dimanche 30 janvier 2011

JUNKYARD / PARADIS : un coup de poing en pleine gueule, suivi d'une caresse


Hier après-midi, j’ai fait mes premiers pas à l’Agora de la danse afin d'assister à la nouvelle création de la troupe MAY DAY : Junkyard / Paradis. Quelques minutes à peine ont suffit pour me donner l'impression de ne jamais pouvoir parler de la chorégraphie de Mélanie Demers comme je le fais avec les autres spectacles.

À mes yeux de néophyte de la danse (c’était mon troisième spectacle du genre cette année), il serait bien maladroit d’aborder la danse comme on aborde le théâtre, le cinéma ou l’opéra. La danse possède de toute évidence un pouvoir d’évocation bien différent, et quelques fois bien plus puissant, que les autres formes d'arts. Elle évoque plusieurs idées et plusieurs émotions que les mots ne pourront jamais exprimer avec autant de vérité. Bien entendu, l'inverse est tout aussi vrai. Mais pour quelqu'un qui vibre à la seule idée de traduire une émotion grâce aux mots, le fait d'assister au pouvoir du corps demeure quelque chose de nouveau et de franchement rafraichissant. 

Danseurs VS Acteurs
Dans Junkyard/Paradis, les cinq danseurs m'ont donné l’impression qu’ils étaient encore plus doués que des acteurs pour transmettre une émotion. Forcement, leur discipline leur impose d'habiter leur corps en ressentant pleinement le mouvement intérieur et extérieur afin d'aller au bout de ce qu’ils veulent raconter. Un acteur statique qui n’arrive pas à s’exprimer librement avec son corps est un acteur moyen. Un danseur qui est pris avec le même problème n’est tout simplement pas un danseur. Il y a des impératifs en danse qui donnent à ses artistes une solide base à exploiter.

À l’inverse, les quelques danseurs qui ont pris la parole pendant le spectacle m’ont également démontré les « limites de leur corps ». Qu’on me comprenne bien, un spectacle de danse entièrement composé de mouvements et d’images peut être merveilleux. Par contre, si on demande aux interprètes-danseurs de prendre parole, il faut s’assurer qu’ils ont tout ce qu’il faut pour transmettre une émotion ou une idée avec leur voix. Dans le cas qui nous occupe, la voix des danseurs n’a pas fait flancher l’œuvre de MAY DAY, mais un travail plus assidu sur la pose de voix, la projection et la diction aurait très certainement permis au spectacle d’atteindre une dimension encore plus puissante.

L'équilibre est-il vraiment nécessaire ?
Tout au long de Junkyard / Paradis, j’ai eu l’impression que Jacques Poulin-Denis et Brianna Lombardo avaient les deux rôles principaux, alors que Nicolas Patry, Angie Cheng et Mélanie Demers avaient des rôles secondaires, voire des rôles de soutient. Ce genre d’observation est probablement générée par mes habitudes au théâtre et par ce réflexe inconscient voulant que la danse soit associée au synchronisme (pas toujours, bien sûr), et à une certaine forme d’équité et d’équilibre entre les parties. Chacun des danseurs a bien sûr son moment fort pendant le spectacle, mais on a tout de même l’impression que notre attention va davantage à Poulin-Denis et Lombardo, à qui on semble avoir offert des « personnages » dansants plus étoffés.

Brutaliser un public et le réconforter à la fois
Toujours est-il que le spectacle en soi est une véritable réussite. Des images puissantes, une énergie folle, l’opposition constante entre le beau et le laid, le moral et l’amoral. Il y a autant d’explications possibles aux différentes parties du spectacle qu’il y a de spectateurs qui sont venus le voir en quatre jours : BEAUCOUP.

Dans Junkyard / Paradis, il y a tout : la séduction, le jeu, l’amusement, l’enfance, le laisser-aller, l’amour, la solitude, l’abandon, le rejet, la colère, l’injustice, le salissage, la destruction, la révolte, le détachement, la liberté, la rébellion, le sarcasme, la candeur. Un amalgame d’émotions qui sait nous rejoindre sans jamais nous donner l’impression que les interprètes s’amusent entre eux en espérant que le public puisse les suivre. On vient nous chercher, on nous fait vibrer, et on s’assure de ne jamais nous laisser tomber.

Mentions spéciales aux émotions brutes que réussit à nous transmettre la splendide Brianna Lombardo, à la capacité de Jacques Poulin-Denis d’aller au bout de chaque chose, de chaque mouvement, de chaque émotion, et au talent que possède Nicolas Patry pour captiver notre regard par sa liberté de mouvement et son intensité, en plus de démontrer à quel point un danseur de 6 pieds 6 pouces peut aller encore plus loin que les autres en habitant pleinement l'instrument rare que peut devenir son corps longiligne.
À la fin du spectacle, mes yeux avaient été amusés, choqués, surpris, et je n’avais plus qu’une seule envie : retourner voir de la danse, toujours plus de danse.

Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

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