lundi 12 septembre 2011

“À toi” de Kim Thuy et Pascal Janovjak : écrire un roman comme on fait l’amour

À peine ai-je eu le temps de croiser Kim Thuy dans sa petite voiture jaune et de fondre sous le charme de son premier roman que ma Vietnamienne préférée remettait ça en mettant au monde un nouveau-né, « À toi », un roman épistolaire écrit à quatre mains avec l’écrivain Pascal Janovjak.

Quelques jours avant son lancement, j’exprimais à Kim ma surprise de la voir plonger dans un projet d’écriture à deux. Que ce soit pour un article, un billet de blogue ou un roman, l’idée de partager l’intimité des mots de quelqu'un d'autre m’apparaît hautement improbable. Kim m’avait alors répondu qu’elle avait eu un coup de foudre pour le rythme de leurs plumes et pour la mélodie que leur écriture pouvait créer. « Ce n’était pas une collaboration, mais une complicité. Je ne ferais ça avec personne d’autre », m’avait-t-elle expliqué. Je me suis alors dit que ce roman à deux voix était probablement aussi puissant que deux chanteurs qui se rejoignent en parfaite symbiose. « C’est aussi fort que de faire l’amour quelques fois, mais ce n’est pas agréable avec n’importe qui », lui avais-je répondu en faisant un parallèle avec mes pratiques de chant. Effectivement, le projet de Kim et Pascal semble avoir été à ce point jouissif que les deux passionnés l’auraient mené à terme pour leur simple plaisir personnel, qu’il soit publié ou non. Heureusement pour nous, leur premier enfant littéraire est né.

Lui, Pascal Janovjak, écrivain célébré, vivant à Ramallah en Palestine. Elle, Kim Thuy, marieuse de mots n’acceptant pas encore le titre d’auteure, vivant à Montréal au Canada. Leur rencontre a eu lieu à Monaco, leur échange s’est poursuivi par courriels et leur roman fera sans doute le tour du monde. Au début de leurs messages, la complicité est palpable, mais les deux écrivains ont le réflexe de faire des liens qui me sont apparus un tant soit peu forcés. Normal, ils apprenaient à se connaître dans leurs premières missives électroniques.

Peu à peu, les mots se déposent et la mélodie finit par s’envoler. Kim et Pascal ne pratiquent pas le même instrument, mais ils réussissent à jouer en harmonie. Très rapidement, je réalise que j’ai un parti pris pour Kim Thuy. Elle m’a séduit dans la réalité, elle m’a parlé, elle m’a souri, elle m’a envouté. Je l’ai ensuite lue, j’ai été ému et j’ai tout de suite voulu recommencer. En dévorant les pages de son premier roman (RU), j’ai eu la chance - comme tous les autres lecteurs - de profiter d’une relation exclusive avec Kim Thuy. Voilà que je dois la partager avec Pascal Janovjak. Je dois le lire, lui, son complice, son âme frère littéraire.

Au début, j'ai trouvé Pascal un peu plus descriptif, un peu plus philosophe, un peu moins simple. Je comparais ses mots à ceux de Kim et je sentais quelque chose comme de la lourdeur s’installer sous mes yeux. Plus j’avançais, plus je comprenais pourquoi. Lui, Pacal Janovjak, il vit en Palestime, il voit le mur, il traverse des checkpoints, il regarde Al Jazeera à la télé, il essaie d’être vivant et léger alors que le monde autour de lui cherche à le faire abdiquer. Elle, Kim Thuy, elle a fuit le Vietnam, elle a connu l’horreur, mais aujourd’hui elle a soif d’apprendre, elle essaie de vivre en sachant encore très bien ce que c’est que d’essayer de survivre. En bout de ligne, les mots de Pascal Janovjak me sont apparus plus lourds que ceux de Kim Thuy dans le premier tiers du roman parce que la réalité dans laquelle il évolue est tout simplement moins légère. Ses histoires ne sont pas tristes, morbides ou démoralisantes, mais elles sont teintées d’un ailleurs que je ne connais pas et qui me fait peur un petit peu. Quand je lis Kim Thuy, je me retrouve chez moi et chez elle, dans ces villes où elle se sent à la maison n’importe où, dans ce monde où l’on a le droit de transpirer la légèreté sans se faire dévisager.

D’un message à l’autre, les souvenirs défilent, les coutumes sont comparées, la culture, l’amour, la guerre, la sexualité, tout finit par être effleuré. Les lecteurs sont alors les témoins privilégiés de la rencontre magique de ces deux étrangers.

Ma lecture avance et ma façon de voir Pascal Janovjak évolue. J’accepte de le laisser entrer dans mon monde. Je le reçois, je l’écoute, je le regarde. Ce qui m’apparaissait au début comme un petit surplus de littérarité finit par me rejoindre et me toucher. Il est beau ce Pascal. Et sensible. Les pages se tournent d’elles-mêmes et je réalise que Kim Thuy a été séduite par un écrivain appartenant à une race d’hommes comme il s’en fait peu. Mes instincts me chuchotent à l’oreille que Pascal Janovjak a également été influencé par Kim Thuy dans sa façon d’écrire. On dirait qu’il observe différemment, qu’il raconte autrement. Je le sens plus simple, plus tendre, plus vrai qu’au début.

Quant à la belle Kim Thuy, j’essaierais de la présenter en parlant de candeur, de pureté et de désinvolture que je ne serais pas tout à fait en accord avec ce que je ressens. Kim Thuy, ce n’est pas un adjectif, c’est une image. Kim Thuy, c’est comme offrir des bonbons pendant le brunch du lancement de son deuxième roman. Kim Thuy, c’est une femme de plus de 40 ans qui essaie encore aujourd’hui d’apprendre à regarder les nuages. Kim Thuy, c’est l’éclat de rire d’un enfant dans le corps d’une femme issue d’un autre temps.

« À toi », c’est un homme et une femme qui se voient, qui se sentent et qui se comprennent. C’est un fil invisible entre deux continents. C’est terminer un livre en sachant combien le temps sera long avant la sortie du suivant.

Par Samuel Larochelle, dit le Sage Gamin

1 commentaire:

  1. Magnifique billet Samuel ! Je suis totalement en accord avec toi. J'ai, pour ma part, été plus touché par l'écriture de Pascal... Sa sensibilité d'homme vivant dans un pays tellement différent du notre ! Un livre délicieux...

    Petite note personnelle: j'adore tes mots, ton analyse juste et merveilleusement bien écrit, bravo... "à toi", aussi !

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