vendredi 15 novembre 2013

CRITIQUE de « La clôture de l’amour » au Quat’Sous : la mise à mort du couple

En assistant à une représentation de La clôture de l’amour, que Maude Guérin et Christian Bégin ont qualifiée de défi olympique, les spectateurs ont effectivement l’impression d’assister à un décathlon où deux anciens amoureux tentent d’aller plus haut, plus loin et plus fort afin de mettre à mort le couple qu’ils ont déjà formé. 

Stan est un metteur en scène. Audrey est une actrice. Après des années d’amour, de couple et de parentalité, les voilà au point de rupture. Chacun leur tour, ils se balancent au visage leurs quatre vérités (x 1000), avant de se quitter. Composé de deux monologues d’une heure, le texte de Pascal Rambert exige des acteurs une écoute exemplaire, un corps pleinement habité et un non verbal bien dosé.

Le personnage de Christian Bégin entre sur scène en signifiant à sa belle d’autrefois qu’il se sent prisonnier dans la toile qu’elle aurait supposément tissée autour de lui. Intello assumé, il fait partie de ces humains qui utilisent les mots pour attaquer, blesser et tenir à distance. Il se vautre dans les théories conceptuelles pour exprimer sa réflexion : une succession d’idées qu’il veut rationnelles et déconnectées du cœur. 

Tout dépendant de votre perception face à l’amour, au couple et à la vie, il se peut que vous trouviez carrément insupportable cet homme, ses mots, son venin, ses répétitions, son corps déglingué, ses mouvements de bras incessants, sa façon désespérée de s’attacher aux choses plutôt qu’aux sentiments, sa volonté de blesser, de crier son désamour et d’aspirer tout ce qu’il y avait entre elle et lui pour laisser le vide… en elle. Christian Bégin a, de toute évidence, tout le talent nécessaire pour rendre justice à son Stan. 

Vient alors la libération, la réplique d’Audrey, l’émotive, la vraie, la femme blessée, celle qui ne comprend pas qu’on puisse balancer de telles paroles au visage de qui que ce soit, encore moins de l’être qu’on a jadis aimé. D’abord complètement vidée émotivement, elle reprend tranquillement ses forces, lui répond, l’accule au pied du mur, lève le voile sur les contradictions de Stan, son absence d’intériorité, son mépris. 

Réputée pour son intensité et sa force dramatiques d’une incommensurable puissance, Maude Guérin se révèle une fois de plus à la hauteur. Son émotivité, sa vérité pure, son lot de nuances dans ses réactions, sa voix, sa rythmique, ses intonations et son non verbal rendent Audrey beaucoup plus humaine et accessible que le Stan volontairement et pertinemment cérébral de Christian Bégin. 

La clôture de l’amour est fascinante, tant par la force de son écriture que par le génie de ses interprètes. Toutefois, la pièce peut s’avérer très éprouvante pour les spectateurs. Malgré les efforts du metteur en scène pour faire respirer la pièce avec l’insertion de pauses et de mouvements, le propos et la charge émotive du texte finissent par nous étouffer et nous tenir à distance. Les sentiments sont à ce point exacerbés sur scène qu’on en vient à se refroidir, à partir dans la lune ou à se déconnecter de nos propres émotions.

Cette idée de mettre en opposition deux monologues pose également problème. Bien que le théâtre ne serve pas seulement à représenter la réalité, cet échange sans interactions verbales a le même effet que les théories et les concepts de Stan : il nous tient à distance des émotions. Des répliques livrées du tac au tac, plus convenues dans la forme, auraient sûrement permis au texte brutalement lucide de Rambert d’atteindre des niveaux dramatiques encore plus élevés.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Mon roman, « À CAUSE DES GARÇONS » est en librairies partout au Québec depuis le 25 septembre : http://editionsdruide.com/livres/nouveautes/a-cause-des-garcons/

La Clôture de l’amour
11 novembre au 6 décembre 2013
Quat’Sous

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