ! Je transpirais ma vie, je touchais le smog du bout des doigts, je traînais une serviette avec moi presque partout, je prenais enfin conscience que l’antisudorifique était l’invention la plus géniale de l’histoire et je me faisais pote avec l’air climatisée, même si celle-ci avait détruit ce qui me restait de gorge après mon voyage en avion (une petite fin du monde pour un gars qui pratique le chant plusieurs heures par semaine).

Puisque Shanghai est une ville de bord de mer, la sensation d’humidité n’en était que décuplée : 80% d’humidité tous les jours. Lorsque j’entendais mes amis montréalais se plaindre de la « canicule » qui a sévi pendant trois ou quatre jours dans la métropole, je ne pouvais pas m’empêcher de crier intérieurement :

-C’est 1000 fois pire ici et ça ne dure pas juste 4 jours !

Par quoi d’autre ai-je été frappé ? Les 1.6 milliard de Chinois qui m’entouraient ? Le sentiment de minorité visible qui m’assaillait ? Pas vraiment non. J’étais préparé tout cela. S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est le trafic. La circulation chinoise est complètement folle : des piétons, des cyclistes, des scooters, des voitures, des autobus, un non-respect évident des feux de circulation et l’impression incontestable que le piéton chinois est au bas de la chaîne alimentaire des rues de Shanghai et de Pékin. Ici, n’espérez pas marcher en écoutant de la musique sur votre iPod. Traverser la rue est un sport, un exercice de concentration et l’occasion unique de se sentir unis contre l’adversité : à un moment donné, on réalise que notre meilleure option pour survivre est de traverser en groupe. C’est plus difficile de foncer sur un troupeau que sur un seul individu, c’est bien connu…

Côté look et design, Shanghai m’est apparue comme une ville généralement hideuse, mais ponctuée de quelques splendeurs architecturales. Shanghai est grise, remplie de tours d’habitation sans âme, tout en étant reconnue pour le talent de plusieurs architectes étrangers qui se sont fait un nom dans la ville chinoise. Une visite au Bund sur le bord de l’eau et un détour vers le temple bouddhiste s’avèrent incontournable, tout autant parait-il que l’expérience des massages à bas prix et que le magasinage au market. À ce chapitre, si vous voulez survivre aux impitoyables vendeurs chinois, sachez marchander vos prix, soyez patients, n’ayez pas peur de la confrontation, des cris, des insultes, des petites Chinoises qui courent après vous dans les couloirs en vous disant que vous êtes fou (dans un anglais impeccable pour faire de l’argent sur votre dos) et sachez être fermes. Quelle impression ai-je gardée de ma première expérience au market ? Je voulais retourner dans ma chambre d’hôtel en 4e vitesse et me coucher en petite boule. Une horreur !

Arrive alors Pékin, ou Beijing pour les Anglos. De l’avis de tous, la ville de Pékin profite encore aujourd’hui des Jeux olympiques de 2008 pour se renouveler, se moderniser, se rénover et continuer son ascension vers les plus hauts sommets. De nouvelles lignes de métro (clair, bilingue, climatisé, propre, un véritable exemple pour Montréal), plusieurs constructions et une impression de croissance incessante. Paradoxalement, à Pékin comme à Shanghai, villes peuplées de 20 à 30 millions d’habitants, tout est extrêmement propre. L’air est sale, mais les rues sont constamment nettoyées et dénuées de détritus. On aime.

Pour moi, Pékin est synonyme de visites, de solitude et d’un congé de travail bien mérité. Être seul à l’autre bout de la planète n’est pas aussi effrayant que je le croyais. Se savoir entouré d’inconnus qui ne parlent ni anglais, ni français, profiter de quelques jours pour oublier sa ville, son travail et ses tracas, se laisser porter par les découvertes, les chocs culturels et les comparaisons, ça reste quelque chose de profondément beau.

Dès le premier jour, je marche vers la Place Tiananmen (haut lieu historique et politique), je me fais proposer de faire le trajet sur un banc accroché à un vélo pour 3 yuans (même pas 50 sous canadiens), j’accepte, je vois le petit Chinois travailler très fort pour conserver son air d’allée (n’oublions pas que je suis tout sauf minuscule), il conclue la randonnée après 10 minutes en me demandant 300 yuans (ah ben *&?*?%), se fait rejoindre par un ami pour me crier dessus, profite de mon hésitation à le bousculer ou à courir (la prison en Chine ou une attaque à l’arme blanche, très peu pour moi), et s’en retourne le visage satisfait.

Voyez-vous, c’est ça la Chine : une puissance économique mondiale dont les habitants encore trop pauvres ont le réflexe de voir les blancs occidentaux comme des riches à qui ils doivent soutirer le plus d’argent possible. Comment s’y prennent-ils ? En offrant biens et services au quadruple du prix (au marché, avec les tours organisés, les guides personnels, les spectacles), en augmentant le prix du taxi en sachant très bien qu’on ne peut pas les obstiner en chinois, en étant un employé d’hôtel qui vous conseille de prendre un taxi en vous faisant croire que votre destination est beaucoup trop éloignée pour vous y rendre à pied (alors qu’elle n’est qu’à 15-30 minutes) ou en réalisant que votre journée de visites de lieux historiquement touristiques se conclue dans un magasin-usine-musée de la soie ou de bijoux afin que vous soyez captivés par la nature unique et merveilleuse de leur talent et que vous vidiez vos poches dans leurs caisses enregistreuses.

Alors, à Pékin, il faut beau, il fait soleil et il fait chaud ! Les bouteilles d’eau (scellées et achetées dans un endroit sûr) deviennent vos meilleures amies, à défaut de quoi vous serez obligés de cultiver votre salive pendant des heures (tranche de vie).

Tout aussi historique et significative puisse-t-elle être dans l’histoire politique de la Chine communiste, la Place Tiananmen ne m’a rien apporté de bon. Des monuments, un drapeau et à peu près rien d’autre. Tout près s’ouvrait à moi l’immense Cité interdite, lieu de résidence de l’empereur de Chine à l’époque. Immense, merveilleuse, remplie à extrême capacité par les Chinois qui jouent aux touristes chez eux en quantité. J’hésite à l’idée d’engager un guide qui parle anglais pour faire la visite, mais je réalise plus tard à quel point je suis heureux de n’avoir personne à perdre dans la foule compacte. Ma solitude touristique me sert bien ce jour-là.

Peu de temps après, je rencontre une jeune Chinoise qui m’aborde sur la rue, qui marche avec moi, qui me parle de la nouvelle génération de Chinois, de leur ouverture d’esprit, du symbole de rêve américain que représentent tous les Westerners comme moi. Deux heures après avoir profité de son aide pour me trouver un tour guidé pour la Grande Muraille sans me faire arnaquer, je continue ma route avant de me faire aborder par une deuxième Chinoise le même après-midi. I’m a big hit in China, mais je ne m’enfle pas la tête. En plus d’être un symbole de richesse nord-américaine, je me démarque en un clin d’œil : très grand, la peau pâle, de grands yeux clairs et des cheveux blonds, difficile de passer inaperçu dans les rues de Pékin.

Le lendemain, réveil vers 7 heures pour passer la journée dans le seul tour guidé que j’accepte de faire en Chine. Une heure d’autobus, visites aux Tombes de l’Empereur Ming, qui s’est construit un genre de Palais de la mort pour contrebalancer la partie vivante de son existence (Yin et Yang). Pour en sortir, nous passons sous une arche en faisant des gestes et en prononçant des paroles servant à faire comprendre à l’univers que nous sommes de retour dans le pays des vivants. Se présente alors le plat de résistance : la Grande Muraille de Chine. Si depuis le début de mon voyage, je me pince en réalisant que JE SUIS EN CHINE (!), je me dis cette fois que JE SUIS SUR L’UNE DES 7 MERVEILLES DU MONDE ! C’est immense, c’est impressionnant, c’est en montagne, loin de la ville, ça sent bon, ça respire bien, c’est hautement significatif, mais je ne peux m’empêcher de faire un constat qui me désole grandement : dans le fond, la Grande Muraille, ce n’est rien d’autre qu’un très long tas de pierres qui a servi à se défendre contre l’invasion des Mongoles, il fut un temps, jadis, naguère. J’essaie de profiter pleinement de ma présence là-bas, mais je ne suis pas ébranlé émotivement.

Le même jour, je rencontre un couple de Français avec qui je vais manger du canard laqué dans un grand restaurant. Nous poursuivons notre route sur la rue de la nourriture étrange (étoiles de mer, scorpions, scarabées, hippocampes, etc.) et je termine ma journée en m’écroulant dans ma chambre d’hôtel.

La journée du lendemain débute avec le Silk Market afin de tester une nouvelle fois mes compétences de magasineur. Je prends mon temps, je jase, je joue la carte de l’étudiant sans le sou, je les accroche à mon envie de dépenser, je suis ferme, je sais ce que je veux, je m’amuse à me faire crier dessus, j’assume qu’on me traite de fou et je fais descendre les prix avec grand talent !

-Dans vos dents, les Chinois !

En soirée, j’assiste à un spectacle d’arts acrobatiques : les Chinois dans la salle parlent tout du long, les décors et les costumes sont parfaitement ridicules, les artistes sur scène sont là pour faire une job sans la moindre capacité d’interprétation ou de passion pour leur discipline (des petits robots bien entraînés, sans plus), je m’ennuie terriblement du Cirque du Soleil qui a placé la barre trop haute dans ma tête, mais j’admets volontiers que certains numéros sont impressionnants. Il fallait voir les 5 motocyclistes rouler en même temps dans une grosse sphère grillagée sans jamais se rentrer dedans. Complètement fou !


La veille de mon retour au pays, deux visites au programme : le Palais d’été et le Parc du Bambou bleu. Si le premier est encore trop rempli de touristes chinois qui se déplacent en troupeaux de 10, le deuxième est mon plus grand coup de cœur chinois depuis le début. Le parc du Bambou bleu n’est pas un lieu touristique, il est calme, bucolique, il fait rêver, il apaise et il donne envie d’y passer des heures. Écouter I’m Yours de Jason Mraz ou Somewhere over the rainbow du chanteur hawaïen au nom impossible à prononcer (Israel Kamakawiwo’ole) me donne l’impression que j’ai été mis sur Terre précisément pour vivre ce moment. Du gros bonheur sale.

En rentrant ce jour-là, je me perds 40 fois autour du parc et je ressens un truc précis et puissant : c’est l’heure de rentrer. J’en ai assez des Chinois par milliers, du trafic, des foules, du smog, de la pollution, des hommes qui crachent partout. J’ai envie de Montréal (qui a l’air d’une ville de campagne à côté des 2 grandes cités chinoises), de calme et de français. Je m'imagine déjà repartir en voyage, je suis fier d’avoir vécu la Chine (et j’ai une folle envie de connaître les campagnes chinoises), mais j’ai besoin de quitter ce pays.

Je rentre à l’hôtel en soirée, je réveille mes parents au téléphone, je les initie à Skype via Pékin (grand moment de technologie familiale), je passe ma dernière nuit en Chine, je me prépare psychologiquement à 27 heures de déplacement, je me fais une amie à l’aéroport, on s’assure d’être assis ensemble dans l’avion, on écoute 4 heures de musique joyeuse en dansant sur nos sièges et en accrochant un sourire au visage de toutes les hôtesses de l’air, on jase nos vies et on devient amis Facebook pendant notre escale à Toronto, on subit le trafic post-feux d’artifice du samedi soir en perdant notre vie dans la navette faisant le chemin entre l’aéroport et le centre-ville de Montréal, j’arrive à la maison, je m’écroule et me réveille à 8 h 30 le lendemain.

Je ne ressens aucun décalage horaire. Je relaxe. Je suis jeune. Je suis allé en Chine. Et la vie est belle !

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

3 commentaires:

  1. Aucun décalage horaire? Et les jours suivants non plus? Vous êtes une merveille de la nature. Normalement, ça prend deux semaines pour se remettre d'un voyage en Chine. Chanceux!

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  2. Presque rien. Le bonheur total pendant 3-4 jours, suivi de 4 autres jours à sentir une certaine lassitude, sans plus. C'est pour ça que je veux faire les voyages les plus difficiles à mon âge. ;-)

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