Sortant à peine de la tourmente de la nouvelle programmation du TNM avec Bertrand Cantat, Wajdi Mouawad revient à Montréal pour nous présenter Temps, une pièce qu’il a d’abord montée en Allemagne et dans la ville de Québec. À mon avis, Temps est une œuvre puissante et magnifique de poésie, qui souffre malheureusement de vouloir trop en faire, toujours et tout le temps.
L’histoire nous transporte à Fermont, ville du Nord, ville du froid, ville de folie, ville où le mur est protection, ville où un vieil homme, poète et bâtisseur de grandeur, est sur le point de mourir des affres de l'Alzheimer. L’homme est entouré d’une jeune femme douce et amoureuse, et de sa fille ainée, une jeune femme en guerre, sourde et muette. Cette femme est en mission : celle de retrouver ses frères disparus, de réunifier le clan et de faire justice à son sang, à sa mère morte immolée par le feu. Impossible d’en écrire plus sur cette histoire sans brûler de punchs, mais dites-vous que la nature des blessures subies par la jeune femme réveille une histoire pas si lointaine : celle de Bertrand Cantat. D’un côté comme de l’autre, devons-nous oublier et pardonner ? Devons-nous accepter sans rien dire ? Devons-nous aller jusqu’au bout de notre démarche pour être en paix ? Libérés et en paix ?
Assister à une pièce de Wajdi Mouawad, c’est ébranlant, ça chavire, ça questionne, ça dénonce à grands cris, ça émeut, mais d'une manière ou d'une autre, ça ne peut pas faire autrement que de moraliser avec insistance. Qui serions-nous de dénoncer un artiste qui se mouille, qui prend position et qui ose affirmer un point de vue sans attendre la permission ? Qui serions-nous ? La question se pose. Aussi noble et louable puisse être la démarche de Mouawad, on a toujours l’impression d’être tenu par la main en assistant à sa poésie dénonciatrice. Un peu comme si pour faire bouger les choses et diverger de la pensée unique, il n’avait trouvé d’autres façons que celle de marteler son message assez fort pour nous que nous ne puissions plus voir autre chose.
Les acteurs sont sublimes de vérité et touchants de vulnérabilité. Wajdi Mouawad sait comment les diriger pour qu'ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le texte est porteur, puissant, frôlant le génie par moment. Toutefois, la ligne qui sépare Mouawad du génie est celle de la surenchère. Le dramaturge veut trop, essaie trop, insiste trop et surutilise certains procédés poétiques à travers les mots et la mise en scène pour s’assurer d’atteindre un but bien précis.
On dirait que l’homme de théâtre est tellement conscient de sa force poétique et dramaturgique qu’il en vient à nuire à son histoire. Sa pièce Temps est remplie de moments artistiquement et humainement sublimes. Il faut aller voir cette œuvre, mais on quitte le Théâtre d’Aujourd’hui avec l’impression qu’un peu plus de retenue à certains égards aurait pu faire de Temps une grande œuvre, au lieu d’une œuvre qui joue à la grande.
Théâtre d’Aujourd’hui – 19 avril au 21 mai
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