Ma soirée à l’Opéra de Montréal a été une véritable épopée que je n’oublierai pas de sitôt. En assistant à la troisième représentation de la production Les Souffrances du jeune Werther, un des rares opéras francophones qui tournent à travers le monde, j’ai eu droit à un spectacle autant sur scène que dans la salle. Pour le meilleur et surtout pour le pire…
Disons-le d’entrée de jeu : aller à l’opéra ou au théâtre un mercredi soir, c’est rarement gagnant. J’ai toujours senti que le courant passait beaucoup moins entre les artistes et le public en milieu de semaine. Le boulot bat son plein, les spectateurs ont encore la tête dans leurs dossiers et de longues journées derrière la cravate. Très peu propice à l’émerveillement, vous en conviendrez.
Je suis tellement « out » que je vais à l’opéra sans porter de fourrure !
Avant même que le rideau ne soit levé, la mythique salle Wilfrid-Pelletier m’avait déjà offert un sacré bon spectacle. Tout le gratin faux-nez de Montréal et des environs était réuni, laissant filtrer par-ci, par-là quelques étudiants et quelques jeunes passionnés de musique bien « ordinaires » (« la plèbe », diraient les autres). Les vieux avaient sorti leur veston usé de la garde-robe en traînant avec eux une bonne vieille odeur de boules à mites, alors que les vieilles s’étaient vidé une bouteille de fixatif sur la tête afin d’agrémenter la veste fuchsia ou beige qui était cachée sous un épais manteau de fourrure vieux de quelques décennies.
Bien entendu, la faune de l’opéra est également composée de quelques jeunes avant-gardistes supposément à la mode qui portent pantalons rouges, t-shirt blanc décolleté jusqu’au sternum, et boucle d’oreille immense afin de nous démontrer à grand renfort de « regardez-moi » à quel point ils sont tendance.
Arrive alors le placier qui se permet de juger les bottes tâchées de calcium et la paire de jeans que porte mon voisin, pendant que j’ai droit à un charmant « bonsoir », gracieuseté de mes beaux souliers noirs lustrés, de mon manteau de grand-papa entretenu (le manteau, pas le grand-père), de mon long foulard blanc de simili-pouète et de mes pantalons ajustés-moulent-fesses qui ont tout pour faire de l’effet.
Maintenant, que la pièce commence ! Ou plutôt, faites qu’il crève, qu’on en finisse.
Il est 20 heures, Les Souffrances du jeune Werther peuvent enfin commencer. Puisque j’ai lu cette semaine le roman qui a servi d’inspiration à la création du livret de cet opéra, j’avais une très bonne idée du déroulement de l’histoire qui m’attendait. Figure de proue du romantisme allemand, ce roman de Goethe est l’exemple parfait de la passion exacerbée que voue un gentilhomme à une jeune femme déjà promise. Il la veut, mais il ne peut l’avoir. Il en rêve, mais il sera à jamais déçu. Comme tout bon jeune amoureux transi à qui l'on met des bâtons dans les roues, Simon Werther envisage la pire des finalités. L’Opéra de Montréal avait beaucoup entre ses mains pour nous offrir une intéressante soirée, mais lorsque les premiers airs se sont fait entendre, le plaisir était tout sauf au rendez-vous.
Les décors sont beaux, mais n’offrent rien d’original ou d’extraordinaire comme nous y avaient habitués La Tosca et Cendrillon, la saison dernière. Contrairement à ces deux œuvres qui nous présentaient une mise en scène résolument moderne (pour l’opéra), des décors flamboyants, et un rythme toujours soutenu, Les Souffrances du jeune Werther n’arrivent jamais à décoller.
Trop pauvres pour être bons ?
On essaie d’être bon joueur en se rappelant que l’Opéra de Montréal a moins de moyens que la plupart des grandes maisons d’opéra à travers le monde, que ses artistes ont donc moins de temps de répétitions et beaucoup moins de représentations (la tradition nord-américaine de l’opéra étant incroyablement moins présente qu’en Europe), mais il suffit de se remémorer quelques-uns des spectacles très bien exécutés par la même organisation pour réaliser que c’est Werther le problème.
D’abord, même si je suis un fervent défenseur de la langue française, je suis obligé d'avouer que le français et l’opéra ne font presque jamais bon ménage. Les « e » muets qui doivent être prononcés, les structures de phrases où le complément du verbe vient trop souvent avant le verbe, la rythmique propre à la langue de Molière qui ne cadre tout simplement pas au lyrisme de l’opéra. Ça ne fonctionne pas.
Créer un opéra avec un texte déjà très verbeux, est-ce vraiment une bonne idée ?
Parlons-en du lyrisme de cet opéra. Le texte de Simon Werther est on ne peut plus verbeux. En y ajoutant des notes tenues pendant plusieurs secondes, des phrases qui n’en finissent jamais, et une répétition en boucle de plusieurs de ces mêmes phrases, l'opéra nous donne l'impression de nous tenir à distance d'une histoire pourtant captivante.
Pour être bien honnête, l’écriture de cet opéra est complètement déficiente. Jamais on ne donne le temps à Simon Werther de découvrir sa belle Charlotte un instant à la fois. Jamais on ne croit à cet amour impossible qui se prétend d’une souffrance sans mot, alors que le premier acte est à peine terminé. L’opéra de Simon Werther est basé sur l’amour et la douleur, mais il nous est carrément impossible de croire à l’un ou à l’autre.
Comme si cela n’était pas déjà assez, la plupart de chanteurs de Simon Werther sont de très, très mauvais acteurs. Enfermés dans leur technique vocale (pour la plupart irréprochable, à tout le moins), pris dans une chorégraphie statique qu’ils ne savent pas rendre naturelle, trop souvent concentrés sur leurs notes au lieu de vivre réellement les émotions de leurs personnages, les artistes de Simon Werther démontrent une fois de plus à quel point les chanteurs d’opéra capables de bien jouer la « comédie » sont encore trop peu nombreux.
Une finale en queue de poisson
À défaut de m'endormir pendant le troisième acte comme ont osé le faire mes deux voisins, j'ai tout fait pour rester concentré jusqu’à la fin. Cependant, quand j’ai vu que Werther prenait environ 20 minutes pour mourir, après s’être lui-même tiré dessus, j’ai complètement décroché. Même si la présence d’un amoureux désespéré qui n’en finit plus de mourir est supposément un élément cher à plusieurs œuvres du romantisme, on mérite clairement mieux comme traitement créatif.
Comme si cela n’était pas déjà assez, la plupart de chanteurs de Simon Werther sont de très, très mauvais acteurs. Enfermés dans leur technique vocale (pour la plupart irréprochable, à tout le moins), pris dans une chorégraphie statique qu’ils ne savent pas rendre naturelle, trop souvent concentrés sur leurs notes au lieu de vivre réellement les émotions de leurs personnages, les artistes de Simon Werther démontrent une fois de plus à quel point les chanteurs d’opéra capables de bien jouer la « comédie » sont encore trop peu nombreux.
Une finale en queue de poisson
À défaut de m'endormir pendant le troisième acte comme ont osé le faire mes deux voisins, j'ai tout fait pour rester concentré jusqu’à la fin. Cependant, quand j’ai vu que Werther prenait environ 20 minutes pour mourir, après s’être lui-même tiré dessus, j’ai complètement décroché. Même si la présence d’un amoureux désespéré qui n’en finit plus de mourir est supposément un élément cher à plusieurs œuvres du romantisme, on mérite clairement mieux comme traitement créatif.
Finalement, la tombée du rideau arrive. Certains spectateurs sortent rapidement avant que les artistes ne reviennent voir la foule. La plupart des applaudissements se font discrets et convenus.
Puis, les spectateurs finissent par se lever pour offrir une autre de ces ovations nullement méritées. Typiquement montréalais comme réaction.
To go or not to go ?
To go or not to go ?
Avec Les Souffrances du jeune Werther, l’Opéra de Montréal a fait tout ce qu’il ne doit pas faire s’il veut continuer de rajeunir son public comme il avait commencé à le faire depuis quelques années : être trop conventionnel, trop statique, trop maniéré et incapable de se défaire de la rigidité extrême de la tradition opératique.
Est-ce que je vais me laisser décourager par un premier opéra décevant en trois expériences ? Bien sûr que non. Est-ce que je vais attendre un peu avant de retourner y dépenser une partie de mon salaire quotidien ? C’est fort possible.
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin
Pour l’opéra il faut au moins un de deux ingrédients : soit de grands artistes, soit une grande oeuvre ! Si tu me dis que ni le décor n'était pas trop inspiré, alors ça vaut vraiment pas la peine d'y aller !
RépondreSupprimerIl y avait de grandes voix, mais pas de grands artistes au sens large.
RépondreSupprimerPour le décor, maintenant que tu le sais, tu peux effectivement te passer du spectacle. Moi je l'ai découvert sur place.
Mais ça va, il faut du moins bon pour apprécier le grandiose.
Une crucifixion effectué de main de maître...
RépondreSupprimerJe suis encore un néophyte de l'opéra donc je m'abstiendrais certainement de commencer par celui-ci si je ne veux pas être écoeurer par cet art!
Une crucifixion... à la douce quand même. Directe et un peu brutale, mais toujours justifiée ;-)
RépondreSupprimer« Les Souffrances du jeune Werther, un des rares opéras francophones qui tournent à travers le monde » ? Vous oubliez Carmen de Bizet, l'un des opéras les plus joués mondialement. Les opéras de Massenet sont en vérité en redécouverte après un relatif oubli. Pour les « e » muets en français, c'est une tradition du XIXe siècle qui, si au XXe a été maintenue par Fauré, a été gommée par Debussy dans « Pelléas et Mélisande » et par Ravel, dès ses « Histoires naturelles ». D'ailleurs « L'Enfant et les Sortilèges » du même compositeur est lui aussi abondamment repris. Le français se porte donc bien à l'opéra.
RépondreSupprimerEn parlant d'opéra, profitons-en pour faire de l'auto-plogue ! Un collectif de compositeurs dont je fais partie présente « Bungalopolis », un opéra-cabaret-BD basé sur les BD du même nom de Jean-Paul Eid. C'est de l'opéra d'un tout autre genre, où vous avez le droit de rire et de boire pendant la représentation – ça se passe au cabaret du Lion d'Or (17 et 18 février) – en plus d'être plus abordable (entre 18$ et 44$). Vous verrez qu'il y a BIEN d'autres façons de faire sonner le français (québécois de surcroît) qu'en chantant les « e » muets.
Plus de détails sur mon site et sur le site du Festival MNM : http://www.festivalmnm.ca/fr/2011/prog/concert/28139/
Au plaisir,
Je ne peux pas avoir "oublié" Carmen, de Bizet, puisque j'affirme que Werther est un "des" opéras francophones qui roulent à travers le monde. Carmen en est un exemple, Cendrillon en est un autre, et ainsi de suite.
RépondreSupprimerSelon moi, le français se porte bien à l'opéra selon l'oreille qui l'écoute. Un opéra en italien coule davantage de source à mes oreilles. Une question de goûts, vous en conviendrez.
Et pour votre spectacle, il aurait fallu m'en parler plus tôt. J'ai déjà quelque chose les deux soirs. J'aurais adoré découvrir cette autre façon de faire de l'opéra, surtout si elle me démontre que j'ai tort en ayant l'impression que le français ne s'accorde pas bien avec l'art lyrique.
Au plaisir,
Pour Bungalopolis, désolé de vous avertir si tard, mais j'ai découvert votre blogue justement le 16 février. Mais vous pouvez toujours découvrir des extraits de Bungalopolis sur Youtube ou en allant sur mon site : www.fredericchiasson.com/oeuvres/bungalopolis.php ou encore celui du Société des art lyriques du Royaume : www.salr.ca.
RépondreSupprimerVous pourrez entendre que le français peut s'accorder avec une toute autre forme d'art lyrique !
Je suis allé tendre l'oreille. C'est de l'art lyrique, mais ce n'est pas un opéra traditionnel.
RépondreSupprimerLe français se prête assez bien à votre opéra-cabaret, c'est vrai, mais le français peut être magnifique avec le lyrique. Un peu moins souvent avec l'opéra classique.
Alors ici se pose une question très importante : qu'est-ce que l'opéra classique français ?
RépondreSupprimerAdmettons que Werther est typique de l'opéra classique français. Si on connait l'histoire de l'art lyrique en France, on peut dire que Debussy et Ravel, puis Poulenc ont cherché tout de suite à s'en dissocier. En fait, je parierais que ces trois compositeurs qui ont marqué l'art vocal diraient la même chose que vous : le français sied mal à l'opéra «classique».
D'ailleurs, les trois ont contré le style ampoulé et emphatique de Massenet avec un retour à la mélodie simple très près du parlé (Debussy, Pelléas et Mélisande ; Ravel, Histoires naturelles ; Poulenc, La Voix humaine, Les Dialogues des Carmélites). S'ils revenaient au style «classique», c'était en parodie (Ravel, L'Enfant et les Sortilèges).
En résumé, ils ont cassé les poncifs mélodiques du grand opéra «français» (qui convenaient justement mieux à l'italien, ce qui explique pourquoi celui-ci sonne mieux) pour adapter l'art lyrique à la musique propre du français. Finalement, puisqu'ils sont des solutions bien plus convaincantes de traduction du français en chant lyrique, les oeuvres de Debussy, Ravel et Poulenc méritent peut-être mieux le titre d'«opéra classique français»
Serions-nous donc d'accord ? ;-)
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