jeudi 22 novembre 2012

Critique de « L’obsession de la beauté » à La Licorne : le poids de l’apparence



Bien que les livres de croissance personnelle fassent leurs choux gras avec des concepts voulant que la beauté soit subjective et que chaque être humain doive cultiver son jardin intérieur afin d’aimer tout ce qu’il est, la question du poids de l’apparence n’en demeure pas moins entière. C’est d’ailleurs en l’abordant de front que l’auteur américain Neil LaBute a construit une histoire coup de poing qui mérite que vous courriez au Théâtre La Licorne. 

Lorsque Stéphanie apprend que son copain Greg l’a décrite en disant « qu’elle a peut-être une face ordinaire, mais qu’il ne l’échangerait pour rien au monde », elle se transforme en bâton de dynamite. La pièce s’ouvre d’ailleurs avec une engueulade mémorable où jurons, hystérie, incompréhension, maladresse, malentendu et répliques savoureuses sont au menu.

Le texte de Neil LaBute s'avère d’une étonnante justesse sur le rapport à la beauté qu’entretiennent les générations actuelles. Grâce à l'habileté de ses mots, on sent chez Stéphanie de vieux complexes se réveiller et détruire la fragile estime d’elle-même qu’elle avait construite avec le temps. Outre la question très sensible du rapport à la beauté, on comprend également que la jeune femme prête des intentions à son copain et qu’elle n’arrive pas à croire à ses explications tout à fait légitimes, alors qu’il est lui-même incapable de traduire sa pensée correctement sans faire de faux-pas. 

En plus de s’attaquer à cette violente confrontation entre les deux « amoureux », Neil LaBute aborde la lourdeur de la beauté, celle d’une amie de Stéphanie, qui a la chance d’avoir un visage attirant, mais qui souffre des regards non-désirés et des vieux cons qui la suivent jusque chez elle pour noter son adresse. Pliant sous le poids de son joli minois, elle avoue souhaiter que la fille qu’elle mettra bientôt au monde naisse avec un visage ordinaire, question de lui éviter une série de commentaires désobligeants qui la font pleurer le soir venu.

Loin de s’intéresser uniquement au sort des femmes, l’auteur aborde également la façon dont les hommes gèrent le regard des autres, la fierté de sortir avec une copine canon, le besoin d’exprimer leurs élans de libido exacerbée et leur envie d’être le meilleur en tout (au lit, au sport, au travail). 

Bien que la distribution de « L’obsession de la beauté » soit extrêmement solide et équilibrée, il est  carrément impossible de ne pas savourer le talent d’Anne-Elisabeth Bossé : enragée, blessée, meurtrie, amère, vulnérable, follement drôle et dotée d’un sens comique indéniable, l’actrice survole la pièce avec une énergie du tonnerre. 

Seule ombre au tableau : la fin prêchi-prêcha ironique et inutile où l'ex de Stéphanie nous raconte la morale de l'histoire et la teneur de son évolution.

Heureusement, le reste de la pièce est à ce point divertissante et pertinente qu'on retournerait la voir n'importe quand. 

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

L'obsession de la beauté
La Petite Licorne - 19 novembre au 14 décembre 2012
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