mardi 23 août 2011

Critique de “L’Enclos de l’Éléphant” : l’inconfort de l’étranger qui sommeille en nous

La succession fulgurante des mots imaginés par Étienne Lepage n’était pas encore venue à nos oreilles que déjà, quelque chose venait de se passer. De par son propos admirablement servi par la mise en scène de Sylvain Bélanger, L’Enclos de l’Éléphant est une expérience théâtrale faite sur mesure pour les murs de l’Espace Libre.

Dès notre entrée dans la salle, l’acteur Denis Gravereaux est assis au centre de la pièce, occupé à lire son journal, pendant que nous prenons place sur des chaises qui sont séparées par une cloison nous empêchant de voir nos voisins immédiats. Le principe de réception passive n’est donc plus de circonstances avec l’Enclos de l’Éléphant.

Les minutes passent et le personnage interprété par Paul Ahmarani entre à son tour. Demandant au propriétaire de la maison de l’accueillir le temps d'une averse, le personnage d’Ahmarani s’invite, déblatère, convainc et s’installe. Au lieu de prendre place dans un coin, l’homme s’incruste, fait la discussion, propose un jeu, teste son hôte et s’amuse à ses dépens. Tranquillement, la politesse et les marques de gentillesse sont remplacées par la violence physique et la torture psychologique.

Tout du long, sans s’en rendre compte, le spectateur est à moitié complice de la situation. Grâce aux haut-parleurs installés sur la cloison qui le sépare des autres spectateurs-voyeurs, il entend très clairement les propos d’Ahmarani retransmis par un micro. Installé à quelques mètres des deux hommes, le spectateur devient presque partie prenante de l’action. L’idée est brillante. Même si la disposition circulaire de la salle nous impose les réactions des autres spectateurs (sourire tendrement diverti, bouche ouverte de stupéfaction, regard effaré) et que le principe est franchement désagréable pour ceux qui apprécient rester dans leur bulle en allant au théâtre, l’effet sert le propos. On se regarde les regarder eux, les deux hommes, les deux étrangers, ceux qui ne sont pas nécessairement qui l'on croit qu’ils sont, ceux qui démontrent à quel point notre société peut être endormie. Avec l’Enclos de l’Éléphant, c’est toute la perception de l’Autre qui est remise en question : la confiance qu’on lui accorde, l’impression de le connaître et le reflet de ce qu’on est à travers lui, soit tout aussi étranger à soi-même que l’on peut l’être pour les autres.

Le texte de l’Enclos de l’Éléphant est incroyablement verbeux, le personnage interprété avec grand talent par Paul Amharani ayant trouvé le moyen d’embrumer son hôte grâce au pouvoir de ne rien dire sans jamais finir par se taire. Bien entendu, qui dit verbeux, dit souvent effort du spectateur, ce qui ne plaît pas à tout le monde. N’empêche, en présentant L’Enclos de l’Éléphant en début de saison, l’Espace Libre respecte l’un des mandats premiers du théâtre : celui de nous faire vivre une expérience ! Pour cela, nous ne pouvons que lui en être reconnaissants.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

23 août au 10 septembre – Espace Libre

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