En adaptant « La belle au bois dormant » en version tragico-trash-burlesque, le chorégraphe Mats Ek a le mérite de dépoussiérer un classique et d’attirer un jeune public, sans délaisser les habitués du ballet traditionnel. Toutefois, certaines avenues prises pour raconter l’histoire sont à ce point déplacées et incompréhensibles qu’elles plombent un spectacle qui aurait pu être sublime.
Dans cette version présentée au Théâtre Maisonneuve du 10 au 22 octobre 2013, les spectateurs ont souvent droit à des passages chorégraphiques dotés d’une symbolique extrêmement forte et précise. Le flirt des parents de la princesse Aurore, leur complicité grandissante, l’acte de procréation, l’accouchement digne d’un film de science-fiction sous les yeux des fées Émeraude, Or, Argent et Rubis, ainsi que leur sérénité à toute épreuve, 16 ans plus tard, lorsque leur adolescente joue les rebelles.
Refusant de participer à un pique-nique familial, la jeune fille s’enfuit en voiture et se fait courtiser par différents hommes très typés. Dans cette fable sur les choix auxquels nous faisons face dans la vie, la princesse se tourne finalement vers la fée Carabosse, ici représentée par un trafiquant de drogue, qui la plonge dans l’univers de l’héroïne, faisant du légendaire fuseau une seringue. Les danseurs représentent les effets de la drogue avec une force d'évocation envoûtante et percutante. Bien que la première partie du spectacle ne contienne pas autant d’éclats que la deuxième, on y remarque la présence fort appréciée de cette chose que l’on appelle la cohérence.
***Les prochaines lignes révèlent un simili punch de l’adaptation***
L’œuvre de Mats Ek bascule complètement lorsqu’un danseur caché parmi les spectateurs se lève dans la salle, rouge de colère, ne comprenant pas ce qui se déroule sur scène et n’acceptant pas de voir la princesse s’enfoncer dans un « sommeil » hallucinogène, sans que ses parents ou ses fées marraines n’interviennent. Ne possédant qu’une seule nuance dans son jeu, le danseur-acteur-spectateur interpelle autant les personnages que les musiciens dans la fosse et les spectateurs dans la salle.
Réagissant à ses plaintes, les fées-pierres-précieuses lui présentent quelques pas de danse qui tranchent complètement avec l’histoire qui nous était racontée jusque-là. La situation empire lorsqu’un cuisinier vient faire un numéro pour nous enseigner comment trancher un (vrai) poisson. Même si le cuistot est interprété par un danseur-acteur, Jean-Sébastien Couture, qui sait jouer, qui possède le sens du timing et qui sait composer avec les réactions du public, le passage n’apporte strictement rien à l’histoire, sinon quelques moments de divertissement, de dégoût et d’incompréhension.
Les chorégraphies de groupe, bien que trop peu nombreuses, sont visuellement saisissantes. La majorité des danseurs des Grands Ballets sont à la fois impressionnants techniquement et crédibles dans leur interprétation. La musique de Tchaïkovski est superbement intégrée à l’histoire résolument moderne qui nous est racontée. L’idée de revisiter un classique en s’accordant une liberté totale de création est tout à fait louable.
Mais au final, on déchante. Complètement.
Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
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